Fil d'Ariane
Les défis en RDC sont nombreux et complexes mais loin d’être insurmontables, selon l’envoyée de l’ONU
La République démocratique du Congo (RDC), où des élections générales doivent se dérouler le 20 décembre, est confrontée à des défis nombreux et complexes mais loin d’être insurmontables, a déclaré lundi l’envoyée de l’ONU dans ce pays devant le Conseil de sécurité.
« Nous sommes aujourd’hui à un tournant important des relations entre les Nations Unies et la RDC, mais également à un moment important pour le pays lui-même. La RDC est en pleine période électorale, à neuf jours d’un scrutin présidentiel, législatif national et provincial, et également local. Elle demande par ailleurs un retrait accéléré, ordonné et responsable de la MONUSCO, pour lequel un rapport spécial du Secrétaire général et un plan de désengagement conjoint vous ont été transmis avec ses recommandations », a souligné la Représentante spéciale du Secrétaire général en RDC, Bintou Keita, qui est aussi la cheffe de la Mission des Nations Unies dans ce pays, la MONUSCO.
Selon elle, « si les défis en RDC sont nombreux et complexes, ils sont loin d’être insurmontables » et « comme démontrent les débats actuels autour des élections générales, le peuple congolais nourrit une profonde aspiration à une gouvernance transparente et inclusive, aux réformes, ainsi qu’à la responsabilité de ses dirigeants ».
« Ces aspirations et toutes les forces qui les animent ont fait preuve d’une grande résilience et méritent le plein soutien de la communauté internationale », a-t-elle ajouté, plaidant pour le renouvellement du mandat de la MONUSCO pour permettre « de poursuivre cet effort conjoint, dans un esprit de respect mutuel et de confiance ».
Appui logistique de la MONUSCO aux élections
S’agissant des préparatifs des élections, elle a indiqué qu’ils avancent bien d’après la Commission électorale nationale indépendante (CENI), malgré d'importants défis logistiques, financiers et sécuritaires.
Comme demandé par la CENI, et conformément à son mandat, la MONUSCO a apporté un appui logistique dans les provinces où elle opère encore. Cinquante tonnes de matériel électoral ont jusqu'à présent été transportées vers diverses localités de l'Ituri, du Nord et du Sud-Kivu.
Selon l’envoyée de l’ONU, la validation de 26 candidats à la présidentielle par la CENI et la Cour constitutionnelle, dont deux candidates féminines, a été « un signe tangible d'inclusivité, qui doit être apprécié et salué ».
« Néanmoins, l’opposition et la société civile continuent d’entretenir de sérieuses inquiétudes quant à la publication des listes électorales, qui n’a pas été faite dans tous les bureaux de vote au 5 décembre, comme l’exige la loi », a-t-elle noté, ajoutant que « la qualité des cartes d'électeurs, la difficulté d'obtenir des duplicata dans tout le pays, l'insuffisance de communication sur les modalités de vote pour ceux dont les cartes sont défectueuses ou ne se retrouvent pas sur la liste électorale alimentent la méfiance des acteurs électoraux ».
Mme Keita a également indiqué qu’alors que la campagne électorale a débuté de manière relativement pacifique, la plupart des candidats à la présidentielle ayant pu parcourir le pays, de violents affrontements entre partisans des partis politiques rivaux ont lieu dans de nombreuses provinces.
« Les femmes dirigeantes et candidates politiques ont continué de faire l’objet d’intimidations ainsi que d’attaques misogynes physiques et verbales visant à décourager leur participation pleine et active à la vie publique. La MONUSCO, en collaboration avec les agences, fonds et programmes des Nations Unies et d'autres partenaires, a continué à soutenir les femmes et les jeunes qui sont candidats, observateurs et témoins des partis, dans le but d'accroître la participation des femmes et des jeunes au processus électoral », a-t-elle dit.
Elle s’est déclaré également alarmée par la prolifération de la désinformation ainsi que des discours de haine, en ligne et hors ligne, dans le contexte de la campagne électorale et a appelé toutes les parties prenantes à s’abstenir de telles pratiques et exhorté le gouvernement à demander des comptes aux responsables.
Détérioration de la situation dans le sud du Nord-Kivu
L’envoyée de l’ONU a noté que l’Est du pays, et notamment les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu, fait toujours face « à une crise sécuritaire et humanitaire extrêmement éprouvante pour ses populations, et à des tensions régionales persistantes ».
La situation sécuritaire, humanitaire et des droits de l’homme s’est détériorée dans le sud de la province du Nord-Kivu, notamment suite à la reprise des hostilités entre les Forces armées congolaises et le groupe armé M23 depuis le mois d’octobre, et l’offensive du M23 dans le territoire de Masisi, suite au début du retrait des troupes de la Force de la Communauté de l’Afrique de l’Est.
