Fil d'Ariane
Myanmar : 3 ans après la prise de pouvoir par l'armée, le nombre de civils affectés par le conflit augmente
L'escalade actuelle du conflit au Myanmar, plus de trois ans après la prise du pouvoir par l'armée, affecte gravement la population à travers le pays, avec des retombées dans la région, ont déclaré jeudi deux hauts responsables de l'ONU au Conseil de sécurité.
L'expansion des combats à travers le pays prive les communautés de l'accès aux services essentiels et a un impact dévastateur sur la jouissance des droits humain et des libertés fondamentales, a déclaré Khalid Khiari, Sous-Secrétaire général de l'ONU aux Départements des affaires politiques et des opérations de paix.
Cette séance d'information publique marquait la première réunion du Conseil de sécurité sur le Myanmar depuis que l'armée a renversé le gouvernement démocratiquement élu le 1er février 2021, bien que les membres aient adopté une résolution sur la crise en décembre 2022.
Le Secrétaire général de l'ONU, António Guterres, n'a cessé de demander la libération du Président Win Myint, de la Conseillère d'État Aung San Suu Kyi et des autres personnes toujours en détention.
Inquiétude pour la communauté Rohingya
Le nombre de civils affectés ne cesse d'augmenter dans un contexte de bombardements aériens aveugles par les forces armées du Myanmar et de bombardements d'artillerie par diverses parties, a expliqué M. Khiari.
Il a rendu compte de la situation dans l'État de Rakhine, la région la plus pauvre du Myanmar à majorité bouddhiste et qui abrite les Rohingyas, une communauté majoritairement musulmane. Plus d'un million de Rohingyas ont fui vers le Bangladesh voisin à la suite de vagues de persécution.
À Rakhine, les combats entre l'armée du Myanmar et l'armée d'Arakan, un groupe séparatiste, ont atteint un niveau de violence sans précédent, aggravant les vulnérabilités préexistantes, a souligné M. Khiari. L’armée d’Arakan aurait pris le contrôle territorial de la majeure partie du centre et chercherait à s’étendre vers le nord, où restent de nombreux Rohingyas.
Traiter les causes profondes
« S’attaquer aux causes profondes de la crise des Rohingyas sera essentiel pour établir une voie durable pour sortir de la crise actuelle. L’incapacité à le faire et le maintien de l’impunité ne feront qu’alimenter le cercle vicieux de la violence au Myanmar », a dit le haut responsable de l'ONU.
Il a également souligné l'augmentation alarmante du nombre de réfugiés rohingyas qui meurent ou disparaissent lors de voyages risqués en bateau dans la mer d'Andaman et le golfe du Bengale.
Il a déclaré que toute solution à la crise actuelle nécessite des conditions permettant au peuple du Myanmar d’exercer librement et pacifiquement ses droits humains, et que la fin de la campagne de violence et de répression politique menée par l’armée est une étape vitale.
« À cet égard, le Secrétaire général a souligné ses inquiétudes quant à l’intention de l’armée de procéder à des élections dans un contexte d’intensification des conflits et des violations des droits de l’homme à travers le pays », a-t-il ajouté.
Impacts régionaux
En ce qui concerne la région, M. Khiari a noté que la crise au Myanmar continue de s’étendre, car les conflits dans les zones frontalières clés ont affaibli la sécurité transnationale et l’effondrement de l’État de droit a permis aux économies illicites de prospérer.
Le Myanmar est désormais un épicentre de la production de méthamphétamine et d’opium, parallèlement à une expansion rapide des opérations mondiales de cyberarnaque, en particulier dans les zones frontalières.
« Avec des moyens de subsistance rares, les réseaux criminels continuent de s'attaquer à une population de plus en plus vulnérable », a-t-il dit. « Ce qui a commencé comme une menace de criminalité régionale en Asie du Sud-Est est aujourd’hui une crise généralisée de trafic d’êtres humains et de commerce illicite avec des implications mondiales ».
Intensifier le soutien
M. Khiari a souligné l’engagement de l’ONU à rester et à agir en solidarité avec le peuple du Myanmar.
Jugeant nécessaire une plus grande unité et un plus grand soutien international, il a déclaré que l'ONU continuera à travailler en complémentarité avec le bloc régional, l'ASEAN, et à s'engager activement avec toutes les parties prenantes.
