Fil d'Ariane
Au Soudan, l’ONU déplore les souffrances des civils et appelle les belligérants à arrêter le conflit
Comme les responsables humanitaires, « consternés et dégoûtés » par les atteintes aux droits de l’homme, le Représentant spécial de l’ONU au Soudan a rappelé mercredi devant le Conseil de sécurité que les belligérants ont le devoir d’arrêter cette guerre.
La guerre qui ravage le Soudan depuis près de six mois ne donne aucun signe d’apaisement et se révèle chaque jour plus cruelle pour les civils, victimes principales des affrontements entre les Forces armées soudanaises (SAF) et les Forces de soutien rapide (RSF).
Mercredi 13 septembre, les Nations Unies ont ainsi condamné de nouvelles attaques aveugles perpétrées dimanche dernier dans des zones résidentielles de la capitale Khartoum et notamment le bombardement d’un marché bondé qui a occasionné des dizaines de morts et de blessés.
« Consternée » par ce terrible bilan, la Coordonnatrice humanitaire de l’ONU au Soudan, Clementine Nkweta-Salami, a décrit cet incident comme le dernier exemple en date des horreurs quotidiennes auxquelles les civils soudanais continuent d’être confrontés, en particulier dans les zones très peuplées. La poursuite des massacres de civils à Khartoum, Nyala, El Fasher et dans d’autres régions souligne le fait que « les parties à ce conflit n’honorent pas les engagements de protection des civils qu’elles ont pris le 11 mai », lors de leur rencontre à Djeddah, « ni les règles fondamentales du droit international qui les sous-tendent », a-t-elle ajouté.
Attaques à caractère ethnique
Pour sa part, Volker Türk, Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, a déploré mardi 12 septembre la mort de centaines de personnes dans des attaques à caractère ethnique menées par les forces paramilitaires de soutien rapide (RSF) et les milices alliées dans l’ouest du Darfour.
« De tels développements font écho à un passé horrible qui ne doit pas se répéter », a-t-il martelé, évoquant douloureusement « cinq mois de souffrances, de morts, de pertes et de destructions futiles », non sans constater « qu’il n’y a pas de répit en vue » dans une guerre qui a déjà contraint quelque 5,2 millions de personnes à abandonner leurs foyers et poussé 1,1 million de réfugiés vers les pays voisins.
S’adressant au Conseil de sécurité mercredi, Volker Perthes, Représentant spécial de l’ONU et chef de l’UNITAMS, la mission de l’ONU au Soudan, a confirmé ce bilan amer et la persistance du conflit, illustré par de violents combats dans la capitale, les batailles autour d’installations stratégiques et les tentatives répétées des Forces armées soudanaises de chasser les RSF des quartiers civils.
« Au moins 5.000 personnes ont été tuées depuis le début du conflit et plus de 12.000 blessées », a rapporté Volker Perthes, déplorant l’aggravation des violences et le mépris flagrant des droits de l’homme, les attaques de civils pris pour cible sur une base ethnique et chassés d’El Geneina et d’autres localités du Darfour, ainsi que la mobilisation des tribus arabes à la frontière du Sud qui alimente encore le conflit et obère la stabilité régionale.
Risque de fragmentation et de véritable guerre civile
« Tous ces développements ajoutent au risque d’une fragmentation du pays », a averti le chef de l’UNITAMS. « Ce qui a commencé comme un conflit entre deux formations militaires pourrait se transformer en une véritable guerre civile ».
Volker Perthes n’a pas manqué de renvoyer les belligérants à leurs responsabilités.
« La descente dans les combats du 15 avril aurait pu être évitée si les parties belligérantes avaient tenu compte des multiples appels lancés par les acteurs soudanais et internationaux en faveur d’une désescalade et s’étaient poursuivies dans le dialogue », a-t-il rappelé, citant les efforts multiples de civils soudanais, de l’UNITAMS et de ses partenaires régionaux et internationaux pour aider les parties à régler leurs différends par la négociation.
