Fil d'Ariane
Territoires palestiniens occupés : 1ers jours d’audiences à la Cour internationale de Justice
C’est une première dans l’histoire de la Cour internationale de Justice (CIJ) : 52 Etats et trois organisations internationales, l’Organisation de la coopération islamique (OCI), l’Union africaine (UA) et la Ligue des Etats arabes, ont soumis leurs commentaires écrits ainsi que les présentations orales de leurs représentants dans une affaire.
La procédure concerne un avis consultatif demandé à la CIJ en décembre 2022, avant le conflit actuel à Gaza, par l’Assemblée générale des Nations Unies sur « les conséquences juridiques des politiques et pratiques d’Israël dans les Territoires occupés, y compris Jérusalem-Est ».
Les questions posées par l’Assemblée générale de l’ONU
Les deux questions précises posées par l’Assemblée générale de l’ONU à la CIJ sont les suivantes :
« Quelles sont les conséquences juridiques de la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, de son occupation, de sa colonisation et de son annexion prolongée du territoire palestinien occupé depuis 1967, notamment des mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem, et de l’adoption par Israël des lois et mesures discriminatoires connexes ? »
« Quelle incidence les politiques et pratiques d’Israël ont-elles sur le statut juridique de l’occupation et quelles sont les conséquences juridiques qui en découlent pour tous les Etats et l’Organisation des Nations Unies ? »
Ce compte-rendu donne un aperçu non exhaustif des points de vue des différents intervenants durant les trois premiers jours d’audiences (19-21 février). La suite sera présentée après la clôture des audiences, le 26 février.
Le plaidoyer de la Palestine
La Palestine a présenté ses arguments pendant trois heures, le 19 février. Riyad al-Maliki, ministre des Affaires étrangères de l’Autorité nationale palestinienne, a commencé sur ces mots : « Je me tiens devant vous alors que 2,3 millions de Palestiniens à Gaza, pour moitié des enfants, sont assiégés et bombardés, tués et massacrés, affamés et déplacés ; alors que plus de 3,5 millions de Palestiniens en Cisjordanie et Jérusalem-Est sont soumis à la colonisation de leur territoire et à la violence raciste qui la permet, alors que 1,7 million de Palestiniens en Israël sont traités comme des citoyens de seconde zone et des étrangers non bienvenus sur leur terre ancestrale, et que 7 millions de réfugiés palestiniens continuent de se voir refuser le droit de rentrer chez eux ».
Riyad al-Maliki a appelé à « mettre un terme à l’impunité d’Israel, un impératif moral, politique et légal. Les gouvernements successifs en Israël n’ont laissé que trois choix aux Palestiniens : le déplacement, la subjugation ou la mort. Tels sont les choix : le nettoyage ethnique, l’apartheid ou le génocide. Mais notre peuple est là pour rester, et ne va pas abandonner ses droits ».
Les juristes et diplomates ayant défendu la Palestine ont formé une équipe internationale d’experts de renom, avec le professeur de droit Andreas Zimmermann (Allemagne), Paul S. Reichler (Grande-Bretagne), la diplomate Namira Negm (Egypte), l’avocat Philippe Sands (France, Grande-Bretagne), le juriste Alain Pellet (France) et Riyad Mansour, Représentant permanent de la Palestine auprès des Nations Unies.
Des pratiques qualifiées « d’apartheid » par l’Afrique du Sud
L’Afrique du Sud, qui a porté plainte auprès de la CIJ en décembre contre Israël pour « génocide à Gaza », une affaire séparée sur laquelle la CIJ a indiqué des mesures conservatoires le 26 janvier, a été la première à s’exprimer après la Palestine.
Après des « décennies d’un colonialisme d’apartheid et d’installation de colons » a déclaré le 19 février Vusimuzi Madonsela, ambassadeur de l’Afrique du Sud aux Pays-Bas, « une solution juste pour tous ceux qui se qualifient légalement pour vivre dans la Palestine historique devrait être négociée avec l’assistance de la communauté internationale ».
Le diplomate a établi un parallèle entre la situation en Palestine et la lutte des Sud-Africains contre l’apartheid, un « régime institutionnalisé de lois discriminatoires » permettant aujourd’hui d’assurer « la domination israélienne et juive ». Il a appelé au « retrait immédiat, inconditionnel et total des troupes israéliennes » des Territoires occupés.
De nombreuses critiques à l’égard d’Israël
Le Chili a rappelé abriter la plus large communauté palestienne hors du Moyen-Orient, et une vaste communauté juive, la troisième en Amérique latine. Israël « ne se considère pas ni n’agit comme un occupant temporaire », ses pratiques revenant à une « annexion », selon Santiago.
