Fil d'Ariane
Des experts de l’ONU exhortent la France à garantir l'accès à l'eau potable en Guadeloupe
Des experts de l’ONU* ont exprimé jeudi leurs préoccupations concernant les coupures d'eau récurrentes dans le département français d'outre-mer de la Guadeloupe, qui exposent la population à la pollution de l'eau et à des prix excessifs qui menacent leurs droits humains à l'eau potable et à l'assainissement.
« Un réseau vétuste, des canalisations qui fuient, des stations d'épuration défectueuses, un logiciel de facturation défaillant, entre autres dysfonctionnements, sont le résultat de nombreuses années de négligence de la part des opérateurs privés, des collectivités locales et de l'Etat », ont affirmé les experts dans un communiqué conjoint.
Les experts de l'ONU ont constaté que plus de 60% de l'eau potable en Guadeloupe est perdue avant d'atteindre les robinets à cause de fuites, ce qui entraîne un énorme gaspillage.
« L'approvisionnement en eau est intermittent afin de réduire les pertes, avec des coupures systématiques, par roulement, dans les différents secteurs du réseau, en plus des coupures plus longues », ont-ils déclaré.
Un réseau vétuste
Les experts ont souligné que l'une des conséquences les plus graves de ces interruptions était la contamination systématique de l’eau causée par l'infiltration de polluants par les points de fuite à chaque fois que la pression dans le réseau de distribution d'eau est supprimée.
Bien que le gouvernement français affirme qu'il n'existe aucune preuve de contamination systématique de l'eau, les experts ont averti que les coupures systématiques survenant dans un réseau présentant un taux de fuite aussi élevé constituent une preuve physique de l'intrusion systématique de contaminants dans le processus de distribution de l'eau.
« La situation est particulièrement grave pour les plus défavorisés, car il s'agit du département français où les prix de l’eau sont les plus élevés du pays », ont-ils dit.
Les experts ont noté que certaines nappes phréatiques du pays sont surexploitées et risquent de se saliniser en raison de la baisse du niveau de l'eau.
La tempête tropicale Philippe et l'ouragan Tammy ont touché plus de 100.000 personnes en octobre dernier. « Il est urgent de renforcer la résilience du système actuel face aux catastrophes naturelles, qui deviendront plus fréquentes et plus graves en raison du changement climatique », ont-ils déclaré.
Présence d'un pesticide toxique
Les experts ont souligné que la présence continue du chlordécone, un pesticide toxique et persistant, en Guadeloupe et en Martinique a un impact négatif significatif sur les droits humains de la population, notamment les droits à la santé, à l'eau et à l'assainissement, ainsi qu'à un environnement propre, sain et durable. À ce jour, 90% des adultes des Antilles françaises sont contaminés par le chlordécone, ce qui se traduit par les taux de cancer de la prostate les plus élevés au monde.
« La France doit prendre ses responsabilités en veillant à ce que la contamination ne continue pas à s'étendre et en mettant en place des mesures de compensation pour l'ensemble de la population touchée », ont-ils affirmé.
Les experts ont noté que les plans ambitieux et les propositions budgétaires importantes présentés par le gouvernement français pour résoudre les problèmes liés à l'eau en collaboration avec les autorités locales doivent inclure un large processus de participation sociale.
« L'eau est devenue un sujet sensible, difficile à aborder librement, et plusieurs acteurs dénonçant les dysfonctionnements du système de l'eau sont en danger », ont-ils déclaré.
Suite à l'interdiction de dernière minute du débat sur l'eau en Guadeloupe - organisé par l'Université des Antilles et auquel le Rapporteur spécial sur l'eau et l'assainissement avait été invité - les experts ont exprimé leur profonde inquiétude quant aux rapports de censure visant à faire taire les voix critiques, y compris les défenseurs des droits humains, les lanceurs d'alerte et les scientifiques.
« L'eau est une question fondamentale, et chacun mérite d'avoir accès à une compréhension approfondie de son fonctionnement et d'exercer son droit à participer librement à l'élaboration des décisions et des politiques publiques », ont-ils dit.
*Les experts : Pedro Arrojo-Agudo, Rapporteur spécial sur les droits de l’homme à l’eau potable et à l’assainissement, Irene Khan, Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection du droit à la liberté d'opinion et d'expression, David R Boyd, Rapporteur spécial sur la question des obligations relatives aux droits de l’homme se rapportant aux moyens de bénéficier d’un environnement sûr, propre, sain et durable, Marcos A. Orellana, Rapporteur spécial sur les incidences sur les droits de l’homme de la gestion et de l’élimination écologiquement rationnelles des produits et déchets dangereux et Mary Lawlor, Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs et défenseuses des droits humains
NOTE
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