Aller au contenu principal

ENTRETIEN - Un « climat de division » crée un environnement plus difficile pour le maintien de la paix

Les missions de maintien de la paix de l’ONU en Afrique subsaharienne opèrent dans des conditions politiques et sécuritaires plus difficiles en raison d’une multiplication des crises et d’un « climat de division » entre les États membres, notamment au Conseil de sécurité. C’est ce qu'affirme le chef des opérations de maintien de la paix de l’ONU, Jean-Pierre Lacroix.

La mission au Mali, la MINUSMA, qui dure depuis 10 ans, touche actuellement à sa fin avec la date limite de départ fixée à fin décembre.

Par ailleurs, dans son discours devant l'Assemblée générale des Nations Unies en septembre de cette année, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombohe, Président de la République démocratique du Congo, a appelé la mission de maintien de la paix des Nations Unies, la MONUSCO, à entamer son retrait du pays.

L’Afrique reste la principale cible des opérations de maintien de la paix en termes de nombre de missions et de personnel déployé.

M. Lacroix s'est entretenu avec ONU Info pour discuter de la situation du maintien de la paix sur le continent.

Jean-Pierre Lacroix (2e à gauche), le chef des opérations de maintien de la paix de l'ONU visite, en 2018, une installation militaire attaquée par des terroristes dans le nord du Mali.
MINUSMA/Harandane Dicko
Jean-Pierre Lacroix (2e à gauche), le chef des opérations de maintien de la paix de l'ONU visite, en 2018, une installation militaire attaquée par des terroristes dans le nord du Mali.
ONU Info : Vous revenez tout juste d'une visite au Mali, où la mission, la MINUSMA, est en train de se terminer. Comment se passe le retrait ?

Jean-Pierre Lacroix : Le retrait est assez bien avancé. Nous avons plus de 10.000 collègues qui ont déjà quitté le Mali sur un total d'un peu plus de 13.500. Nous sommes donc en passe d'achever ce retrait d'ici le 31 décembre comme prévu.

J'étais au Mali essentiellement pour remercier nos collègues pour tout leur bon travail. Ils ont été très actifs pour assurer la protection des civils. Lors de mes nombreuses visites au Mali, dans les endroits où nos collègues de la MINUSMA étaient déployés pour protéger les civils, les retours de la population locale ont toujours été très positifs et reconnaissants. En fait, s'il y avait une demande de sa part, c'était que nous restions et que nous fassions plus.

ONU Info : Alors, est-ce le bon moment pour partir ?

Jean-Pierre Lacroix : C'est une décision des autorités maliennes, et elle a ensuite été entérinée par le Conseil de sécurité. Et bien entendu, une mission de l’ONU, qu’il s’agisse de mission de maintien de la paix ou d’un autre type de mission, ne peut fonctionner si elle n’a pas le soutien du gouvernement hôte.

Il fallait donc que cela se produise, et je pense que le principal défi était de s’assurer que le retrait se déroulerait de manière à garantir la sûreté et la sécurité de notre personnel.

Soundcloud
ONU Info : Quel est le statut des autres missions de maintien de la paix en Afrique subsaharienne ? Vont-elles continuer à fonctionner ?

Jean-Pierre Lacroix : Je pense que la plupart de nos missions de maintien de la paix opèrent dans des conditions politiques et sécuritaires plus difficiles. Je crois que la multiplication des crises et les divisions exacerbées entre les États membres rendent notre action plus difficile, notamment parce que les efforts politiques dans ce climat de division et de tension ne progressent pas suffisamment.

Ainsi, les tensions au niveau mondial se reflètent également au niveau local. Cependant, la protection des civils reste très active. Chaque jour, des centaines de milliers de civils dépendent de nos soldats de maintien de la paix pour leur protection.

Il y a des défis. Il y a parfois des difficultés avec le gouvernement hôte ; il y a des frustrations parce que les attentes, notamment en ce qui concerne notre mandat de protection des civils, sont très élevées.

Et nous ne pouvons pas toujours répondre à ces attentes en raison de la situation sur le terrain et des ressources qui nous sont données.

Des soldats de la MONUSCO se saluent lors d'un voyage dans la province du Nord-Kivu, à l'est de la République démocratique du Congo.
MONUSCO/Kevin N. Jordan
Des soldats de la MONUSCO se saluent lors d'un voyage dans la province du Nord-Kivu, à l'est de la République démocratique du Congo.
ONU Info : En plus de ces problèmes politiques et sécuritaires, les opérations de maintien de la paix de l'ONU sont également confrontées à des pressions financières. Vous revenez tout juste d'une réunion ministérielle biennale axée sur le maintien de la paix au Ghana. Avez-vous reçu le soutien des États membres que vous recherchiez ?

Jean-Pierre Lacroix : Absolument, oui. La réunion d'Accra, la première du genre en Afrique, a connu un grand succès. Nous avons reçu des engagements très importants de la part des États membres, qui correspondent à nos besoins. Cela démontre que le maintien de la paix, en tant qu’activité de l’ONU, bénéficie d’un très large soutien de la part de nos États membres.

