Fil d'Ariane
Le chef de l’AIEA prône l’atome pour la paix et le développement
A l’ouverture de la 67e session ordinaire de la Conférence générale de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), lundi, à Vienne, Rafael Mariano Grossi, Directeur général de cette agence onusienne, a confirmé que l’énergie atomique est de plus en plus perçue comme une des solutions contre le changement climatique et pour le développement durable.
« Je suis encore plus motivé, dévoué et enthousiaste qu’au 2 décembre 2019, lorsque vous m’avez assermenté en tant que sixième Directeur général de cette remarquable institution », a déclaré M. Grossi, reconduit à la tête de cette agence forte de 177 membres depuis l’intégration de la Gambie et du Cap-Vert cette année.
Rappelant les défis auxquels l’AIEA a dû faire face depuis quatre ans - une pandémie et une guerre en Europe qui pour la première fois menace gravement la sureté et la sécurité d’un grand programme nucléaire - le Directeur général a assuré que ces événements tragiques rendent plus difficile, mais aussi plus urgent, de s’attaquer aux autres défis, touchant, au-delà de la paix et de la sécurité, tous les aspects du développement durable.
Offensive contre le cancer dans les pays en développement
En premier lieu, le chef de l’AIEA a évoqué le défi du cancer et les 19 millions de nouveaux cas annuels. Un bilan qui, d’ici 2040, s’élèvera à 30 millions de victimes.
« Cette crise pèse de manière disproportionnée sur les pays à revenu faible et intermédiaire », a-t-il constaté, notant que plus de « 70% des Africains n’ont pas accès à la radiothérapie et que 20 pays de ce continent ne disposent pas d’un seul de ces appareils vitaux ».
D’où l’importance cruciale du nouveau programme « Rayons d’espoir » lancé lors du sommet de l’Union africaine de 2022. Cette initiative conjointe avec l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) fournit du matériel et des formations au Bénin, au Tchad, au Kenya et au Niger, contribue à l’ouverture du premier centre public de radiothérapie au Botswana et commencera ses activités en Amérique latine dans les prochains mois, s’appuyant, vu l’énormité des besoins, sur de nouveaux partenariats avec des institutions financières et des entreprises internationales.
Rafael Grossi a aussi passé en revue le nouveau programme Zodiac, le projet d’action intégré contre les maladies humaines d’origine animale, les zoonoses, lancé en partenariat avec l’OMS, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et l’Organisation mondiale de la santé animale (WOAH), qui équipe les laboratoires de 41 pays et contribue à l’analyse numérique des données de recherche sur les maladies émergentes.
Le Directeur général a aussi décrit le travail de l’AIEA pour remédier à la pollution par les plastiques, grâce au projet Nutec qui utilise les technologies nucléaires pour étudier les microplastiques dans l’océan, mieux comprendre leur impact tout au long de la chaîne alimentaire et assurer leur recyclage en produits de haute qualité.
Grâce à sa relation étroite avec la FAO, l’AIEA a aidé 149 pays et territoires en 2022 dans le cadre de son programme de coopération technique, dont 35 pays les moins avancés. Les principaux domaines de travail étaient l’alimentation et l’agriculture, la santé et la nutrition, et la sécurité.
Une solution enfin reconnue contre le changement climatique
Rafael Grossi, mentionnant les ravages du changement climatique, s’est félicité de voir l’énergie nucléaire « retrouver sa place à la table des grands débats et évènements mondiaux sur l’énergie et le climat ». Présente à la Conférence sur le climat de Glasgow (COP26) et à celle de Charm el-Cheikh (COP27), l’AIEA attend une nouvel élan et un message unifié de ses membres et des pays producteurs d’énergie atomique lors de la prochaine COP28 aux Emirats arabes unis.
Alors que l’énergie nucléaire est enfin reconnue comme une solution et que les sondages montrent un revirement de l’opinion en sa faveur, « des décisions audacieuses sont nécessaires pour nous mettre sur la voie d’un avenir énergétique abordable, juste et durable, qui exploite toutes les options technologiques viables à faibles émissions de carbone, y compris l’énergie nucléaire qui doit être réinventée en tant que source d’énergie propre, fiable et durable pour le 21eme siècle », a-t-il déclaré.
