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La reconstruction à Gaza ne sera « pas seulement physique », selon Sigrid Kaag, Coordonnatrice humanitaire

La communauté internationale a le devoir et la responsabilité d’œuvrer au redressement rapide de Gaza et « nous ne pouvons pas demander aux citoyens d’attendre », a déclaré la haute responsable de l’ONU chargée de coordonner l’acheminement de l’aide vers l’enclave assiégée.

Sigrid Kaag, Coordonnatrice de haut niveau de l’action humanitaire et de la reconstruction à Gaza, a affirmé que les immenses souffrances causées par des mois de bombardements doivent également être prises en compte.

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« Je pense qu’il est très difficile pour nous, dans la sécurité du monde extérieur, de commencer ne serait-ce qu'à comprendre ce que les gens ont vécu », a-t-elle déclaré à ONU Info.

Près de sept mois se sont écoulés depuis qu'Israël a lancé une opératoin militaire contre Gaza en réponse aux attaques sanglantes du Hamas sur son territoire le 7 octobre, qui ont fait quelque 1.200 morts et 250 personnes prises en otages.

Plus de 34.000 Palestiniens ont été tués à Gaza et plus de 77.000 ont été blessés, a souligné cette semaine le Bureau des droits de l’homme de l’ONU, le HCDH, citant les autorités sanitaires de l’enclave. À ce jour, 180 employés de l’agence des Nations Unies chargée des réfugiés palestiniens, l'UNRWA, ont également été tués.

Mme Kaag était à New York pour s'adresser au Conseil de sécurité de l'ONU, qui a créé son poste par la résolution 2720, adoptée l'année dernière, qui l'appelle à faciliter, coordonner, surveiller et vérifier la livraison de l'aide humanitaire à Gaza.

S'adressant au Conseil jeudi, elle a annoncé qu'un nouveau mécanisme permettant d'acheminer une aide vitale vers Gaza démarrerait dans les prochains jours – une autre disposition de la résolution du Conseil.

Avant la réunion, Mme Kaag a parlé à ONU Info de ces développements et de sa récente mission à Gaza, la quatrième depuis sa nomination en décembre.

Cet entretien a été édité pour des raisons de clarté et de longueur.

Sigrid Kaag : Le but de la mission était de vraiment se rencontrer, d'échanger et d'être le plus informé possible sur les enjeux et comment on peut progresser. C’est également un soutien à tous les collègues humanitaires qui travaillent jour après jour à Gaza.

Ce que j'ai vu dans les différentes parties de Gaza que nous avons traversées, ce sont des destructions massives. J'ai parlé aux gens et j'ai entendu comment ils ont été touchés, j'ai entendu parler de leurs pertes, de leurs traumatismes. Et bien sûr, comment ils ont réussi à faire face aux conditions désastreuses, presque déshumanisantes, dans lesquelles vit la majorité des habitants de Gaza.

Cette fois, la mission était centrée sur les conditions sanitaires à Gaza et j'étais accompagnée d'une équipe de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS). Nous avons visité le complexe médical Nasser, totalement saccagé à l'intérieur. Mais le directeur médical réfléchissait déjà à la manière dont il pourrait rendre l'hôpital opérationnel, du moins sous des formes très modestes.

J'ai également visité l'hôpital médical de campagne IMC, où de nombreux blessés graves – notamment des enfants grièvement blessés et souffrant de malnutrition – étaient soignés.

J'ai parlé à des patients, mais aussi parlé à des médecins, et encore une fois, j'ai été très émue et très touchée par la responsabilité collective que nous avons tous de soulager la souffrance et d'essayer de travailler autant que possible non seulement pour obtenir que l'aide humanitaire entre mais aussi atteigne les gens de manière cohérente et durable.

La Coordonnatrice de haut niveau de l’action humanitaire et de la reconstruction à Gaza, Sigrid Kaag, lors d'une visite dans l'enclave palestinienne.
UN OCHA / Mustafa El-Halabi
La Coordonnatrice de haut niveau de l’action humanitaire et de la reconstruction à Gaza, Sigrid Kaag, lors d'une visite dans l'enclave palestinienne.
ONU Info : La résolution 2720 du Conseil de sécurité, qui demandait la création de votre poste, demandait également la création d'un mécanisme pour augmenter le volume de l'aide humanitaire entrant à Gaza. Où en sommes-nous?

Sigrid Kaag : La résolution est en fait la plus importante en termes de deux aspects : la facilitation, l'accélération, l'envoi de l'aide humanitaire à Gaza, et la deuxième partie est la mise en place d'un mécanisme pour soutenir tout cela, et finalement aussi pour soutenir les efforts collectifs de l’ONU, des organisations non gouvernementales (ONG) internationales, ainsi que des ONG palestiniennes et de la communauté internationale dans son ensemble. Au cours des derniers mois, nous avons établi une base de données intégrée. Nous avons négocié des itinéraires, ce qu'on appelle la route jordanienne.

