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Haïti : l'ONU juge nécessaire de tenir des élections alors que sévit la violence des gangs

Dans un contexte de situation sécuritaire détériorée par la violence des bandes armées, les élections sont cruciales pour l'Etat de droit en Haïti, a déclaré, ce lundi, la Représentante spéciale des Nations Unies dans le pays, María Isabel Salvador, devant le Conseil de sécurité.

« Les élections sont la seule voie et le seul impératif pour restaurer les institutions démocratiques en Haïti. Seules la démocratie et la primauté du droit peuvent constituer la base à partir de laquelle Haïti peut progresser vers le développement et la croissance », a-t-elle ajouté.

La Représentante, qui dirige également le Bureau des Nations Unies en Haïti (BINUH), a par ailleurs souligné « l'importance énorme » de la récente résolution du Conseil autorisant le déploiement d'une mission multinationale de soutien pour aider la police nationale, et a salué une autre résolution sur l'embargo sur les armes.

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La violence endémique des gangs, qui touche principalement la capitale, Port-au-Prince, est un nouveau défi pour Haïti, où près de la moitié de la population, soit environ 5 millions de personnes, a besoin d'une aide humanitaire.  Ces dernières années, la nation caribéenne a été frappée par une épidémie de choléra, des tremblements de terre, des cyclones, ainsi que par l'assassinat de son Président Jovenel Moïse, en juillet 2021.

Augmentation catastrophique de la criminalité

Mme Salvador a indiqué que les crimes graves sont en forte augmentation, atteignant de nouveaux records. L'enlèvement en plein jour, la semaine dernière, du chef du Haut Conseil de transition - l'organe chargé de préparer les élections attendues de longue date - par des membres de gangs déguisés en officiers de police, en constitue le dernier exemple.

« Les meurtres et les violences sexuelles, y compris les viols collectifs et les mutilations, continuent d'être utilisés par les gangs tous les jours et dans le contexte d'un soutien inefficace des services aux victimes ou d'une réponse robuste de la justice », a commenté la Cheffe du BINUH.

Les activités des groupes d'autodéfense ont rendu la crise sécuritaire encore plus complexe. Le BINUH a enregistré le lynchage de près de 400 membres présumés de gangs par le mouvement dit « Bwa Kale » entre la fin avril et la fin septembre.

Un chemin tortueux vers des élections

Entre-temps, Mme Salvador a poursuivi son engagement en faveur d'une « voie vers les élections afin de rétablir pleinement les institutions démocratiques et l'État de droit ». Bien que les consultations interhaïtiennes aient repris sous les auspices du bloc régional de la Communauté des Caraïbes (CARICOM), elle s'est inquiétée du fait que « les efforts en vue des élections n'avancent pas au rythme souhaité ».

Elle a aussi souligné que le rétablissement du contrôle de la police nationale haïtienne est une condition préalable à l'organisation d'un scrutin crédible et inclusif, et que le déploiement de la Mission multinationale d'appui apporterait de l'espoir.  

« La Police nationale d'Haïti (PNH) ne pourra obtenir des résultats durables que lorsque la sécurité publique sera rétablie et que l'Etat reprendra ses fonctions, en particulier dans les quartiers défavorisés où sévissent les gangs », a-t-elle déclaré.

Maria Isabel Salvador, Représentante spéciale du Secrétaire général pour Haïti informe le Conseil de sécurité de la situation dans le pays.
UN Photo/Manuel Elias
Maria Isabel Salvador, Représentante spéciale du Secrétaire général pour Haïti informe le Conseil de sécurité de la situation dans le pays.

Recrutement d'enfants et violences sexuelles

Environ 2 millions de personnes en Haïti vivent dans des zones contrôlées par des groupes armés, qui étendent leurs opérations, a quant à elle déclaré Catherine Russell, la Directrice du Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF), dans son exposé au Conseil. 

Mme Russell a rapporté que des enfants sont blessés ou tués dans les tirs croisés, même sur le chemin de l'école. D'autres sont enrôlés de force dans des gangs ou les rejoignent par pur désespoir, tandis que les femmes et les jeunes filles sont confrontées à des niveaux extrêmes de violences sexistes et sexuelles.

