Fil d'Ariane
Soudan : une action urgente est nécessaire pour enrayer le risque croissant de génocide, selon l'ONU
La Conseillère spéciale des Nations Unies pour la prévention du génocide, Alice Wairimu Nderitu, a fait part de son inquiétude face à la persistance des violences identitaires dans un certain nombre d'États et de régions du Soudan, appelant à une action urgente pour enrayer le risque croissant de génocide et de crimes d'atrocité connexes.
« Après quatre mois de combats incessants, accompagnés de violations des droits de l'homme et d'abus généralisés, le nombre de morts, de blessés et les milliers de personnes déplacées dans le cadre d'un conflit à forte composante identitaire est inacceptable », a déclaré Mme Nderitu dans un communiqué, faisant allusion à la violence généralisée dans la capitale Khartoum, au Darfour, dans le Kordofan et dans les États du Nil Bleu.
Violences intercommunautaires et ethniques
La Conseillère spéciale a réitéré les préoccupations qu'elle avait exprimées dans ses précédentes déclarations, à savoir que les violences intercommunautaires et ethniques, si elles ne sont pas empêchées ou stoppées, pourraient s'intensifier et entraîner l'ensemble du Soudan dans une guerre civile, avec un risque élevé de génocide et de crimes d'atrocité connexes.
Selon elle, le conflit au Soudan, caractérisé par une situation humanitaire désastreuse et un vide sécuritaire et de protection préoccupant, a la capacité de déclencher des violences dans l'ensemble de la région, y compris selon des critères ethniques, ce qui constituerait un risque aggravé de tels crimes - risque accru par la prolifération actuelle d'armes légères et de petit calibre illégales.
Elle s’est dit particulièrement alarmée par le fait que les différends entre les communautés ethniques, enracinés dans des griefs de longue date concernant la propriété foncière et la représentation ethnique, sont exploités par des groupes armés, notamment les Janjawids et d'autres groupes armés rebelles, qui auraient exercé des représailles contre des communautés ethniques en raison de leurs liens avec les principales parties au conflit, à savoir les forces armées soudanaises (SAF) et les forces de soutien rapide (RSF). Ces attaques, si elles sont confirmées, pourraient constituer des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité, a-t-elle indiqué.
Des innocents pris pour cible
« Au Darfour, des civils innocents sont pris pour cible sur la base de leur race », a déploré la Conseillère spéciale.
Ainsi, des centaines de personnes auraient été tuées et de nombreuses autres blessées lors d'affrontements entre membres de différentes tribus, sans compter les pillages et les incendies de maisons, ainsi que les attaques contre des installations médicales à El Geneina.
Au Darfour, des civils innocents sont pris pour cible sur la base de leur race
Au cours des derniers mois, des informations reçues par la Conseillère spéciale faisaient état de groupes importants d'hommes armés qui auraient perpétré des attaques répétées dans cette même localité, détruisant des maisons, y compris la résidence du sultan de la tribu Masalit. Les forces de soutien rapide et des milices arabes alliées auraient aussi exécuté sommairement des dizaines de membres de l'ethnie Masalit et en auraient blessé beaucoup d'autres à Misterei, dans l'ouest du Darfour.
« Les tensions entre les communautés ethniques, y compris les Arabes et les Masalit… sont utilisées pour justifier des représailles dans ce contexte d'escalade de la violence. Ceci est extrêmement préoccupant dans une situation où le risque de nouvelles violences basées sur l'identité reste très élevé », a alerté Mme Nderitu, exprimant son inquiétude quant aux rapports selon lesquels les chefs ethniques au niveau local perpétuent la violence.
Violations et abus des droits de l’homme
D'autres rapports décrivant des violations et des abus du droit international humanitaire et des droits de l'homme commis par les forces de sécurité soudanaises et les forces armées soudanaises sont également très préoccupants, notamment les attaques contre les églises et le clergé, le ciblage d'hommes Masalit, ainsi que les violences sexuelles.
Ainsi le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme a recueilli des témoignages d'homicides illégaux, de détentions arbitraires et de disparitions forcées et autres violations.
Il est essentiel que la communauté internationale utilise tous les outils disponibles pour empêcher toute nouvelle escalade
« Toutes les parties au conflit, y compris les groupes armés, doivent déposer les armes et cesser immédiatement de prendre les civils pour cible », a-t-elle insisté. « Toutes les parties au conflit ont la responsabilité de protéger les civils et de respecter le droit international humanitaire et des droits de l'homme », a noté Mme Nderitu, alarmée par le mépris total du droit international humanitaire et des droits de l'homme par les parties au conflit.
« Dans la situation actuelle, très préoccupante et qui se détériore, il est essentiel que la communauté internationale utilise tous les outils disponibles pour empêcher toute nouvelle escalade », a-t-elle déclaré, appelant en particulier le mécanisme trilatéral à prendre des mesures en temps opportun.