Nous avons travaillé avec d'autres sur le corridor maritime, mais nous avons bien sûr également exploité l'importance de la route égyptienne via Rafah pour garantir que nous disposons de points d'accès, que nous pouvons augmenter le volume et que nous pouvons réellement suivre, notifier et avoir un meilleur une idée de ce qui sera fait à Gaza pour soutenir les priorités fixées par l'équipe humanitaire de pays. Et puis, à Gaza, faire en sorte que l'aide atteigne les gens et qu'elle est distribuée de manière optimale.

Un mécanisme n’est pas une entité sacrée. Il s'agit d'une plate-forme qui offre de la visibilité, facilite la priorisation et fournit des données et, en fin de compte, elle devrait faciliter le processus. Ainsi, nous supprimons tous les retards inutiles, nous savons ce qui se passe et, au final, cela assure également la transparence qui est indispensable.

ONU Info : Vous avez évoqué la possibilité d’un corridor maritime. Quelles sont les dernières nouvelles à ce sujet ?

Sigrid Kaag : Il s'agit encore d'un travail très actif en cours, mais vous vous souviendrez peut-être qu'en février, les Nations Unies m'ont engagé, aux côtés d'un certain nombre de ministres des Affaires étrangères de pays impliqués, avec le gouvernement de Chypre, à dire que nous accordons de l'importance à l’ajout du corridor maritime.

Nous essayons de voir comment cela pourrait fonctionner. Du côté de l'ONU et des acteurs humanitaires à l'intérieur de Gaza, nous avons exploré sous quelles conditions et paramètres l'ONU pourrait participer à la réception et à la distribution à travers Gaza. Il y a des considérations en matière de sécurité. On est évidemment très préoccupé par la sûreté et la sécurité de la distribution, mais également par la sûreté et la sécurité de la population civile.

Un certain nombre de questions sont en cours d'élaboration. Du côté des Nations Unies, dans le cadre du mécanisme et de ma mission, nous accueillons le Secrétariat pour soutenir les États membres qui souhaitent envoyer des marchandises via Chypre. Des observateurs sont déployés à Chypre et nous soutenons le processus, je dirais, depuis le début et, espérons-le, jusqu'à la fin.

Il s’agit d’une route importante, mais – et je l’ai déjà dit à plusieurs reprises – elle ne remplace pas le caractère important de la livraison de l’aide et de biens de reconstruction par voie terrestre à Gaza. Tout est question d'accès terrestre, et c’est notre objectif ultime. Mais l'ajout du corridor maritime est le bienvenu, compte tenu de la complexité de la situation et de l’ensemble des besoins, non seulement aujourd’hui, mais aussi à l’avenir.

Un agent de santé panse le pied d'un enfant dans un hôpital de Gaza.
© OMS
Un agent de santé panse le pied d'un enfant dans un hôpital de Gaza.
ONU Info : Il existe une inquiétude accrue quant à la sécurité des travailleurs humanitaires à Gaza, et les travailleurs humanitaires eux-mêmes ont exprimé leurs propres inquiétudes quant à leur sécurité. Que fait-on pour renforcer le mécanisme de déconfliction et garantir qu’ils puissent faire leur travail ?

Sigrid Kaag : C’est bien sûr une situation épouvantable dans laquelle tant de travailleurs humanitaires, et la majorité d’entre eux sont des Palestiniens, ont perdu la vie. Comme dans toute situation de guerre et de conflit, le risque est toujours grand et les gens risquent leur vie au service des autres. C’est le sacrifice le plus noble, mais nous ne devrions pas nous trouver dans cette position.

La déconfliction est une demande de longue date et un sujet de discussion et de négociation active de longue date et important. La déconfliction est un processus très sensible et complexe, mais elle nécessite une compréhension très claire : communication, respect du rôle des travailleurs humanitaires et accords sur la manière dont celle-ci est mise en œuvre.

Cela affecte les convois et les lieux de distribution. Cela affecte des accords très clairs et très spécifiques que nous avons négociés avec les autorités israéliennes et, bien entendu, en particulier, dans lesquels les Forces de défense israéliennes ont un rôle clé à jouer.

ONU Info : L’accent est mis sur la crise humanitaire immédiate, mais alors même que la guerre fait rage, nous voyons des images qui dépassent l’entendement. Est-il même possible de reconstruire Gaza à ce stade ?

Sigrid Kaag : Eh bien, je pense que c’est peut-être une question rhétorique que nous seuls avons le luxe de poser. Je pense que nous avons le devoir de diligence, nous avons la responsabilité envers la population civile palestinienne de Gaza de réfléchir et de travailler en étroite collaboration avec l’Autorité palestinienne.

