Fil d'Ariane
Gaza : l’ordre d’évacuation d’Israël pourrait constituer un « transfert forcé de civils », selon l’ONU
Au onzième jour des hostilités entre Israël et le Hamas et alors que les violences se poursuivent de « manière presque ininterrompue », le siège de Gaza par Israël et son ordre d’évacuation pourraient s’apparenter à un transfert forcé de civils et constituer une violation du droit international, a indiqué mardi le Bureau des droits de l’homme des Nations Unies.
« Nous sommes préoccupés par le fait que cet ordre, combiné à l’imposition d’un siège complet de Gaza, pourrait ne pas être considéré comme une évacuation temporaire légale et constituerait donc un transfert forcé de civils en violation du droit international », a déclaré lors d’une conférence de presse régulière de l’ONU à Genève, Ravina Shamdasani, porte-parole du Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme (HCDH).
Selon les services du Haut-Commissaire Volker Türk, le droit international exige que toute évacuation temporaire légale d’une zone par Israël, en tant que puissance occupante, pour des raisons de sécurité de la population ou des raisons militaires impératives, s’accompagne de la mise à disposition d’un logement convenable pour toutes les personnes évacuées, dans des conditions satisfaisantes d’hygiène, de santé, de sécurité et de nutrition.
Or « il semble qu’Israël n’ait rien fait » pour s’assurer que les civils temporairement évacués à Gaza soient correctement logés et bénéficient de conditions satisfaisantes en matière d’hygiène, de santé, de sécurité et de nutrition.
Violations des lois de la guerre et du droit international
De plus, le HCDH demande une « enquête indépendante et approfondie » sur les informations consternantes selon lesquelles des civils qui tentaient de se réinstaller dans le sud de Gaza ont été frappés et tués par une arme explosive. « Ceux qui ont réussi à se conformer à l’ordre d’évacuation des autorités israéliennes sont maintenant pris au piège dans le sud de la bande de Gaza, avec peu d’abris, des réserves de nourriture qui s’épuisent rapidement, peu ou pas d’accès à l’eau potable, à l’assainissement, aux médicaments et à d’autres besoins fondamentaux ».
« Nous demandons instamment aux forces israéliennes d’éviter de prendre pour cible des civils et des biens de caractère civil ou de mener des bombardements de zone, des attaques aveugles ou disproportionnées, et de prendre des précautions pour éviter, et en tout état de cause pour réduire au minimum, les pertes en vies humaines dans la population civile, les blessures infligées aux civils et les dommages causés aux biens de caractère civil », a ajouté Mme Shamdasani.
Avec 4.200 personnes tuées, plus d’un million de personnes déplacées en seulement 10 jours, et de vastes zones de la bande de Gaza réduites à l’état de ruines, le Haut-Commissariat a de sérieuses craintes quant au bilan des civils dans les jours à venir. D’autant que les opérations militaires ne montrent aucun signe d’apaisement, et il y a « des indications quotidiennes de violations des lois de la guerre et du droit international en matière de droits de l’homme ».
Des stocks de réserve du PAM dans la ville égyptienne d’Al-Arish
Le bilan comprend un grand nombre de femmes et d’enfants, ainsi qu’au moins 11 journalistes palestiniens, 28 membres du personnel médical et 14 collègues des Nations Unies.
« On ne sait toujours pas combien de corps supplémentaires pourraient être ensevelis sous les décombres, et de nombreuses familles sont privées de leurs proches, terrifiées par l’incertitude de leur sort », a fait valoir Mme Shamdasani.
De son côté, le Programme alimentaire mondial (PAM) a déclaré que ses réserves de nourriture dans la bande de Gaza s’épuisaient mais qu’il stockait des réserves dans la ville égyptienne d’Al-Arish, située à proximité de l’enclave palestinienne. L’agence onusienne espère accéder aux personnes dans le besoin et « traverser dès que l’accès à la frontière serait autorisé ».
Les camions transportant des fournitures se sont dirigés vers le point de passage de Rafah en Égypte, le seul point d’accès à l’enclave palestinienne hors du contrôle d’Israël, bien qu’il ne soit pas certain qu’ils puissent traverser.
« Nous demandons un accès sans entrave, un passage sûr pour les fournitures humanitaires dont Gaza a désespérément besoin », a déclaré Abeer Etefa, porte-parole du bureau régional du PAM pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.
Des contraintes majeures dans la fourniture de l’aide humanitaire
Du côté du Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA), on estime que l’ensemble des agences et du personnel humanitaires ont été confrontés à des « contraintes majeures dans la fourniture de l’aide humanitaire », en raison des frappes aériennes, des restrictions de mouvement et des pénuries d’électricité, de carburant, d’eau, de médicaments et d’autres articles essentiels.
« L’insécurité qui règne empêche l’accès en toute sécurité aux personnes dans le besoin et aux installations essentielles, telles que les entrepôts », a détaillé OCHA dans son dernier rapport sur la situation humanitaire dans les territoires occupés palestiniens.
Malgré ces conditions difficiles, les acteurs humanitaires travaillent 24 heures sur 24 pour venir en aide aux plus vulnérables. La principale opération consiste à accueillir les personnes déplacées dans les écoles de l'Agence des Nations Unies chargée des réfugiés palestiniens (UNRWA), où des aliments de base, des médicaments et un soutien sont fournis afin de préserver la dignité et une lueur d’espoir.