Les 410 réacteurs nucléaires de puissance en service dans 31 pays fournissent environ 10% de l’électricité mondiale et environ un quart de toute l’électricité à faible émission de carbone. Les 58 réacteurs en construction dans 31 pays devraient ajouter 60 gigawatts de capacité supplémentaire au 369 gigawatts actuellement en fonction dans le monde.
« La capacité d’énergie nucléaire devra augmenter considérablement si le monde veut atteindre ses objectifs climatiques », a-t-il prévenu. Et cette croissance pourrait provenir d’innovations comme les petits réacteurs modulaires, particulièrement adaptés aux pays en développement, soutenus par une harmonisation des règlementations et des approches industrielles à laquelle travaille l’AIEA.
« L’énergie nucléaire est plus sûre qu’elle ne l’a jamais été, et elle est plus sûre que presque toutes les autres sources d’énergie », a-t-il ajouté, citant le rôle des normes de sureté définies durant ses 65 dernières années par l’AIEA pour aider à protéger l’environnement contre les conséquences d’un accident nucléaire. Rafael Grossi a ainsi décrit le travail du bureau local de l’agence à Fukushima qui contribuera pour les décennies à venir à l’analyse des rejets d’eau traitée dans l’océan.
Inquiétudes à Zaporijjia
Dans son message adressé aux participant de la conférence de l’AIEA, le Secrétaire général de l’ONU a particulièrement félicité l’agence pour son action à Zaporijjia, la centrale nucléaire ukrainienne menacée par les combats et la destruction récente du barrage de Kakhovka qui met en péril ses approvisionnements en eau de refroidissement.
Saluant le service courageux du personnel de l’AIEA stationné à l’usine, António Guterres a assuré que l’ONU continuera de faire tout ce qui est en son pouvoir pour assurer la rotation en toute sécurité des experts opérant dans ce pays et dans d’autres installations nucléaires en Ukraine.
Rafael Grossi, pour sa part, a confirmé que 53 missions, comprenant au total 116 membres du personnel de l’AIEA, avaient été déployées dans le cadre de la présence continue sur les cinq sites nucléaires en Ukraine.
Au cours de l’année écoulée, 10 rotations d’experts en sûreté de l’AIEA ont traversé les lignes de front de la guerre jusqu’à la centrale de Zaporijjia tandis que des mesures ont été prises pour stabiliser les ressources en eau du site. « Elles sont actuellement suffisantes pour assurer plusieurs mois de ses besoins de refroidissement », a déclaré le chef de l’AIEA, non sans déplorer « la situation généralement précaire en matière de sûreté et de sécurité nucléaires dans ce pays ».
Questions en suspens avec Téhéran
« En Iran, le JCPOA, l’accord nucléaire iranien, reste vital pour l’architecture mondiale de non-prolifération nucléaire et pour la sécurité régionale et internationale », a répété M. Guterres.
Rafael Grossi, quant à lui, a déploré que d’importantes questions de garanties restent en suspens depuis des années et que les actions inscrites dans la dernière déclaration commune entre l’Iran et l’AIEA en mars 2023, n’ont pas montré les progrès espérés.
« Seuls une pleine coopération de l’Iran et des résultats tangibles nous permettront d’obtenir des assurances crédibles que le programme nucléaire iranien est exclusivement pacifique », a-t-il rappelé, avant d’aborder le cas de la République populaire démocratique de Corée (RPDC) et de décrire « son programme nucléaire illégal » comme « une violation flagrante des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité des Nations Unies ».
Le chef de l’agence atomique a évoqué enfin le célèbre discours des Atomes pour la Paix du Président américain Eisenhower à l’Assemblée générale des Nations Unies, qui, 70 ans plus tôt, a contribué à la fondation de l’AIEA. Confirmant que le rêve initial est devenu aujourd’hui celui « des atomes pour la paix et le développement », Rafael Grossi a appelé toute la communauté internationale à « en faire une réalité ».