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ENTRETIEN - Il ne faut pas oublier la République centrafricaine, plaide le Coordinateur humanitaire

Des millions de personnes ont besoin d’une assistance en République centrafricaine mais la communauté humanitaire qui leur apporte une aide est confrontée à une rareté des soutiens financiers, déplore le plus haut responsable de l’ONU dans ce pays.

Dans un entretien accordé à ONU Info lors d’une visite au siège de l’ONU à New York, Mohamed Ag Ayoya, Coordinateur résident des Nations Unies et Coordinateur humanitaire en République centrafricaine, appelle les bailleurs de fonds à ne pas oublier les Centrafricains.

Les fonds reçus jusqu'à présent sont « très en deçà » de ce qui est nécessaire pour répondre aux besoins de « populations extrêmement vulnérables », a-t-il souligné.

ONU Info : Quelles sont les priorités de l'action humanitaire en République centrafricaine ?

Mohamad Ag Ayoya : Les opportunités les plus importantes actuellement pour nous en République centrafricaine sur le plan humanitaire tournent autour des aspects de prise en charge d'environ 2,4 millions de personnes qui en sont en besoin urgent actuellement. Un besoin aigu dans le domaine de l'alimentation, mais aussi dans les domaines de la santé, de l'éducation, de l'eau, l’hygiène et de l'assainissement, mais aussi dans le domaine de la protection.

Parce que quand on parle de la République centrafricaine, on parle d’urgence humanitaire, mais on parle aussi d’urgence de protection pour les femmes, pour les filles, parce que nous avons aussi des nombres extrêmement élevés de violences basées sur le genre pour lesquelles nous répondons sur le plan humanitaire dans le pays.

Des femmes déplacées ayant fui le village minier de Rota cherchent refuge à Bozuom en République centrafricaine (photo d'archives).
© UNICEF/Tchameni Zigoto Tchaya
Des femmes déplacées ayant fui le village minier de Rota cherchent refuge à Bozuom en République centrafricaine (photo d'archives).

ONU Info : Quels sont les principaux obstacles que les travailleurs humanitaires rencontrent sur le terrain. Est-ce que notamment vous êtes préoccupé par la présence du groupe Wagner ?

Mohamed Ag Ayoya : Les principaux obstacles sont essentiellement des obstacles d'accès, d'accès physique. Parce que la République centrafricaine est un pays où nous n'avons pas vraiment de très bonnes routes. Et surtout pendant cette saison pluvieuse, il y a des zones qui sont complètement coupées du reste pays où on ne peut avoir accès qu'à travers les avions, ce qui coûte extrêmement cher. Le deuxième obstacle, c'est justement la question de la sécurité. C'est vrai qu'aujourd'hui, la sécurité s'est améliorée de façon assez importante en République centrafricaine. Mais il y a encore quand même des groupes armés qui sont actifs, notamment au niveau des frontières avec le Soudan, avec le Tchad, avec le Sud-Soudan. Mais nous avons aussi d'énormes difficultés au niveau de la région de l'Ouest où nous avons des explosifs, donc des mines qui sont utilisées sur les routes.

Les déplacements des humanitaires et de la population en général sont extrêmement limités par ces outils. Concernant le groupe Wagner, nous travaillons avec toutes les parties en conflit, que ce soient les parties nationales ou les parties internationales, parce que notre objectif, c'est de sauver des vies en tant qu’humanitaires. Et pour cela donc, nous avons un dialogue direct quand cela est nécessaire avec toutes les parties pour pouvoir permettre d'avoir accès aux populations pour la protection mais aussi pour pouvoir leur donner les services nécessaires que nous avons la charge et la responsabilité, en tant qu’humanitaires, de donner à ces populations.

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ONU Info : Êtes-vous confrontés à la désinformation concernant l'action humanitaire et est-ce que vous avez pris des mesures pour lutter contre cette désinformation ?

Mohamed Ag Ayoya : La République centrafricaine est un pays où la désinformation est énorme dans tous les domaines et bien sûr le domaine humanitaire n'est pas du tout épargné. Nous y faisons face. Mais récemment, au mois d'août, nous avons organisé un atelier où nous avons fait venir justement des journalistes, des fact-checkers, pour leur donner l'information réelle et les sources d'information afin qu'elles puissent être diffusées à la population et à tous ceux qui peuvent y avoir accès pour faire en sorte que cette question de désinformation soit prise réellement en compte dans le contexte de la crise centrafricaine qui est un contexte assez fragile, mais aussi un contexte où la population n'est pas largement éduquée. Donc toute sorte de désinformation peut être extrêmement grave et extrêmement dangereuse pour nous humanitaires qui travaillons dans le pays.

ONU Info : Est-ce que vous avez un exemple concret de désinformation concernant l'accès humanitaire qui a été particulièrement dommageable ?