D’autres interventions comprennent la distribution de nourriture et d’argent aux personnes déplacées et de combustible d’urgence pour les installations sanitaires et d’eau, des lignes d’assistance psychosociale et une campagne médiatique de sensibilisation aux risques liés aux munitions non explosées.
Toutefois, « la portée des opérations restera limitée en l’absence d’une pause humanitaire, de l’ouverture des points de passage avec Israël et l’Égypte et d’un financement important de la réponse humanitaire », a souligné OCHA.
L'UNRWA estime qu’un million de personnes ont été déplacées dans la bande de Gaza. Quelque 600.000 personnes se trouvent dans la zone intermédiaire, à Khan Younis et à Rafah, dont près de 400.000 dans les abris d’urgence de l'UNRWA. La base logistique de l’UNRWA à Rafah accueille aujourd’hui près de 8.000 personnes et leur nombre ne cesse d’augmenter.
164 écoles touchés par des raids
Malgré l’ordre d’évacuation des forces israéliennes, un nombre indéterminé de personnes déplacées restent dans les écoles de l’UNRWA dans le nord. « L’UNRWA n’est plus en mesure d’aider ou de protéger les personnes déplacées dans ces zones et ne dispose pas d’informations sur leurs besoins et leur situation », a indiqué l’agence onusienne.
Au moins 1.300 personnes, pour la plupart civiles, ont été tuées en Israël depuis l’attaque, lancée samedi 7 octobre, depuis la bande de Gaza par le Hamas.
Le nombre de morts à Gaza est, lui, monté à 2.670, selon un dernier bilan du ministère pal
estinien de la Santé, soit « une moyenne de 267 par jour, soit 11 par heure ». Quatorze membres du personnel de l’UNRWA ont malheureusement été tués depuis le 7 octobre. Il s’agit de rapports confirmés, mais le nombre est probablement plus élevé.
Sur le terrain, l’ampleur des dégâts subis par les infrastructures éducatives et autres infrastructures civiles « à la suite des bombardements est également de plus en plus préoccupante ». Selon un décompte effectué le 16 octobre, 164 établissements d’enseignement avaient été touchés par des frappes aériennes, dont au moins 20 écoles de l’UNRWA, dont deux étaient utilisées comme abris d’urgence pour les personnes déplacées, et 140 écoles de l’Autorité palestinienne, dont l’une a été détruite.
Attaques contre les soins de santé
Un bâtiment universitaire a également été gravement endommagé, au moins onze mosquées ont été visées et détruites, et sept églises et mosquées ont été endommagées.
L’UNRWA fait état de 24 rapports confirmés de ses installations touchées par les frappes aériennes et les bombardements à Gaza. « Le nombre réel est probablement plus élevé ».
Selon le ministère des Travaux publics de Gaza, au 14 octobre, plus de 8.800 logements ont été détruits et 5.400 logements ont été endommagés et rendus inhabitables.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a recensé 48 attaques contre les soins de santé dans la bande de Gaza depuis le 7 octobre, qui ont endommagé 24 hôpitaux et autres installations de soins de santé, dont six hôpitaux. Dans ce lot, trois d’entre eux situés dans le nord de la bande de Gaza (Beit Hanoun, Hamad Rehabilitation et Ad Dura), ont dû être évacués.
Approvisionnement en eau pendant trois heures à Khan Younis
Par ailleurs, le siège de Gaza se poursuit. Selon OCHA, le point de passage de Rafah est resté fermé, empêchant l’entrée de l’aide humanitaire désespérément nécessaire, notamment la nourriture, l’eau et les médicaments qui attendent du côté égyptien.
De plus, l’enclave palestinienne subit « une coupure totale d’électricité pour le sixième jour consécutif ». Dans ces conditions, les hôpitaux sont au bord de l’effondrement car les réserves de carburant utilisées pour faire fonctionner les générateurs de secours ont été « presque totalement épuisées », « mettant en danger la vie de milliers de patients ».
Néanmoins, les autorités israéliennes ont repris partiellement dimanche l’approvisionnement en eau de la zone orientale de Khan Younis. Mais l’UNRWA rappelle que la ligne d’eau a été ouverte lundi pendant trois heures seulement dans le sud de la bande de Gaza, alimentant en eau seulement la moitié de la population de Khan Yunis (près de 100.000 personnes).
« Cela ne résout pas les besoins urgents en eau dans d’autres parties de Khan Yunis, de la zone intermédiaire et de Rafah », a ajouté l’agence onusienne, relevant que seulement 14 % de la population de la bande de Gaza a bénéficié de l’ouverture de la ligne d’eau en trois heures.
Compte tenu de l’effondrement de la quasi-totalité des services d’eau et d’assainissement à Gaza, le groupe WASH, dirigé par l’UNICEF, a déclaré que la population « court un risque imminent de décès ou d’épidémie de maladies infectieuses si l’eau et le carburant ne sont pas immédiatement autorisés à entrer dans la bande de Gaza ». Pour l’agence onusienne, 600.000 litres de carburant sont nécessaires chaque jour à Gaza pour faire fonctionner les usines de production d’eau et de désalinisation.