Bien entendu, nous – et le Secrétaire général l’a déclaré à de nombreuses reprises – espérons leur retour rapide à Gaza afin que les institutions puissent diriger ce processus. L'Autorité palestinienne a une réforme, un plan pour Gaza et, évidemment, de nombreuses études ont été réalisées. Si c'est possible, je pense que c'est un défi de taille si l'on considère l'étendue des dégâts, même en considérant simplement l'enlèvement des décombres et la nécessité de reconstruire les logements le plus rapidement possible pour remettre les enfants à l'école afin de ne pas leur infliger une génération qui n’a pas accès à l’école ou à une éducation adéquate.

Pour les Palestiniens, cela a toujours été leur fierté et leur joie. Donc, je pense que cela devrait être une question rhétorique. Nous avons le devoir et la responsabilité de veiller à ce que nous commencions à œuvrer en faveur d’un relèvement rapide, à réfléchir à la reconstruction et également au financement. Je suis parfaitement consciente que cela est intrinsèquement lié aux progrès sur le plan politique et à la solution à deux États. Mais nous ne pouvons pas demander aux civils d’attendre. Les vies continuent et les gens ont beaucoup souffert.

Une famille à Gaza au milieu des ruines de leur maison.
© WFP/Ali Jadallah
Une famille à Gaza au milieu des ruines de leur maison.
ONU Info : En parlant de personnes qui souffrent, vous avez dit que nous avions le devoir de reconstruire Gaza, mais également comment les personnes qui ont vécu ces horreurs peuvent-elles retrouver l'espoir et continuer leur vie ?

Sigrid Kaag : La guérison de l'âme est intrinsèquement personnelle. Je pense qu’il est très difficile pour nous, dans la sécurité du monde extérieur, de commencer ne serait-ce qu'à comprendre ce que les gens ont vécu.

Des enfants qui se retrouvent soudainement sans parent vivant connu. Des enfants qui ont dû subir des amputations sans anesthésie. Des familles qui ont perdu leurs enfants et leur maison ont été déplacées à plusieurs reprises. Cela aussi nécessite une attention immédiate. La récupération n’est pas seulement physique. C’est aussi un soutien à la guérison de l’âme pour donner en quelque sorte un espace et une place au traumatisme.

C’est un fardeau que l’on demande aux gens de porter toute leur vie. Mais ici, à mon avis, c’est là qu’il faudrait mettre l’accent sur la santé mentale et le soutien psychosocial. J’ai demandé à un certain nombre de mes interlocuteurs de considérer cet aspect aussi important que la nourriture, le logement, l’eau et tous les autres éléments essentiels dont nous avons besoin. Autrement, vous ne pourrez pas être entier en tant qu’être humain. Cet aspect nécessite un soin particulier et une attention particulière pendant de nombreuses années à venir.

Même si les Palestiniens de Gaza ont finalement fait preuve d’une grande résilience, ils ont besoin d’un soutien important. Nous avons besoin d'experts. Nous avons besoin de psychologues, de psychiatres. Nous devons former les formateurs. Mais c’est toute une population qui est traumatisée, donc c’est très différent. Et cela nous demande, à nous tous également possédant une grande expertise de la région, de penser et de travailler très différemment. Nous devons planifier cela à partir de maintenant.

Mais si vous posez la question aujourd’hui, la première demande de nombreux Palestiniens à qui je parle lors de mes visites sur le terrain est « donnez-moi de la dignité ». C'est très complexe, mais nous devons commencer de manière très pratique, sans jamais oublier l'âme, l'être humain et la dignité humaine. C’est égal pour nous tous, qui que nous soyons, où que nous soyons.

ONU Info : Les personnes que vous avez rencontrées sur le terrain et qui vous disaient « donnez-moi la dignité », avez-vous quelque chose à nous dire qui vous a vraiment touché lors de cette visite ?

Sigrid Kaag : Pour être honnête, vous vous sentez tellement touché et ému par toutes ces différentes histoires de souffrance. Cela vous fait également vous sentir, à un certain stade, assez impuissant. Parce que nous avons des mots, et nous travaillons, mais vous voulez faire les choses maintenant, sur place.

Mais nous avons tous des rôles et des responsabilités différents. J'ai rencontré un certain nombre d'ONG palestiniennes, dont certaines travaillent depuis des décennies dans des situations politiques et militaires. Elles étaient tellement engagées.

Ce que je retiens, c’est que dans tout ce que nous faisons, la société civile palestinienne doit être à l’avant-garde du retour de l’Autorité palestinienne, car elle connaît son peuple, elle y est allée, elle a une expertise et elle réfléchit déjà. Ils avaient déjà des idées pour redémarrer.

Maintenant, je pense que beaucoup de gens n’auraient pas la force mentale ou la force physique, alors n’oublions pas leur immense courage et leur détermination. Et nous devons cultiver cela. Nous devons le nourrir.