« L'Union africaine, l'Autorité intergouvernementale pour le développement et le Conseil de sécurité des Nations unies ont une responsabilité particulière et doivent mener tous les efforts possibles pour stabiliser la situation et atteindre les niveaux de protection les plus élevés possibles pour toutes les populations en danger. Tous les mécanismes de réponse doivent être envisagés », a-t-elle insisté.
À cet égard, elle a appelé au plein respect de la déclaration d'engagement de Jeddah pour la protection des civils du Soudan, dans laquelle les parties au conflit ont affirmé leur responsabilité de respecter le droit international humanitaire et le droit international des droits de l'homme, y compris l'obligation de faire la distinction en tout temps entre les civils et les combattants et entre les biens civils et les cibles militaires.
Rendre des comptes
La Conseillère spéciale a également réitéré sa position selon laquelle l'obligation de rendre des comptes constitue un élément essentiel de la prévention. Elle a insisté sur le fait que « les processus de reddition des comptes doivent être soutenus, les violations des droits de l'homme et les abus doivent faire l'objet d'enquêtes indépendantes et exhaustives, et tous les auteurs doivent savoir qu'ils seront traduits en justice ».
Elle a également fait remarqué que « l'impunité pour les violations graves des droits de l'homme internationaux, le génocide et les crimes d'atrocité connexes, ou pour leur incitation, constitue un facteur de risque pour la commission d'autres crimes d'atrocité ». En effet, « l'impunité peut constituer un élément déclencheur de nouvelles violations et peut saper tout effort visant à renforcer la protection des personnes qui en ont le plus besoin ».
Elle a appelé à ce que les acteurs nationaux et la communauté internationale n'épargnent aucun effort pour soutenir l'obligation de rendre des comptes pour les violations des droits de l'homme commises dans le pays. Elle a réitéré son appel au peuple soudanais, aux dirigeants, à la société civile et aux jeunes pour qu'ils travaillent ensemble à renforcer la confiance et la cohésion sociale dans tout le pays.
Elle a également renouvelé son appel aux chefs religieux et aux autres acteurs pour qu'ils fassent entendre leur voix contre la haine et qu'ils soient solidaires des communautés touchées, conformément au plan d'action de Fès, ainsi qu'aux entreprises de technologie et de médias sociaux pour qu'elles utilisent tous les outils disponibles pour mettre fin à la propagation de l'incitation et de la haine sur leurs plateformes, comme le soulignent la stratégie et le plan d'action des Nations Unies sur le discours de haine.
Entrave de l’aide humanitaire
De son côté, l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) a indiqué que le nombre de déplacés internes a doublé depuis le début du conflit au Soudan. Près de 7,1 millions de personnes sont déplacées à l’intérieur du Soudan, dont plus de 4 millions sont de nouveaux déplacés à la suite des violences qui ont éclaté à la mi-avril entre les forces de soutien rapide (RSF) et les forces armées soudanaises (SAF).
Ces mouvements de populations et le conflit ont provoqué une « grave crise humanitaire ». « Des pénuries de nourriture, d’eau, de médicaments et de carburant sont devenues extrêmement aiguës », a souligné l’OIM. Dans le même temps, les prix des produits de première nécessité ont augmenté de « façon spectaculaire en raison de la perturbation des routes commerciales et de l’accès limité ». Cela les rend inabordables pour ceux qui restent dans les villes assiégées à travers le Soudan.
Dans ces conditions, les besoins au Soudan n’ont jamais été aussi importants. Au moins 24,7 millions de personnes, soit la moitié de la population du pays, ont besoin d’une aide humanitaire et d’une protection.
« Le peuple soudanais mérite la paix. Toute nouvelle escalade de la violence dévasterait davantage le pays et la région », a déclaré dans un communiqué, Federico Soda, Directeur du Département des opérations et des urgences de l’OIM.
Or avec l’intensification des hostilités, les combats et les autres obstacles rencontrés par les organisations humanitaires continuent de rendre l’accès aux personnes dans le besoin extrêmement difficile dans de nombreuses régions du pays. En outre, l’augmentation alarmante du nombre de personnes affectées et déplacées par la crise, l’aperçu de la réponse de l’OIM pour la crise soudanaise et les pays voisins a été révisé pour doubler le besoin de financement à 418 millions de dollars pour le double du nombre de personnes, soit 1,9 million.
A ce jour, seuls 21% des fonds ont été débloqués. « Alors que les besoins continuent d’augmenter, nous réitérons notre appel à la communauté internationale pour qu’elle soutienne d’urgence les efforts de secours et qu’elle contribue à garantir l’acheminement d’une aide vitale avant qu’il ne soit trop tard », a fait valoir M. Soda.