Fil d'Ariane
Protéger les humanitaires 20 ans après l’attentat de Bagdad, sur fond de risques croissants
Les Nations Unies ont rendu hommage vendredi aux 22 membres de son personnel tués lors de l’attentat à la bombe de leur quartier général en Iraq il y a 20 ans, l'un des jours les plus sombres de l'histoire de l'Organisation.
La cérémonie de dépôt de gerbe à l'ONU à New York a eu lieu la veille de la Journée mondiale de l'aide humanitaire, commémorée chaque année le 19 août.
Cette date marque le jour où, en 2003, un kamikaze a fait exploser un camion rempli d'explosifs devant le quartier général des Nations Unies, à l'hôtel Canal, dans la capitale iraqienne, Bagdad.
Un changement dans les opérations
Parmi les membres du personnel qui ont perdu la vie, figurait Sérgio Vieira de Mello, le Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme et chef de la mission de l'ONU en Iraq à l’époque.
Plus de 150 personnes ont été blessées dans l'attentat, principalement des travailleurs humanitaires locaux et internationaux qui aidaient à reconstruire le pays après le renversement de Saddam Hussein.
« Cette tragédie a marqué un changement dans la manière dont les humanitaires travaillent », a déclaré le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, dans son message à l'occasion de la Journée mondiale de l'aide humanitaire vendredi.
M. Guterres a souligné que si les humanitaires sont respectés dans le monde entier, ils peuvent aussi être la cible de personnes cherchant à les nuire.
Les crises et les risques se multiplient
Cette année, les Nations Unies et leurs partenaires ont pour objectif de venir en aide à 250 millions de personnes dans le monde touchées par des conflits et d'autres crises, soit dix fois plus qu'à l'époque de l'attentat contre l'hôtel Canal, et ce alors que le financement de l'aide humanitaire est insuffisant.
« Alors que les crises se multiplient, il est inacceptable que les humanitaires soient contraints de réduire l'aide apportée à des millions de personnes dans le besoin », a déclaré le chef de l’ONU.
Les risques auxquels les humanitaires sont confrontés se sont également multipliés, a-t-il ajouté, citant la montée des tensions géopolitiques, le mépris flagrant du droit international humanitaire et des droits de l'homme, les agressions délibérées et les campagnes de désinformation.
Protéger les humanitaires à travers le monde
L'année dernière, 444 travailleurs humanitaires ont été victimes d'actes de violence au cours de 235 attaques distinctes. Sur ce nombre, 116 ont été tués, 143 blessés et 185 enlevés. La plupart d'entre eux étaient des employés nationaux travaillant pour des organisations non gouvernementales.
« La Journée mondiale de l'aide humanitaire et l'attentat à la bombe contre l'hôtel Canal resteront pour moi, et pour beaucoup d'autres, une occasion d'émotions mitigées et encore vives », a dit en début de semaine Martin Griffiths, le chef des secours et de l'aide humanitaire de l’ONU.
M. Griffiths et le responsable de la sûreté et de la sécurité des Nations unies, Gilles Michaud, ont publié une tribune point de vue dans laquelle ils appellent à « protéger les personnes qui protègent le monde ».
Ils signalent que l'attentat à la bombe de l'hôtel Canal « a déclenché une révision urgente des dispositions de sécurité de l'ONU ».
Un groupe indépendant, créé à la suite de la tragédie, a reconnu la nécessité de nouvelles approches qui garantiraient « un équilibre acceptable entre les objectifs opérationnels et la sécurité du personnel dans des environnements à haut risque », rappellent-ils.
« Le groupe a recommandé d'investir dans un nouveau système de gestion de la sécurité de l'ONU, financé de manière adéquate et reposant sur les plus hauts niveaux de professionnalisme, d'expertise et de responsabilité », ont-ils ajouté.
« En conséquence, en 2005, le Département de la sûreté et de la sécurité des Nations Unies, ou UNDSS, a été créé, avec pour mission de mener une approche collective de la sécurité des Nations Unies », ont fait valoir les deux hauts responsables.
Pas une cible
Les fonctionnaires de l'ONU ont souligné la nécessité pour les humanitaires de pouvoir accéder en toute sécurité aux populations touchées, affirmant que « les approches en matière de sécurité doivent être à l'écoute des dynamiques et sensibilités locales et s'y adapter ».
Ils ont appelé à un plus grand soutien international, notamment pour éduquer les parties belligérantes sur leurs obligations de respecter, de protéger et de soutenir les travailleurs humanitaires.
Nous restons déterminés à protéger les communautés que nous servons, tout en protégeant notre personnel
« Cela signifie qu'il faut exiger, clairement et sans équivoque, la fin des attaques directes ou aveugles contre les civils, les non-combattants et les travailleurs humanitaires pendant les conflits, en violation du droit international humanitaire », ont-ils déclaré.
« Et cela exige que nous remettions en question la désinformation et les fausses informations qui les exposent de plus en plus à des risques d'attaques et qui compromettent les opérations humanitaires », ont ajouté M. Griffiths et M. Michaud.
Hommage aux collègues décédés
La tribune souligne également la nécessité de poursuivre une diplomatie de haut niveau qui soutienne les opérations humanitaires et l'accès à l'aide, en particulier en cas de conflit grave, car « l'expérience récente montre que de véritables accords sont possibles, même lorsque la paix semble être une possibilité lointaine ».
L'évacuation de centaines de civils de l'usine sidérurgique Azovstal dans la ville portuaire ukrainienne de Marioupol l'année dernière en est un exemple.
Cette évaciation a été le résultat d'une pause négociée dans les combats afin de créer un couloir humanitaire pour une mission conjointe des Nations unies et du Comité international de la Croix-Rouge (CICR).
« Alors que nous réfléchissons aux acquis des 20 dernières années et à la manière dont nous pouvons nous en inspirer pour relever les défis des 20 prochaines années, nous restons déterminés à protéger les communautés que nous servons, tout en protégeant notre personnel », ont déclaré les responsables. « C'est la meilleure façon d'honorer la mémoire de ceux qui ont perdu la vie dans l'attentat de l'hôtel Canal et de réaffirmer notre engagement commun en faveur de la noble cause qu'ils ont servie ».