Fil d'Ariane
La Corée du Sud n'a pas défendu des Philippines victimes d'exploitation sexuelle, selon l’ONU
La République de Corée, appelée aussi Corée du Sud, a violé les droits de trois Philippines contraintes à se prostituer. Elles n'ont ni été identifiées comme victimes, ni pu se défendre en justice, révèle ce vendredi le Comité des Nations Unies sur l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes (CEDAW).
Le Comité a publié sa décision après avoir examiné la plainte déposée par trois femmes philippines entrées en République de Corée avec un visa spécial, destiné à l'industrie du divertissement. Toutes ont été embauchées comme chanteuses à l'été 2014, deux d'entre elles par des agences de recrutement et la troisième via un concours de chant et un entretien de visa à l'ambassade de la République de Corée, à Manille. Les trois femmes avaient prévu de travailler comme animatrices, mais ont fini par travailler comme serveuses au Golden Gate Club de Séoul.
D'abord tenues confinées, elles ont ensuite été forcées de fournir des services sexuels aux clients. Le propriétaire du club avait confisqué leurs passeports et eu recours à des violences psychologiques ainsi que physiques à leur encontre.
Des victimes « traitées comme des criminelles »
Arrêtées en mars 2015 lors d’une descente de police au Golden Gate Club, les trois femmes ont été interrogées pour prostitution. « Elles ont d'abord été traitées comme des criminelles plutôt que comme des victimes d'actes criminels », a réagi la membre du CEDAW, Corinne Dettmeijer-Vermeulen.
« D'après les informations dont nous disposons, de nombreux indices indiquaient qu’il y avait trafic : la confiscation de leurs passeports, l'attitude craintive du propriétaire du club ainsi que leur visa spécial. La police et les agents d'immigration auraient dû s’en rendre compte », a-t-elle ajouté.
Les trois Philippines ont déclaré à la police être victimes de traite, mais n'ont été interrogées que pour prostitution. Aucun agent de l'immigration ou de la police ne leur a demandé si elles avaient été harcelées sexuellement ou si leurs droits avaient été violés d'une autre manière.
Au sortir d’une période de détention de 40 jours, elles ont chacune reçu un ordre d'expulsion, en avril 2015. Or une expulsion vers les Philippines aurait ruiné leurs chances de poursuivre les auteurs des crimes devant la justice coréenne, ce qui était pourtant essentiel à leur réhabilitation.
Elles ont déposé un recours auprès du tribunal administratif de Séoul en mai 2015 contre leur arrêté d'expulsion, recours rejeté en 2017. Leurs appels ultérieurs devant la Haute Cour de Séoul et la Cour suprême ont également été rejetés en 2018.
Attitudes stéréotypées de la part de la police
Après avoir épuisé tous les recours légaux en République de Corée, les trois victimes ont alors déposé une requête auprès du CEDAW, affirmant que la Corée était responsable de la faillite des autorités chargées d'appliquer la loi ainsi que de leur absence d’enquête efficace sur les violences basées sur le genre.
Elles ont aussi plaidé que l'ordre d'expulsion les empêchait de participer efficacement aux procédures judiciaires en Corée, en raison de préjugés sexistes et de discriminations du pouvoir judiciaire au cours des procédures pénales et administratives.
Le Comité a constaté des discriminations tout au long de l'enquête et du processus judiciaire des victimes. La Corée n’a pas garanti l’accès des victimes à la justice et à des recours adéquats, violant ainsi leurs droits en vertu de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, a aussi constaté le CEDAW.
Réformes nécessaires
« Nous avons observé de lourds préjugés de la part de la police et des tribunaux, qui ont bâclé leur identification des victimes de la traite », a détaillé Corinne Dettmeijer-Vermeulen. « Les femmes ont été victimes une seconde fois en se voyant refuser un accès à la justice », a ajouté la représentante du CEDAW, qui a demandé à la Corée d'accorder une réparation intégrale aux victimes et recommandé à l'État de réviser le régime actuel des visas, ainsi que de renforcer le contrôle des sociétés de divertissement recrutant des ressortissantes étrangères.
Le CEDAW a en outre recommandé à la Corée de s'attaquer aux effets collatéraux négatifs des efforts de lutte contre la traite, en veillant à ce que des femmes et des filles innocentes ne soient pas arbitrairement arrêtées, maltraitées ou faussement inculpées, et à ce qu’elle intensifie les enquêtes contre les auteurs impliqués dans la traite des personnes à des fins d'exploitation sexuelle.