L’Algérie a estimé qu’Israël « a pour objectif un point de non-retour » dans les Territoires occupés, pour « écarter toute possibilité de création d’un Etat palestinien ». Par la voix du professeur de droit Ahmed Laraba, Alger a demandé à la CIJ de mettre fin à « l’impunité » d’Israël en tant « qu’oppresseur », en lui rappelant « une loi qui n’est pas celle de la vengeance, mais de la justice ».
L’Arabie Saoudite, de son côté, a reproché à Israël « la déshumanisation » des Palestiniens, traités comme des « objets jetables » à Gaza. Une situation qui montre « comment l’illégalité de l’occupation israélienne pendant plus de 50 ans peut dégénérer dans la plus laide des conséquences ». En outre, l’Arabie Saoudite reproche à Israël de « continuer d’ignorer les mesures conservatoires ordonnées par la Cour » le 26 janvier dans le cadre de la plainte sud-africaine pour « génocide ».
« Le droit international ne peut pas être un menu à la carte, mais doit s’appliquer également à tous », a déclaré Lana Nusseibeh, Ministre assistante aux Affaires politiques de la Représentation permanente des Emirats arabes unis (EAU) auprès des Nations Unies.
Cuba a étendu ses critiques aux Etats-Unis, et demandé à la CIJ de tenir compte de la « complicité » américaine dans les politiques menées par Israël, y compris dans la fourniture d’armes à Israël.
Le droit à l’auto-défense abordé par les Pays-Bas…
Les Pays-Bas ont rappelé les fondations du droit à l’autodétermination des peuples, de même que le cadre légal de l’usage de la force et du droit à l’auto-défense en cas d’attaque.
René J. M. Lefeber, conseiller juridique du ministère néerlandais des Affaires étrangères, a rappelé que « l’occupation d’un territoire peut être légitime dans le cadre du droit à l’auto-défense, en réponse à une attaque armée », même si celle-ci ne provient pas d’un Etat mais d’un groupe armé.
Il a également rappelé l’obligation de respecter le droit international humanitaire et de mettre fin à ses violations, souhaitant que la CIJ puisse contribuer à ramener la paix au Moyen-Orient.
… et contesté par l’Egypte
L’Egypte a pointé la gravité de la situation actuelle, y compris à Rafah où « Israël poursuit sa politique d’expulsion massive des civils Palestiniens, tandis que le Conseil de sécurité échoue de manière répétée à appeler à un cessez-le-feu, dans un mépris impitoyable pour la vie palestinienne ».
S’alignant sur le plaidoyer palestinien, la représentante égyptienne, Jasmine Moussa, Conseillère juridique au cabinet du ministre égyptien des Affaires étrangères, a déclaré : « La région du Moyen-Orient aspire à la paix, à la stabilité et à une résolution juste, complète et durable du conflit israélo-palestinien, basée sur les principes du droit international et l’établissement d’un Etat palestinien viable, le long des lignes antérieures à 1967, avec Jérusalem-Est comme capitale ».
L’Egypte a contesté le recours d’Israël au droit à l’auto-défense, l’accusant d’avoir commis une « guerre d’agression » en 1967 puis poursuivi « des décennies d’occupation » contraires au droit international. « L’argument selon lequel un Etat peut recourir à l’auto-défense contre un territoire sous sa propre occupation militaire et son contrôle effectif est contre-intuitif, a poursuivi Jasmine Moussa. (…) Israël ne peut pas invoquer l’auto-défense pour maintenir une situation créée par sa propre conduite illégale ».
La France rappelle le « droit d’Israël à se défendre » dans le respect du droit international
Revenant d’abord sur « le très lourd contexte dans lequel s’inscrivent ces audiences », depuis l’attaque menée par le Hamas en Israël le 7 octobre, Diégo Colas, Directeur des Affaires juridiques au ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères, a rappelé le 21 février au nom de la France « le droit d’Israël à se défendre et à défendre sa population dans le but que de telles attaques ne se reproduisent. Ce droit doit s’exercer dans le strict le respect du droit international, et en particulier du droit international humanitaire.
Alors que les opérations et les bombardements israéliens font des milliers de victimes civiles à Gaza, la France a affirmé avec clarté, constance et de manière répétée cette exigence ».
Il a ajouté que « le respect du droit international, en patriculier du droit international humanitaire, par toutes les parties prenantes, est le seul horizon de paix possible. »
« La politique de colonisation doit cesser », selon la France
La France a réitéré sa condamnation de la politique de colonisation accélérée depuis 2004 par Israël, « qui doit cesser ». Sur les mesures visant à modifier la composition démographique des territoires occupés, la France « réitère sa condamnation des propos promouvant l’installation de colonies à Gaza et le transfert de la population palestinienne de Gaza hors de ce territoire », ce qui constituerait « une très grave violation du droit international ».
