Fil d'Ariane
Afghanistan : l’envoyée de l’ONU appelle à maintenir le dialogue, sans cautionner le régime taliban
La cheffe de la mission des Nations Unies en Afghanistan (MANUA), Roza Otunbayeva, a dressé, mardi devant le Conseil de sécurité, un constat accablant des violations des droits humains et des droits des femmes, mais assuré que seul le dialogue peut contribuer à changer les politiques brutales des Talibans.
« Aujourd’hui, en Afghanistan, une fille va naître ». Roza Otunbayeva a entamé son discours devant le Conseil de sécurité par ces mots émouvants issus de l’allocution de Kofi Annan lors de la remise de son prix Nobel en décembre 2001.
A l’époque, le Secrétaire général de l’ONU ne cachait pas que cette enfant verrait le jour « à des siècles de la prospérité accordée à une petite partie de l’humanité ».
Vingt-deux ans plus tard, Roza Otunbayeva a encore trouvé dans ces propos matière à de douloureuses questions : « Qui est cette fille aujourd’hui ? Est-elle une étudiante contrainte à l’exil pour poursuivre ses études ? Est-elle une professionnelle qualifiée, maintenant confinée chez elle ? Ou est-elle, comme la jeune femme qu’une équipe de la MANUA a rencontrée récemment dans le sud-ouest de l’Afghanistan : la fille d’une mère veuve, une fille qui n’était jamais allée à l’école à cause du conflit et dont la principale préoccupation quotidienne est de trouver de l’eau pour sa famille ? »
La Représentante spéciale du Secrétaire général pour l’Afghanistan n’a pas caché qu’aux ravages de la sécheresse actuelle s’ajoute tout l’éventail des violations des droits humains par les autorités afghanes de facto, documenté par trois rapports de la Mission de l’ONU. Des exactions qui, rapporte-t-elle, « enfreignent les propres instructions du chef des Talibans, par exemple sur l’interdiction de la torture et des mauvais traitements, et suscitent dans le pays une peur et une méfiance qui sapent les revendications de légitimité nationale des autorités».
Stratégie d’engagement de la MANUA
Face à ces actes contre-productifs même pour le régime au pouvoir, Roza Otunbayeva a confirmé que la stratégie de la MANUA vise à renforcer l’engagement avec les autorités afghanes, « afin d’améliorer leurs connaissances et d’obtenir la conformité des lois locales avec les normes internationales ».
A cet égard, elle s’est félicitée de la récente visite à Kaboul d’un groupe d’éminents érudits musulmans provenant des États membres de l’Organisation de la coopération islamique. La délégation s’est concentrée sur l’éducation des filles, les droits des femmes et la nécessité d’une gouvernance inclusive, soulignant que ceux-ci font partie intégrante de la gouvernance islamique dans le monde. « Ces rencontres participent d’une conversation vitale entre les autorités de facto et la communauté internationale, utilement arbitrée par le monde islamique », a-t-elle expliqué.
Manque de légitimité des autorités de facto
A l’intérieur du pays, des consultations se déroulent aussi entre les autorités centrales et les communautés locales, par le biais de conseils composés de religieux et de leaders tribaux dans 34 provinces, mais il est encore trop tôt, concède la Représentante spéciale, pour savoir s’il s’agit d’instruments de responsabilisation, de consultation ou de simple contrôle, vu que les conseils dans deux provinces majoritairement chiites ne comptent aucun représentant chiite.
Roza Otunbayeva a rappelé à ce propos que les autorités ont beau assurer que leurs institutions sont inclusives, il semble y avoir un écart croissant de légitimité avec le peuple. Le manque de certitude concernant les droits, la responsabilité, la représentation et l’accès à la justice demeure un obstacle important à la légitimité interne. « Et il ne peut y avoir de légitimité internationale sans légitimité nationale », a-t-elle dit.
Sur une note positive, la Représentante spéciale a reconnu que le régime afghan a considérablement réduit la culture du pavot en Afghanistan, mais elle a insisté, à la veille de la réunion des donateurs à Istanbul, sur la nécessité d’offrir une assistance spécifique aux milliers d’agriculteurs afghans affectés par ces mesures salutaires, ainsi qu’aux millions d’Afghans « qui sont devenus toxicomanes à cause de la demande de drogue de pays lointains ».
La cheffe de la MANUA, s’est aussi montrée très préoccupée par le déficit du financement humanitaire, réduit à 28% des 3,2 milliards demandés, qui a déjà entrainé la fermeture de nombreux programmes alors que cet hiver près de 15,2 millions d’Afghans, souffrant déjà d’insécurité alimentaire, pourraient connaître la faim.
Le dialogue ne signifie ni reconnaissance ni acceptation
De plus, en dépit de la mise en place, demandée par le Conseil de sécurité en 2022, d’une stratégie d’engagement avec les Talibans visant à modérer leurs politiques et faciliter leur convergence avec les normes internationales, Roza Otumbayeva a déploré un manque d’avancées positives.
En cause, les 50 décrets des Talibans visant à éliminer les femmes de la vie publique et de l’éducation, et, comme le confirme le quatrième rapport de la MANUA corédigé par ONU Femmes et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), le fait que 46% de la population féminine du pays jugent que les Talibans ne devraient pas bénéficier d’une reconnaissance.
Ce manque de légitimité du gouvernement induit des questions compréhensibles : « faut-il continuer à dialoguer avec ces autorités malgré ces politiques, ou cesser l’engagement à cause de ces dernières ? » Roza Otunbayeva répond d’elle-même que le dialogue ne constitue ni une reconnaissance des autorités talibanes, ni une acceptation de leurs mesures, mais au contraire « un moyen de tenter de changer ces politiques ».
La Représentante spéciale préconise à cet égard un remaniement de la stratégie d’engagement qui reconnaitrait l’autorité de facto comme une entité avec laquelle la communauté internationale doit entretenir des relations et qui porterait la responsabilité du bien-être du peuple afghan, et surtout des femmes. « Cet engagement exigerait également une position plus cohérente de la communauté internationale », a-t-elle conclu. « Les portes du dialogue ne doivent pas se refermer, et nous devons en user pour obtenir des changements positifs ».