Les tensions entre la RDC et le Rwanda restent également très vives et le risque d’une escalade militaire entre les deux pays demeure important malgré les efforts régionaux et internationaux d’apaisement des tensions.
Bintou Keita s’est dit toujours préoccupée par la montée récente de tensions entre le Rwanda et le Burundi, suite à l’engagement des forces burundaises contre le M23 au Masisi, et a appelé à l’apaisement pour éviter toute escalade.
A la demande du gouvernement congolais, le mandat de la force régionale de la Communauté de l’Afrique de l’Est n’a pas été prolongé au-delà du 8 décembre et celle-ci a entamé son retrait. En parallèle, la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) se prépare au déploiement dans les semaines qui viennent d’une nouvelle force, la SAMIRDC, qui devrait être dotée d’un mandat offensif.
« Ces efforts régionaux sont louables. Toutefois, ils ne pourront atteindre leurs objectifs sans l’investissement continu et soutenu du gouvernement congolais dans les processus politiques régionaux, nationaux et locaux de résolution des conflits à l’Est du pays », a-t-elle estimé.
Outre l’insécurité persistante et croissante dans l’Est de la RDC, Bintou Keita a souligné l’émergence de nouvelles poches d’insécurité dans d’autres régions du pays, notamment dans la région du Grand Katanga ainsi que dans les provinces du Maï-Ndombe et de la Tshopo.
Aggravation de la crise humanitaire
La Représentante spéciale a noté que l’insécurité dans l’Est du pays a aggravé la crise humanitaire actuelle. Selon le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), plus de 6,3 millions de personnes sont déplacées à l'intérieur du pays, la grande majorité d'entre elles, 5,5 millions, dans les seules trois provinces de l'Est. Selon les chiffres préliminaires, plus de 500.000 personnes ont fui leurs foyers, suite à la reprise des hostilités entre le M23 et les Forces armées congolaises depuis début octobre.
Parallèlement, les épidémies de choléra et de rougeole ont continué d'exacerber la situation humanitaire précaire, les taux de transmission du choléra étant quatre fois plus élevés que l'année précédente. Les incidences de violences basées sur le genre et d'exploitation sexuelle ont atteint des niveaux alarmants, avec plus de 90.000 cas documentés depuis le début de l'année, dont 39.000 dans le seul Nord-Kivu. « C'est totalement inacceptable », a dit Mme Keita.
Elle a observé qu'en novembre, le plan de réponse humanitaire du pays pour 2023 restait considérablement sous-financé, avec seulement 37,5 % des 2,25 milliards de dollars requis jusqu’à présent. Elle a exhorté vivement les donateurs à fournir les ressources nécessaires pour garantir que l’aide humanitaire parvienne à ceux qui en ont besoin.
Plan de désengagement de la MONUSCO
Avec le retrait accéléré de la Mission, la MONUSCO, en collaboration avec l’équipe de pays des Nations Unies, explore des options alternatives pour assurer la continuité de l’aide humanitaire au-delà de la présence de la Mission, a précisé Mme Keita.
Elle a salué la récente déclaration de la Présidence du Conseil de sécurité, « qui a marqué le début d'une nouvelle phase de coopération constructive avec le gouvernement » congolais. En réponse à la demande faite par le gouvernement congolais d'un retrait accéléré de la MONUSCO à partir de la fin de 2023, le Conseil de sécurité s'est déclaré, le 16 octobre 2023, « prêt à décider, d'ici la fin de 2023, de l'avenir de la MONUSCO, de son retrait progressif, responsable et durable et des mesures concrètes et réalistes à prendre en priorité pour mener à bien ce retrait ».
Après des semaines de consultations intensives entre le gouvernement et la MONUSCO, Bintou Keita a signé avec le Vice-Premier Ministre et ministre des Affaires étrangères, Christophe Lutundula, un Plan conjoint de désengagement le 21 novembre 2023, qui a été soumis au Conseil de sécurité le 23 novembre.
Tout au long de ce processus, la MONUSCO devra se concentrer sur les principales priorités de son mandat, a-t-elle dit, citant notamment la protection des civils et le programme de Désarmement, démobilisation et réintégration, « qui restent essentiels pour créer un environnement propice à un désengagement durable ».
Elle a appelé les membres du Conseil et la communauté internationale dans son ensemble à veiller à ce que tout le soutien nécessaire, y compris le soutien financier, soit fourni aux agences, fonds et programmes des Nations Unies afin qu'ils puissent poursuivre leur soutien dans les domaines concernés, aux autorités et institutions congolaises.
Enfin, elle a réitéré, les efforts sans relâche de la MONUSCO pour prévenir et améliorer sa réponse aux cas d'exploitation et d'abus sexuels impliquant des membres de son personnel. Cela comprend des initiatives d’évaluation des risques et de prévention, des actions d’enquête rapides et la fourniture en temps opportun d’un soutien aux victimes, a-t-elle précisé.