Sur le Statut de Jérusalem, proclamée une et indivisible comme capitale de l’Etat d’Israël par la loi fondamentale d’Israël du 30 juillet 1980, la France a mentionné « la résolution 478 de 1980 du Conseil de sécurité, qui rappelle que l’adoption de cette loi fondamentale ne remet pas en cause l’application de la 4e Convention de Genève (sur la protection des civils). Il ne fait donc aucun doute que le statut unilatéral imposé par Israel à Jérusalem est nul et non avenu au regard du droit international. »
En outre, « la France considère qu’il convient de maintenir inchangé le statu quo historique sur les lieux saints à Jérusalem ». Sur la question des réparations, « la France considère que cette obligation s’étend à l’ensemble des dommages faits à la population palestinienne », en procédant à des « restitutions et à défaut, des indemnisations ».
L’Egypte, la Bolivie, la Colombie, Cuba et le Brésil évoquent aussi des réparations
La Bolivie, qui a rompu le 1er novembre 2023 ses relations avec Israël, a dénoncé une situation « d’apartheid » et des « atrocités relevant du crime de génocide » à Gaza. Elle a plaidé pour « l’inversion par Israël de sa politique illégale de colonisation » dans les Territoires occupés, avec des réparations et des compensations à la clé.
Selon la Colombie, Israël doit cesser toute occupation et colonisation, mais aussi procéder à des réparations. « Israël a une obligation de compenser, conformément aux règles applicables du droit international, toute personne légale ayant souffert de toutes formes de dommage matériel ou immatériel résultant de son occupation des territoires palestiniens ».
Tout comme l’Egypte, Cuba a mentionné le principe des réparations pour dommages causés aux Palestiniens. Le Brésil, qui a soutenu avec la Bolivie et la Colombie la plainte de l’Afrique du Sud contre Israël pour « génocide », a également énoncé le principe de réparations, sans entrer dans les détails.
Une solution négociée à deux Etats
Le Brésil a surtout insisté le 20 février sur la nécessité d’aller vers une solution négociée à deux Etats dans « l’un des conflits non résolus les plus pressants sur l’agenda international depuis des décennies ».
Du point de vue du Brésil, « l’importance de la question et la gravité de la situation étaient indiscutables, même avant le 7 octobre 2023. Les événements tragiques de cette date et les opérations militaires disproportionnées et indiscriminées qui ont suivi, cependant, montrent clairement que la seule gestion du conflit ne peut être considérée comme une option. La solution à deux Etats avec un Etat palestinien économiquement viable vivant aux côtés d’Israël est le seul moyen d’apporter la paix et la sécurité aux Israéliens et aux Palestiniens ».
Les Etats-Unis en faveur d’un règlement politique dans le cadre posé par l’ONU
Richard C. Visek, Conseiller juridique au Département d’Etat américain, a commencé par rappeler « l’horreur des attaques terroristes du 7 octobre 2023 » et un contexte marqué par « le conflit en cours entre Israel et le Hamas, qui a des conséquences sévères, étendues et tragiques pour les civils Palestiniens à Gaza ».
Il a rappelé les efforts des Etats-Unis pour « non seulement résoudre la crise actuelle mais aussi aller au-delà, en avançant un règlement politique qui mènera à une paix durable dans la région, incluant une sécurité durable pour les Israéliens et les Palestiniens, et un chemin vers un Etat palestinien ».
L’expert américain a axé sa présentation sur le fait que les parties prenantes doivent revenir au cadre posé par le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale des Nations Unies pour résoudre le conflit – une solution à deux Etats. Il a ensuite évoqué le rôle de la CIJ pour préserver ce cadre, de manière à rendre une solution négociée toujours possible.
« L’occupation doit prendre fin », selon la Russie
« L’occupation doit prendre fin », a affirmé Vladimir Tarabrin, ambassadeur de la Fédération de Russie aux Pays-Bas, dans la foulée de nombreux pays. La Russie préconise elle aussi la solution négociée à deux Etats. Elle a souligné le 21 février deux points importants à ses yeux : « le déni persistant par Israël du droit des Palestiniens à l’autodétermination » et « la politique de colonisation menée par Israël depuis 1967 ».
« Cela a effectivement compromis les perspectives d’une solution négociée. (…) Le nombre de colons israéliens en Cisjordanie, Jérusalem inclus, est de plus de 700 000. (…) En 2023, les activités de colonisation d’Israël ont brisé des records de vitesse : selon le dernier rapport du Secrétaire général de l’ONU, les plans pour plus de 24 700 unités de logement ont été avancés, approuvés ou fait l’objet de marchés, plus du double que 11 700 en 2022, ce qui était déjà en soi un chiffre remarquable ».
La Russie espère par ailleurs que la CIJ pourra contribuer à la solution du conflit en stipulant que les deux parties « sont soumises à l’obligation » de reprendre les négociations de paix.
Cet article a été produit par le Centre d'information des Nations Unies pour l'Europe occidentale basé à Bruxelles.