Fil d'Ariane
Gaza : planifier la reconstruction et le redressement après la guerre
Le bilan de la destruction de Gaza par Israël au cours des six mois qui ont suivi les attaques sanglantes du Hamas du 7 octobre est sinistre : plus de 33.000 personnes tuées ; plus d'un million de Palestiniens sans domicile ; près de 90% des établissements de santé endommagés ou détruits et des écoles détruites ou transformées en refuges pour les nouveaux sans-abri.
Dans une déclaration publiée à l'occasion des six mois de conflit, le Coordinateur des secours d'urgence des Nations Unies, Martin Griffiths, a noté que la guerre fait chaque jour davantage de victimes civiles, après l'horreur du 7 octobre, puis la mort et la dévastation qui se sont abattues sur la population de Gaza depuis lors.
« Rarement l'indignation mondiale n'a été aussi grande face au bilan du conflit, alors que rien ne semble avoir été fait pour y mettre fin et qu'au contraire l'impunité est si grande », a-t-il déclaré.
M. Griffiths a ajouté que cet événement macabre ne devait pas seulement être un moment de commémoration et de deuil, mais qu'il devait également susciter une détermination collective à faire en sorte que l'on tienne compte de cette trahison de l'humanité.
L'avenir
On ne sait pas encore combien de destructions et de morts Gaza devra encore endurer avant que la paix ne s'installe dans l'enclave palestinienne, ni quel type de société émergera du conflit, mais six mois après le début des hostilités, les agences de l'ONU élaborent déjà des stratégies pour l'avenir, même si celui-ci est incertain.
Emplois et économie
« Gaza a connu une destruction presque totale de l'activité économique dans tous les secteurs ». Telle est l'analyse accablante d'Aya Jaafar, Economiste à l'Organisation internationale du travail (OIT).
L'OIT estime que plus de 200.000 emplois ont été perdus à Gaza, soit environ 90% de la main-d'œuvre d'avant le conflit. L'agence des Nations Unies calcule également que les pertes de revenus ont atteint 4,1 millions de dollars par jour, ce qui équivaut à une diminution de 80% du PIB de l'enclave (la somme d'argent gagnée par la vente de tous les biens et services). Ce chiffre inclut les Palestiniens qui ont reçu des salaires pour des travaux effectués en Israël et qui sont maintenant au chômage à Gaza.
La construction a toujours été l'une des industries les plus importantes à Gaza, mais selon l'OIT, l'activité dans ce secteur a chuté de 96%. D'autres secteurs productifs clés, notamment l'agriculture et le secteur industriel et des services, ont également pratiquement cessé leurs activités.
Les quelques entreprises qui fonctionnent encore sont généralement de petites entreprises locales, notamment des boulangeries, d'autres entreprises alimentaires et quelques pharmacies.
Que se passera-t-il ensuite ?
L'OIT estime qu'environ 25% des personnes tuées à Gaza étaient des hommes en âge de travailler - en général, les femmes ne travaillent pas. Mme Jaafar a déclaré que la perte de ces « soutiens de famille » signifie que les familles « seront confrontées à des difficultés économiques après la fin de la guerre ».
Cela pourrait se traduire par un plus grand nombre d'enfants sur le futur marché du travail gazaoui, ce qui soulève des inquiétudes quant à l'exploitation du travail des enfants.
Dans l'immédiat après-guerre, certains programmes d'emploi d'urgence seront « essentiels pour assurer un revenu aux travailleurs qui ont perdu leur emploi » et qui cherchent à subvenir aux besoins de leur famille, a expliqué Mme Jaafar.
On s'attend à ce que les micros et petites entreprises aient besoin de subventions d'urgence et de subventions salariales dans le cadre du processus de rétablissement de l'activité et pour faciliter la reprise économique locale. Le développement des compétences et la formation professionnelle seront également nécessaires.
Une tâche essentielle pour tout futur gouvernement de Gaza est « d'identifier des stratégies économiques qui visent non seulement à améliorer les conditions économiques, mais aussi à garantir que la croissance économique crée des emplois décents », a-t-elle ajouté.