Volker Perthes a évoqué l’accord-cadre de décembre 2022, négocié par les dirigeants militaires et les acteurs civils pour tracer les contours d’un accord politique menant le pays vers un régime civil, les consultations sur des sujets litigieux, tels que la justice transitionnelle et la réforme du secteur de la sécurité, le Mécanisme multilatéral – composé de l’Union africaine, de l’IGAD et des Nations Unies – qui a facilité ces consultations avec une large participation de l’Union européenne.
« Toutefois, au moment même où se déroulaient des consultations, les Forces armées soudanaises et les RSF renforçaient leurs forces de manière irresponsable dans la capitale, tout en assurant la communauté internationale et les Soudanais de leur attachement à la paix », a-t-il rappelé. « Il suffisait d’une étincelle pour déclencher le conflit et c’est hélas ce qui s’est produit ».
Faire pression sur les parties et endiguer le flot d’armes
« Au regard de l’histoire, quel que soit le premier à tirer, les deux parties ont presque préparé le terrain pour la guerre. Les belligérants ont choisi de régler leur conflit par le combat, et il est de leur devoir envers le peuple soudanais d’y mettre fin », a-t-il dit.
Le Représentant spécial au Soudan a confirmé que les partenaires internationaux, notamment l’ONU, l’Union africaine, l’IGAD, l’UE, les États voisins du Soudan, l’Arabie saoudite et les États-Unis, ont continué de faire pression sur les parties pour qu’elles mettent fin aux combats. L’UNITAMS est restée en contact avec les deux parties pour les exhorter à s’engager sérieusement à un cessez-le-feu et à progresser vers une cessation permanente des hostilités.
Regrettant que les cessez-le-feu antérieurs ont souvent été utilisés pour le repositionnement et le réapprovisionnement, il a assuré qu’une cessation durable des hostilités exige une volonté politique, des mesures de surveillance robustes et la capacité de tenir les parties responsables du non-respect de leurs engagements ». Volker Perthes a plus encore exhorté les États membres à endiguer le flux d’armes vers le Soudan et à accepter de « s’abstenir de réapprovisionner l’une ou l’autre partie ».
Un héritage tragique de violations des droits de l’homme
« Ce conflit laisse un héritage tragique de violations des droits de l’homme », a-t-il ajouté, évoquant le sort des communautés Massalit, en particulier, qui vivent dans la peur d’être attaquées en raison de leur appartenance ethnique à la suite de l’assassinat du gouverneur du Darfour occidental et d’autres dirigeants Massalit à la mi-juin.
Le Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l’homme a ainsi reçu des informations crédibles faisant état de l’existence d’au moins 13 fosses communes à El Geneina et dans ses environs à la suite des attaques des RSF et des milices arabes contre des civils, la majorité d’entre eux appartenant aux communautés Massalit. « Les collègues de l’UNITAMS et de l’ONU documentent les violations et rappellent que ces actes, s’ils sont vérifiés, peuvent constituer des crimes de guerre », a déclaré Volker Perthes.
Comme le chef des droits de l’homme Volker Türk, qui mardi s’est dit « dégoûté » par plus de 45 incidents de violences sexuelles impliquant près de 100 victimes, dont 19 enfants, au Soudan, le Représentant spécial a demandé des enquêtes crédibles, et rappelé l’obligation de rendre des comptes pour ces crimes, ainsi que de prodiguer des aides et services aux survivants.
Volker Perthes, annonçant qu’il avait demandé au Secrétaire général à être relevé de ses fonctions après deux ans et demi à la tête de l’UNITAMS, a prononcé un vif plaidoyer pour le Soudan, « un pays au potentiel énorme, à l’esprit indomptable, dont le peuple a inspiré le monde entier lorsqu’il a courageusement renversé trois décennies de régime dictatorial ».
« Ils ont plus que jamais besoin de notre soutien et de notre solidarité, pour faire pression sur les dirigeants militaires afin qu’ils mettent fin à cette guerre et leur demander des comptes, a-t-il plaidé. Il faut donner aux civils les moyens d’agir en vue d’une éventuelle transition vers une gouvernance démocratique ».