Mohamed Ag Ayoya : Et il y en a beaucoup. Par exemple, il y a l'exemple selon lequel souvent les humanitaires travaillent directement avec les groupes armés. Et ça, bien sûr, ça peut créer des problèmes avec la population locale qui aussi fait l'objet des attaques de ces groupes armés. Et en général quand cela arrive, il faut intervenir rapidement pour contredire cette désinformation, parce qu’après ce sont nos collègues qui sont sur le terrain qui sont menacés, tant sur les aspects physiques, mais aussi leur vie est en danger quand cela se passe.

ONU Info : Etes-vous inquiet de l'impact de la crise au Soudan sur la situation humanitaire centrafricaine ? Et aussi la guerre en Ukraine, quel est l'impact pour la République centrafricaine ?

Mohamed Ag Ayoya : Les deux crises ont malheureusement déjà un impact négatif sur la population centrafricaine. Déjà, la crise au Soudan n'était pas une crise à laquelle on s'attendait. Quand nous avons préparé notre plan de réponse pour l'année 2023, on ne s'attendait pas à voir la crise au Soudan et les conséquences qui étaient d'avoir environ 17.000 personnes qui, du jour au lendemain, ont traversé la frontière.

Elles sont venues dans une zone qui est une zone assez fragile où les populations sont extrêmement vulnérables. On avait des gens dans cette zone, environ 130.000 personnes qui étaient des personnes visées dans notre plan de réponse humanitaire parce que c’était des personnes extrêmement vulnérables. A elles, ce sont donc ajoutées ces 17.000 personnes dans un contexte où la zone s'approvisionnait directement à partir du Soudan et cela n'est plus faisable.

Donc aujourd'hui, nous avons affaire à des populations qui sont pratiquement coupées du Soudan, du Tchad, d’où elles s’approvisionnaient avant mais aussi de la République centrafricaine à cause des inondations. Le seul accès qu'on puisse avoir là-bas aujourd'hui, c'est à travers des ponts aériens et encore une fois, ces ponts aériens coûtent extrêmement cher. Mais l'impact le plus direct sur les populations locales, c'est aussi le fait que, du jour au lendemain, 14.000 personnes sont venues parmi elles.

Donc la première réponse, en général, c'est justement une réponse qui est faite par les communautés hôtes elles-mêmes. Et là, nous avons vu une très grande générosité de la population centrafricaine, non seulement à accueillir ces populations qui sont arrivées en détresse, mais aussi et surtout d'être capables de les accueillir chez elles afin que nous, nous arrivions en tant qu’humanitaires qu'on puisse apporter l'aide nécessaire.

Et ensuite, c'est le cas du côté du Tchad où encore une fois, du jour au lendemain, on se retrouve avec 34.000 personnes, et aujourd'hui on en est à 37.000, qui ont traversé la frontière et qui sont retrouvées dans des villages et se sont ajoutées à des populations qui étaient déjà des populations vulnérables en termes d'accès à la nourriture, en termes d'accès aux services sociaux de base comme l'éducation, la santé.

Ça a augmenté la vulnérabilité, ça a augmenté les besoins. Mais heureusement que les humanitaires, encore une fois, ont pu répondre très rapidement. La guerre en Ukraine a un impact extrêmement sérieux en République centrafricaine, parce que, à cause de cette guerre en Ukraine, nous avons vu le financement coupé ou au moins réduit de façon significative. Mais sur le plan national, nous avons vu les prix grimper, les prix des denrées alimentaires, les prix du carburant, et cetera Tout cela est dû au fait qu'il y a cette crise non seulement en Ukraine, mais encore une fois, cela s'est aggravé avec la crise au Soudan.

ONU Info : Vous êtes ici à New York et ensuite vous allez à Washington pour mobiliser les bailleurs de fonds. Quel est votre message aux bailleurs de fonds concernant la situation humanitaire en République centrafricaine ?

Mohamed Ag Ayoya : Notre message est simple c'est qu'aujourd'hui la République centrafricaine ne doit pas être oubliée. Elle ne doit pas être oubliée par ce qui se passe dans la région, donc au Soudan par exemple, mais elle ne doit pas être oubliée aussi à cause ce qui se passe en Ukraine. Nous faisons face à plus de la moitié de la population centrafricaine qui est en besoin.

Mais malheureusement, aujourd'hui, nous faisons aussi face à une rareté des soutiens financiers de nos différents bailleurs pour faire face à cette crise. Par exemple, notre plan de réponse humanitaire actuellement est financé seulement à 36%. L'année dernière, au même moment, il était financé à 65%. Donc vous pouvez imaginer l'impact que cela a sur nous et pour nous, pour être capable d'avoir une réponse effective pour ces 2,4 millions de personnes. Par exemple au jour d'aujourd'hui, nous n'avons été capables d’atteindre que 1 million de personnes et nous sommes déjà à huit mois en 2023 et les fonds que nous avons jusqu'à présent sont très en deçà des besoins qui sont les besoins des populations extrêmement vulnérables qui vivent dans une situation assez compliquée, assez complexe et qui s'aggrave tous les jours à cause des aléas climatiques, mais aussi à cause des aléas de conflits internes et externes avec un nombre de populations déplacées assez élevé dans le pays mais aussi des réfugiés qui sont en dehors du pays mais aussi des réfugiés que nous accueillons en République centrafricaine.