Fil d'Ariane
TÉMOIGNAGE - Déminage en Ukraine : ramener dans son pays une expertise vitale
Alexander Lobov, ingénieur militaire et expert en déminage au Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), a travaillé dans plusieurs points chauds du globe, de l'Afghanistan à la Somalie, mais n'aurait jamais imaginé utiliser cette expérience dans son pays natal, l'Ukraine.
Aujourd'hui l'Ukraine est l’un des endroits les plus minés au monde, depuis que ce pays a connu une invasion à grande échelle par la Russie en février 2022.
« Les gens souffrent énormément à cause des mines terrestres », a déclaré M. Lobov à ONU Info, ajoutant que, selon des experts, près d'un tiers du pays est contaminé par des munitions non explosées.
« Beaucoup d'adultes et d'enfants sont morts », a-t-il dit. « Nous avons le taux le plus élevé de telles pertes au monde. Personne ne sait ce qui va se passer dans quelques mois car la guerre n'est pas finie ».
Nouveau niveau de complexité
En juin, 540.000 engins non explosés avaient déjà été déminés, mais assurer la sécurité de l'Ukraine est une perspective à long terme difficile et très coûteuse, a estimé M. Lobov.
Selon le PNUD, près de 10,7 millions de personnes ont besoin de services d'action contre les mines.
La Banque mondiale estime que le programme complet de déminage coûtera plus de 37 milliards de dollars. L'Ukraine ne peut pas résoudre seule un tel problème, c'est pourquoi les partenaires internationaux apportent leur aide, le PNUD étant devenu le principal coordinateur de l'action contre les mines dans le pays.
Depuis les Première et Seconde Guerres mondiales, le gouvernement ukrainien gère les risques associés aux munitions non explosées, mais la guerre à grande échelle actuelle est d'un niveau de complexité tout nouveau, selon le PNUD.
Nouvelle approche
Relever ce défi nécessite des équipements supplémentaires, des outils, de nouvelles compétences et une assistance dans la coordination des efforts, a précisé M. Lobov.
De son côté, le PNUD relève le défi, soutient les victimes et mène des campagnes d'information, avec des financements de l'Union européenne et de la Croatie, du Danemark, de la France, du Japon et du Royaume-Uni.
« Au milieu des hostilités, beaucoup de munitions n'explosent pas », a déclaré M. Lobov. « Si les combats se poursuivent pendant une heure ou deux, il peut y avoir plusieurs milliers de cartouches. Si ce n'est pas deux heures, mais un jour ou un mois ou si les hostilités se poursuivent pendant des années, alors nous ne pouvons qu'imaginer la quantité de munitions qui contaminera notre terre ».
L'une des tâches importantes de l'action contre les mines est l'enlèvement des décombres, a déclaré M. Lobov. Rien que dans 40 sites de la région de Kyïv où il y a eu des combats, les décombres pourraient paver une route de la capitale ukrainienne à Berlin, selon le PNUD.
Bien que le volume réel soit inconnu, a dit l’expert en déminage, tous les déchets dangereux doivent être traités et éliminés en toute sécurité après leur enlèvement.
En règle générale, 30 à 50% des munitions non explosées n'explosent pas, mais ce qui reste demeure actif, tout impact physique pouvant provoquer une explosion.
Tenir les gens informés
L'action contre les mines ne se limite pas au seul déminage physique, a-t-il ajouté, soulignant qu'un ensemble de nouvelles mesures sont nécessaires.
« De nombreuses personnes en Ukraine ne réalisent toujours pas la gravité de ce problème », a-t-il expliqué. « Une des tâches les plus importantes est d'informer la population. Il est nécessaire d'apprendre aux gens comment se comporter dans des territoires contaminés par des mines et des objets explosifs ».
Par exemple, alors que des activités de déminage ont été menées dans l'est de l'Ukraine depuis l'invasion russe en 2014, les campagnes d'information devraient désormais cibler les habitants des régions occidentales, ceux qui se trouvaient à l'étranger ou les réfugiés, a-t-il dit.
L'action contre les mines devrait devenir la culture de l'Ukraine « parce qu'elle le sera pendant des décennies », a affirmé Alexander Lobov.
« Les descendants de notre génération seront confrontés à ce problème », a-t-il ajouté. « Nous devons transmettre ces connaissances aux enfants par le biais du système éducatif et aux adultes, par exemple, par le biais des entreprises où les gens travaillent ».
Le message principal devrait devenir « la norme », a-t-il dit : « Restez à l'écart ! Ne touchez pas ! Appelez le 101 ! Le service d'urgence de l'État répondra immédiatement ».
Enseigner les consignes de sécurité
L'enseignement des consignes de sécurité devrait avoir un impact positif, sans utiliser de photographies choquantes, car une personne peut paniquer en réalisant quel danger se trouve juste à côté d’elle, a-t-il déclaré.
Pour transmettre les connaissances sur l'action contre les mines, il a enseigné aux psychologues scolaires comment transmettre ces informations aux enfants de manière constructive. Les informations sur l'action contre les mines devraient simplement constituer la base d'une culture de comportement, telle que la nécessité de traverser la route uniquement au feu vert, a dit l’expert en déminage.
La priorité est la sécurité des personnes, mais une autre conséquence de la contamination généralisée par les mines terrestres menace, entre autres, l'économie de l'Ukraine et l'accès aux ressources essentielles.
Selon lui, cela entraîne des choix difficiles sur les priorités compte tenu des ressources limitées et du coût élevé du déminage.