Les programmes de l'OIT à forte intensité d'investissement qui offrent des possibilités d'emploi aux communautés locales tout en soutenant la reconstruction ou la réhabilitation des infrastructures détruites joueront également un rôle important.
Nourrir Gaza
L'accès à la nourriture reste une préoccupation majeure des humanitaires depuis les premiers jours du conflit et, selon AbdelHakim Elwaer de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), « de nombreuses personnes dans le nord sont confrontées à une grave situation de malnutrition et de famine, une partie de la population étant classée comme touchée par la famine ».
Avant le conflit, Gaza disposait d'un secteur agricole et halieutique florissant, tant pour l'exportation que pour la consommation locale. En effet, Gaza jouissait d'une « autosuffisance partielle en matière de production de fruits et de légumes », a-t-il déclaré.
Ce secteur s'est largement effondré en raison des bombardements incessants sur l'enclave. Selon M. Elwaer, près de 50% des terres agricoles ont été détruites.
La plupart des besoins alimentaires de Gaza étaient couverts par les importations du secteur privé, mais cette chaîne d'approvisionnement s'est pratiquement effondrée.
L'élevage se poursuit, mais les aliments pour animaux, que certains habitants de Gaza consomment aujourd'hui faute d'autre nourriture, ont été détruits.
Réactiver la production locale
« Les habitants de Gaza sont prêts à réactiver la production locale », a déclaré M. Elwaer, « mais ils ont besoin de semences, d'engrais et de pesticides ».
Même si l’agriculture à petite échelle peut être relativement simple à démarrer, la revitalisation du secteur agricole commercial à son niveau d’avant le 7 octobre sera plus difficile.
« Plus de 50% de tous les actifs agricoles ont été détruits, des investissements massifs seront donc nécessaires », a dit M. Elwaer. « Nous devons récupérer ce qui a été endommagé, reconstruire les capacités et espérer ensuite que le secteur privé prendra la relève ».
Il estime que la reprise sera humanitaire pendant au moins deux ans jusqu'à ce qu'il y ait « un certain niveau de stabilité, de confiance » qui permettra aux gens de rentrer et de relancer leurs entreprises.
Le coût et le calendrier de la reconstruction et du redressement
Il est trop tôt pour dire combien coûtera la reconstruction de Gaza alors que les destructions se poursuivent.
Cependant, selon Rami Alazzeh, de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), « il faudra des décennies et la volonté de la communauté internationale pour financer des dizaines de milliards de dollars d’investissements pour reconstruire Gaza ».
La Banque mondiale estime ce chiffre à 18,5 milliards de dollars, mais cela ne représente que les dégâts jusqu'à fin janvier 2024. Les logements seront les plus coûteux à reconstruire (représentant 72% des coûts globaux), suivis par les infrastructures de service public telles que l'eau, la santé et l'éducation (19%).
Ce chiffre n’inclut évidemment pas les coûts nécessaires au maintien en vie des populations grâce à l’aide humanitaire au cours des prochaines années. Et les bombes non explosées devront également être éliminées dans l’enclave, ce qui, selon le Service de lutte antimines de l’ONU, « prendra des années ».
De grands « si »
Il n’est pas encore clair si l’argent pour la reconstruction sera disponible, et il y a d’autres grands « si ».
Si la reconstruction commençait immédiatement après la fin des hostilités, si le blocus israélien de Gaza, en vigueur depuis 18 ans, prenait fin et si Gaza était capable de maintenir une croissance de 10% au cours des années à venir, cela prendrait jusqu'en 2035 pour que l'enclave « revienne là où elle était avant le blocus de 2006 », selon M. Alazzeh.
Cependant, dans le pire des cas, où l’économie croît de 0,4% par an, comme cela a été le cas ces dernières années, M. Alazzeh estime qu’il faudra à Gaza « jusqu’en 2092, ou sept décennies, juste pour qu’elle retrouve son niveau économique de 2022 ».
La politique jouera également un rôle, selon l'expert de la CNUCED.
« Le cycle de destruction et de reconstruction insuffisante n’est pas une option pour la population de Gaza », a-t-il déclaré. « Nous devons redonner espoir aux gens en l’avenir, et je pense que cela ne passe que par un plan politique global incluant la solution à deux États ».