Mme Russell a raconté s'être rendue en Haïti en juin dernier, où elle a rencontré dans un centre pour survivants de violences sexuelles une fillette enceinte de 11 ans. Cinq hommes l'avaient enlevée l'an dernier alors qu'elle marchait dans la rue, et trois d'entre eux l'ont violée à tour de rôle.

« Plusieurs femmes du centre ont raconté que des hommes armés s'étaient introduits chez elles, les avaient violées - dans un cas, devant ses enfants - et avaient ensuite mis le feu à leur maison. Dans certaines régions, des abus et des crimes aussi horribles sont désormais monnaie courante », a déclaré Mme Russell. 

Un enfant mange des aliments thérapeutiques prêts à l'emploi dans un centre de santé et de nutrition à Port-au-Prince, en Haïti.
© UNICEF/Georges Harry Rouzier
Un enfant mange des aliments thérapeutiques prêts à l'emploi dans un centre de santé et de nutrition à Port-au-Prince, en Haïti.

Crise alimentaire et nutritionnelle

Les groupes armés ont également coupé les principales routes reliant la capitale au reste d'Haïti, où réside la majeure partie de la population, détruisant les moyens de subsistance et limitant l'accès aux services essentiels.

Mme Russell a souligné que ce « mélange de conditions préjudiciables à la vie » a provoqué une crise de la sécurité alimentaire et de la nutrition qui va en s'aggravant, avec plus de 115 000 enfants souffrant d'émaciation sévère - une augmentation de 30% par rapport à l'année dernière.

Près d'un quart des enfants haïtiens souffrent de malnutrition chronique, sans compter l'épidémie de choléra sévissant actuellement, qui met encore plus de jeunes vies en danger.

Catherine M. Russell, Directrice exécutive du Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF), informe le Conseil de sécurité de la situation en Haïti.
UN Photo/Manuel Elias
Catherine M. Russell, Directrice exécutive du Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF), informe le Conseil de sécurité de la situation en Haïti.

L'intervention humanitaire se poursuit

Bien que la violence touche également les travailleurs humanitaires sur le terrain, Mme Russell a pointé que l'UNICEF et ses partenaires continuaient d'intervenir en Haïti. La semaine dernière, ils ont pu obtenir la libération de près de 60 enfants détenus par des groupes armés qui occupaient une école, à Port-au-Prince.

Soutenant que la Mission multinationale d'appui jouera un rôle essentiel dans l'amélioration de la sécurité, elle l'a dans le même temps exhortée à accorder une attention particulière à la protection des enfants, des femmes, des personnes handicapées et des autres groupes vulnérables.

Afflux d'armes illicites

Gada Waly, Cheffe de l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), a informé le Conseil que la violence des gangs était favorisée par des « armes à feu sophistiquées » introduites illégalement en Haïti.

La demande est liée au fait que les groupes criminels ont besoin de renforcer le commerce lucratif des drogues illégales, le pays restant une destination de transit pour la cocaïne et le cannabis.

« L'arrêt du flux d'armes à feu illicites en Haïti et l'établissement d'un cadre réglementaire solide pour les armes à feu sont des mesures impératives pour les autorités haïtiennes afin d'affirmer leur contrôle et de rétablir la normalité », a-t-elle appuyé.

Par terre et par mer 

Mme Wady a par ailleurs exhorté la communauté internationale à aider Haïti à atteindre ces objectifs, parallèlement au déploiement de la Mission multinationale d'appui.

Le dernier rapport de l'ONUDC a identifié quatre routes maritimes et terrestres principales pour les flux illicites d'armes à feu et de munitions vers Haïti, qui proviennent principalement des États-Unis, y compris par le biais d'une expédition directe dans des conteneurs à Port-au-Prince.

Les armes sont également envoyées des États-Unis vers les régions du nord et transportées par voie terrestre vers les villes côtières, puis vers les quais contrôlés par les gangs ou les trafiquants, avant d'être finalement débarquées dans la capitale.

Un autre itinéraire terrestre passe par deux postes-frontières avec la République dominicaine, utilisés principalement pour le trafic de munitions. Le dernier itinéraire passe par Cap-Haïtien, une ville située sur la côte nord, où de plus petites quantités d'armes sont dissimulées dans les effets personnels des personnes traversant la frontière en voiture ou à pied.