Fil d'Ariane
Sénégal : des experts de l’ONU préoccupés par le sort réservé aux « talibés »
Le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies (CRC) a pointé du doigt jeudi la mendicité forcée et les mauvais traitements dont sont victimes des élèves d’écoles coraniques au Sénégal.
Dans ses observations finales publiées ce jeudi à Genève, les experts indépendants onusiens se sont dit préoccupés par les « niveaux de violence physique » à l’encontre des enfants dans divers contextes, y compris dans les écoles, en particulier dans les daaras.
Ces garçons couverts de poussière et de crasse, souvent pieds nus, en train de mendier, une boîte de conserve de tomates vide ou un bol en plastique à la main, restent un spectacle courant dans les rues de Dakar et dans de nombreuses autres villes du pays.
La plupart d’entre eux sont des « talibés », actuels ou en fugue, autrement dit des étudiants du Coran que l’on a envoyés vivre et étudier dans une école coranique traditionnelle appelée daara.
Le Comité demande instamment à l’État partie d’interdire explicitement dans la loi les châtiments corporels dans tous les contextes, y compris à la maison, dans les daaras, dans les structures d’accueil de la petite enfance, dans les garderies et dans les structures de protection de remplacement.
Le Comité demande instamment à l’État partie d’interdire explicitement dans la loi les châtiments corporels dans tous les contextes
Il s’agit ainsi d’abroger toutes les dispositions autorisant le recours aux châtiments corporels par les adultes, y compris l’article 285 du code de la famille du Sénégal.
Privés d’une alimentation suffisante
Lors de l’examen du rapport du Sénégal, le 18 janvier dernier à Genève, un membre du Comité s’était enquis des projets des autorités pour protéger concrètement les enfants sénégalais contre « le problème endémique des châtiments corporels », alors qu’une autre experte avait relevé que la pratique des châtiments corporels au Sénégal serait généralisée.
Préoccupé par les milliers de talibés qui continuent de vivre dans des conditions sordides, privés d’une alimentation suffisante et de soins médicaux, soumis à des coups, à des sévices sexuels et emprisonnés, le Comité demande instamment au Sénégal de veiller à ce que tous les cas de maltraitance d’enfants, y compris les sévices sexuels, soient rapidement signalés et fassent l’objet d’une enquête.
Protéger les enfants à risque
Il s’agit ainsi de formuler une stratégie globale de prévention et de lutte contre toutes les formes de violence à l’égard des enfants, en s’attaquant notamment à la violence sexuelle, aux abus et à l’exploitation des enfants réfugiés et talibés. Cela passe aussi par la mise en place de mécanismes accessibles, confidentiels et adaptés aux enfants pour faciliter le signalement obligatoire des violences à l’encontre des enfants, y compris les abus sexuels.
Tout en saluant les initiatives qui soutiennent les enfants en situation de rue, le Comité recommande aussi à Dakar de mettre en œuvre des programmes de protection sociale ciblant la mendicité forcée, en particulier les familles les plus susceptibles d’envoyer les enfants dans des daaras éloignés de leur communauté pour des raisons économiques.
En réponse à ces interpellations, Dakar avait affiché, lors de l’examen du rapport, sa volonté de continuer à déployer « d’énormes efforts pour la socialisation, la protection et l’éducation des enfants des rues ». La délégation sénégalaise avait également annoncé que le Gouvernement allait, au-delà de la dimension de la mendicité, lancer une approche éducative pour venir en aide à ces enfants qui risquent d’être victimes d’exploitation.
Nombre élevé de filles victimes de mutilations génitales féminines
Sur un autre plan, le Comité a pris note de l’initiative du Sénégal en faveur de l’éducation inclusive et de l’éducation pour tous. En revanche, il est resté préoccupé par le nombre élevé de filles qui subissent encore des mutilations génitales féminines. Le Comité a demandé au Sénégal de prendre des mesures actives pour abolir les mutilations génitales féminines et d’appliquer strictement les lois visant à protéger les filles de ces pratiques.
Le Comité s’est également préoccupé par le nombre élevé de grossesses chez les adolescentes et par l’interdiction et la criminalisation de l’avortement. Il a demandé au Sénégal de veiller à ce que tous les enfants et adolescents, notamment dans les zones rurales, bénéficient d’informations. Le Comité a aussi appelé à la dépénalisation de l’avortement en toutes circonstances, en particulier pour les victimes d’inceste et de viol, et à garantir l’accès des adolescentes à des services d’avortement sûrs et de soins post-avortement.
Par ailleurs et dans le contexte des turbulences politiques en cours au Sénégal, « le Comité espère que les effets de ces turbulences seront minimes sur la vie des enfants », a fait valoir lors d’une conférence de presse à Genève, Philip Jaffé, membre du Comité des droits de l’enfant.