Fil d'Ariane
Banksy ravive la flamme de la culture sur les ruines d'une banlieue ukrainienne
Une œuvre de street art réalisée par Banksy, graffeur célèbre dans le monde entier, est apparue sur le mur d'une maison endommagée de Borodianka, dans la banlieue de la capitale ukrainienne Kyïv. C'était au début du printemps 2022, après la retraite de l'envahisseur russe.
L'œuvre d'art - une ballerine en équilibre précaire sur les décombres - a consolidé la réputation de Borodianka comme phare de la résilience. Malgré la célébrité soudaine de Borodianka, les efforts déployés par les artistes, musiciens et bibliothécaires locaux pour faire revivre leur ville natale bien-aimée sont longtemps demeurés méconnus hors de l'Ukraine.
Aujourd'hui, des activités culturelles - dont l'une est soutenue par l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) des Nations Unies - attirent des centaines de fans. Des chorales chantent de nouveau. Des artistes locaux bien inspirés créent de l'art et l'enseignent.
Renaissance et résilience
Natalia Vyshynska s'est engagée à relancer la vie culturelle dans la ville. Avec ses collègues, elle a organisé plusieurs manifestations ouvertes au public depuis l'année dernière.
« Nous n'utilisons pas encore le mot « concert », explique-t-elle. Nous utilisons le vocable « événement public avec représentations musicales ». Les concerts viendront après la victoire... »
Mme Vyshynska, qui participe à cette renaissance et à cette résilience, dirige le département culturel de Borodianka depuis près de vingt ans. Elle travaille dans le centre culturel local. Encore marqué par les frappes, il est situé à côté de maisons détruites lors de bombardements dévastateurs de mars 2022.
Malgré les dangers de la guerre, elle demeure entièrement dévouée à ses collègues et à son travail si riche de sens. Elle est même retournée au bureau deux jours après l'invasion, pour s'assurer que le personnel recevrait son salaire.
Depuis avril 2022, elle et ses collègues ont travaillé dans des bureaux aux fenêtres brisées, recouvertes d'un film plastique.
Une ville en ruines
Mme Vyshynska ainsi que son mari, sa belle-fille et ses deux petites-filles se sont réfugiés dans une cave, où ils ont survécu à des semaines de combats acharnés. Finalement, la famille a pu fuir les combats et s'est brièvement installée dans l'ouest de l'Ukraine.
À leur retour à Borodianka, ils ont fait face à une ville en ruines. Sur ses 26 établissements culturels, 18 ont été endommagés ou détruits, soit 95 % des installations et des biens du département culturel, dont une école d'art.
« Tous les instruments de musique, y compris un piano à queue, ont été détruits », a-t-elle déclaré. « Nous avions conservé un violon de 1826 dans une coque protectrice mais il a brûlé. Seule la clef du violon en métal, roussie par les flammes, a été retrouvée dans les décombres ».
La vie avant la guerre
Avant l'invasion russe, Mme Vyshynska et ses collègues travaillaient à la modernisation des institutions culturelles de Borodianka, une ville d'environ 13.000 habitants avant la guerre.
Grâce à sa formation en psychologie, elle a transformé un cours de couture local en un théâtre de mode. Les élèves ont pu monter sur scène, présenter leurs créations, gagner en confiance et surmonter leurs craintes de montrer leurs créations au public.
Avant la guerre, les bibliothécaires de la ville aidaient les personnes âgées à développer leurs compétences numériques.
Le retour
Alors que de nombreux jeunes sont partis pour trouver une sécurité et un emploi ailleurs, un flux régulier revient depuis que le gouvernement ukrainien a repris le contrôle de Borodianka et des régions septentrionales du pays.
De nombreuses personnes déplacées décident de rentrer, alors même que la guerre se poursuit. La plupart des personnes qui reviennent ont entre 40 et 50 ans, a déclaré Mme Vyshynska.
« Ils chantent maintenant »
Tout en reconnaissant que certaines personnes peuvent encore trouver des manifestations publiques inappropriées, elle a déclaré que pour les centaines de participants et pour ceux qui les organisent, tout cela a un sens.
« Beaucoup de nos chanteurs ont perdu leurs proches, beaucoup ont perdu leur maison », a-t-elle déclaré. « Ils n'ont pas pu chanter pendant un certain temps. Certains ont eu besoin de deux mois, d'autres de trois. Ils se sont débrouillés. Mais ils chantent maintenant. »
Faire face à la mort et à la perte est une réalité pour la ville. « Nous allons au cimetière, nous pleurons et nous nous souvenons de nos morts », dit-elle. « Je pense qu'ils aimeraient que la vie continue à Borodianka ».
Le pouvoir réparateur de l'art
Mme Vyshynska et son équipe continuent d'associer des psychologues à leurs efforts, en particulier auprès des enfants.
« Les enfants ont peur de mourir, d'être blessés, de perdre leurs parents et leur maison », explique-t-elle. « En utilisant le dessin, la musique et les jeux, ils peuvent exprimer leurs peurs et leurs expériences traumatisantes, et nous les aidons à surmonter ces émotions difficiles et à poursuivre leur vie ».
Les membres de sa communauté lui donnent de la force et la rendent fière. Elle peut citer de nombreux exemples. Comme l'historien local, Valentyn Moiseenko. Il a miraculeusement survécu aux bombardements de Borodianka avec sa femme, dont la mobilité est réduite. Le couple a passé des semaines à s'abriter dans un sous-sol. En souvenir de cette époque, il a écrit un livre sur cette période où la ville était sous le contrôle de l'armée russe et au centre de violents combats.
Svitlana Vyskochy, une artiste locale qui crée des œufs de Pâques décorés appelés « pysankas », est une autre source d'inspiration. Chaque semaine, elle dispense des cours pour les patients de l'hôpital, y compris les personnes amputées.
« La culture est toujours debout à Borodianka »
L'équipe de Mme Vyshynska a aussi produit des broches ornés du célèbre coq en maïolique et des mots « La culture est toujours debout à Borodianka. »
Le centre culturel de la ville bénéficie de subventions d'entreprises et d'organisations internationales.
Un projet soutenu par l'OIM, avec un financement de la République de Corée et du Canada, contribue à la rénovation d'un musée, ainsi qu'à créer un espace pour les jeunes familles, à acheter du matériel pour une bibliothèque locale et à fournir une grande tente qui permettra à l'équipe de Mme Vyshynska d'offrir des services aux habitants touchés par la guerre. Avec le soutien de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), Mme Vyshynska et d'autres membres de la communauté ont pris part à des sessions de dialogue inclusives, au cours desquelles ils ont pu collectivement façonner l'avenir de leur communauté par le biais de projets de changement social.
Avec des volontaires de toute l'Ukraine, ils ont appliqué ces compétences pour transformer leur centre culturel, afin que Borodianka puisse continuer à célébrer la culture pour les générations à venir.