« Alors que la crise prolongée s'aggrave, le Secrétaire général continue d'appeler à une réponse internationale unifiée et encourage les États membres, en particulier les pays voisins, à tirer parti de leur influence pour ouvrir des canaux humanitaires conformément aux principes internationaux, mettre fin à la violence et rechercher une solution politique qui mène à un avenir inclusif et pacifique pour le Myanmar », a-t-il déclaré.
Des millions de personnes ont faim
De son côté, Lise Doughten, du Bureau des affaires humanitaires de l'ONU, OCHA, a souligné qu'environ 2,8 millions de personnes au Myanmar sont désormais déplacées, dont 90% depuis la prise de pouvoir par l'armée.
Les gens « vivent quotidiennement dans la peur pour leur vie », surtout depuis qu’une loi nationale sur la conscription obligatoire est entrée en vigueur au début de cette année.
Près de 12,9 millions de personnes, soit environ un quart de la population, sont confrontées à l'insécurité alimentaire. Les médicaments de base s'épuisent, le système de santé est en plein bouleversement et l'éducation est gravement interrompue. Environ un tiers de tous les enfants en âge scolaire ne vont actuellement pas en classe.
La crise touche de manière disproportionnée les femmes et les filles, dont près de 9,7 millions ont besoin d’une aide humanitaire, l’escalade de la violence augmentant leur vulnérabilité et leur exposition à la traite et à la violence sexiste.
Les humanitaires estiment que quelque 18,6 millions de personnes à travers le Myanmar auront besoin d’aide cette année, soit une multiplication par près de 20 depuis février 2021.
Mme Doughten a appelé à un financement accru pour soutenir leurs opérations, à un accès sûr et sans entrave aux personnes dans le besoin et à des conditions sûres pour les travailleurs humanitaires.
« L'intensification du conflit armé, les restrictions administratives et la violence contre les travailleurs humanitaires restent tous des obstacles majeurs qui limitent l'aide humanitaire à atteindre les personnes vulnérables », a-t-elle déclaré.
Elle a averti qu'à mesure que le conflit continue de s'intensifier, les besoins humanitaires s'intensifient et qu'à l'approche de la saison de la mousson, le temps presse pour le peuple du Myanmar.
Mines terrestres et munitions non explosées
A l'occasion de la Journée internationale pour la sensibilisation au problème des mines et l’assistance à la lutte antimines, le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF) a indiqué jeudi que le nombre de victimes civiles causées par les mines terrestres et les munitions non explosées a été multiplié par trois dans le cadre de l’escalade du conflit au Myanmar. Plus de 20 % des victimes sont des enfants.
Ces nouvelles données publiées par l'UNICEF montrent qu’il y a eu 1.052 victimes civiles vérifiées à la suite d’incidents liés aux mines terrestres et aux engins explosifs en 2023. Il s’agit de près de trois fois plus que les 390 incidents enregistrés en 2022.
« L’utilisation de mines terrestres est non seulement répréhensible, mais peut constituer une violation du droit international humanitaire », a déclaré Debora Comini, Directrice régionale de l’UNICEF pour l’Asie de l’Est et le Pacifique, appelant toutes les parties au conflit à « mettre fin à l’utilisation de ces armes qui frappent sans discrimination ».
A part Naypyitaw, toutes les régions sont contaminées
Alors que le conflit au Myanmar s’est étendu au cours des derniers mois, la quasi-totalité des États et des régions du pays, à l’exception de la capitale Naypyitaw, ont été contaminés par des mines terrestres. Le Myanmar figure désormais parmi les pays les plus contaminés par les mines terrestres et les engins explosifs dans le monde.
Au Myanmar, les mines terrestres sont utilisées sans discrimination par toutes les parties d’un conflit qui s’intensifie.
Les enfants sont particulièrement vulnérables aux mines terrestres, car ils sont moins susceptibles de les reconnaître et ne sont pas toujours conscients des dangers qu’elles représentent. Le déploiement généralisé d’armes dans tout le pays signifie que les enfants peuvent rencontrer des mines terrestres pratiquement n’importe où, y compris près de leur maison, de leur école, de leur terrain de jeu et de leur zone agricole.
En 2023, l’UNICEF a touché près de 139.000 personnes, dont des enfants, dans tout le Myanmar, grâce à des interventions de prévention des mines terrestres et autres armes explosives et d’aide aux survivants. Pour ses opérations en 2024, l’agence onusienne a besoin de 208 millions de dollars pour venir en aide à 3,1 millions d’enfants et de familles les plus touchés par la crise actuelle au Myanmar.