En effet, je pense qu'il s'agit probablement de l'une des activités les plus soutenues au sein de l'ONU, car la plupart des États membres sont des parties prenantes, qu'il s'agisse de pays fournisseurs de troupes ou de forces de police, de membres du Conseil de sécurité ou de l'Assemblée générale, ou de pays ayant un intérêt dans la situation particulière où nos soldats de la paix sont déployés.

Je pense qu'on a reconnu la valeur ajoutée de nos Casques bleus et le fait que si nous n'avions pas ces opérations de maintien de la paix, la situation serait probablement bien pire dans ces pays et régions.

ONU Info : Le paysage de l'insécurité en Afrique évolue rapidement. Comment les opérations de maintien de la paix de l’ONU s’adaptent-elles à ce changement ?

Jean-Pierre Lacroix : Je pense qu'il est important de noter que les soldats de la paix atténuent sérieusement l'impact de cette insécurité généralisée dans de nombreuses régions d'Afrique. Si l’on considère certains pays ou régions dans lesquels nous n’avons plus de Casques bleus, par exemple le Darfour, cela devrait nous donner une raison de faire une pause et de réfléchir à la valeur ajoutée des soldats de la paix.

Les défis en matière de sûreté et de sécurité augmentent en effet, et nous devons absolument intensifier les efforts pour répondre à ces défis dès maintenant. Il existe de nombreuses façons d’y parvenir, notamment en améliorant l’engagement et en instaurant la confiance avec les communautés.

Il est très important d'expliquer ce que nous faisons, pourquoi nous sommes là, et d'être efficace dans l'exécution de notre mandat visant à contrer l'augmentation des fausses nouvelles et de la désinformation. Parce qu’il existe des groupes ayant des intérêts particuliers qui ne s’intéressent pas à notre succès, ou qui sont en fait intéressés par l’échec du maintien de la paix.

Ils souhaitent préserver le chaos parce que cela profite à ces groupes et à leurs intérêts particuliers.

Des millions de personnes ont été déplacées par le conflit au Soudan.
UN Photo/Albert Gonzalez Farran
Des millions de personnes ont été déplacées par le conflit au Soudan.
ONU Info : Vous avez mentionné le Darfour. Dans quelle mesure craignez-vous qu’une fois que les Casques bleus auront quitté une région ou un pays particulier, les mêmes problèmes d’insécurité, de violence et de chaos se reproduiront ?

Jean-Pierre Lacroix : C'est une préoccupation. La situation idéale est qu’une opération de maintien de la paix parte après l’aboutissement d’un processus politique, lorsqu’une solution politique durable a été trouvée avec le soutien des soldats de la paix. Nous comptons sur le soutien du Conseil de sécurité, des États membres ainsi que des organisations régionales et sous-régionales et de nombreux autres acteurs.

ONU Info : Et est-ce le cas en ce moment ?

Jean-Pierre Lacroix : Dans de nombreux pays dans le passé, ces solutions durables ont été obtenues avec le soutien des soldats de la paix. La liste en Afrique est très longue et comprend le Mozambique, la Namibie, l'Angola, la Sierra Leone, la Côte d'Ivoire et le Libéria.

Mais il est beaucoup plus difficile d’obtenir ces résultats aujourd’hui en raison du manque de soutien uni et déterminé à ces efforts politiques, en particulier de la part de nos États membres divisés. Je pense que c'est vraiment un défi majeur auquel nous devons faire face.

La salle du Conseil de sécurité lors d'une réunion sur la situation au Mali.
UN Photo/Eskinder Debebe
La salle du Conseil de sécurité lors d'une réunion sur la situation au Mali.
ONU Info : Nous parlons des divisions au Conseil de sécurité ?

Jean-Pierre Lacroix : Divisions au Conseil de sécurité, divisions parmi les membres, divisions au sein de la communauté internationale, qui se répercutent dans les différentes zones où nos soldats de la paix sont déployés.

ONU Info : Comment voyez-vous cela évoluer à l’avenir ? Si cette division persiste, comment cela affectera-t-il le maintien de la paix ?

Jean-Pierre Lacroix : Nous devons être clairs sur le fait que le rôle de l'ONU ne se limite pas au maintien de la paix, mais également à la paix et à la sécurité, et cela ne peut être aussi fort et efficace que l'engagement, le soutien et l'unité des États membres.

Cela ne signifie pas que nous ne devons pas continuer à déployer des efforts pour améliorer la manière dont nous menons nos missions de maintien de la paix et, plus généralement, nos opérations de terrain en faveur de la paix et de la sécurité. Mais en même temps, nous devons faire comprendre clairement à nos États membres que notre succès dépend en fin de compte du soutien uni que nous recevons de leur part.

Il doit y avoir un appétit et un engagement de la part de nos États membres pour des réponses multilatérales aux crises.