Aller au contenu principal

L’ONU fustige le « contexte oppressant et étouffant » dans lequel vivent les femmes afghanes

La Cheffe adjointe aux droits de l’homme de l’ONU s’est inquiétée, lundi, de l’impact des politiques talibanes sur leur jouissance des libertés et droits fondamentaux, à l’ouverture de la 53e session du Conseil des droits de l’homme.

Nada Al-Nashif a décrit toutes les discriminations dont sont victimes les femmes « à tous les niveaux ». Décret après décret, l’effet cumulatif a été d’effacer les femmes et les filles de la vie publique et de les empêcher d’accéder à leurs droits et libertés fondamentaux et d’en jouir.

« Globalement, nous avons assisté ces dernières années à un recul des droits des femmes et des filles. Cependant, nulle part ailleurs ce mouvement n’a été aussi profond et généralisé qu’en Afghanistan depuis que les talibans ont pris le pouvoir à la mi-août 2021 », a dit devant le Conseil, Nada Al-Nashif, Haut-Commissaire adjointe de l’ONU aux droits de l’homme.

Les talibans ont éliminé les possibilités de développement des filles et leur capacité à mener une vie indépendante aujourd’hui et à l’avenir, affectant ainsi les générations futures - Nada Al-Nashif. 

Bien que Kaboul ait affirmé à maintes reprises que les droits des femmes seraient protégés dans le cadre de la charia, au cours des 22 derniers mois, tous les aspects de la vie des femmes et des jeunes filles ont été restreints, regrette Mme Al-Nashif, relevant que l’Afghanistan est le seul pays au monde où les filles sont privées d’éducation au-delà du niveau primaire. 

L’éducation, en classe et dans les communautés scolaires, n’est pas seulement vitale pour les filles, mais pour la société dans son ensemble. 

L’Afghanistan est également le seul pays au monde qui interdit aux femmes de travailler pour des organisations internationales, y compris les Nations Unies, ainsi qu’à l’extérieur du foyer dans de nombreux secteurs.

Un groupe d'écolières du primaire assises dans leur salle de classe d'une école de la province du Nuristan, en Afghanistan.
© UNICEF/Sayed Bidel
Un groupe d'écolières du primaire assises dans leur salle de classe d'une école de la province du Nuristan, en Afghanistan.

Les femmes et les filles vivent dans un climat de peur

Selon l’ONU, l’interdiction faite aux femmes d’exercer des fonctions publiques a un impact supplémentaire sur la capacité des femmes et des filles à être vues et entendues et à participer aux processus de prise de décision qui ont un impact direct sur leur vie.

C’est dans ce contexte que les limitations « excessives et injustifiables » des déplacements, y compris l’exigence d’un maharam ou d’un chaperon masculin, ainsi que les restrictions en matière d’éducation et d’emploi, laissent les femmes et les filles avec une capacité limitée, et parfois nulle, de faire des choses en dehors de chez elles, qu’il s’agisse de l’accès aux soins de santé ou de l’engagement dans l’économie locale en tant qu’éléments productifs essentiels à la cohésion sociale, économique et culturelle. 

Par ailleurs, les services du Haut-Commissaire Volker Türk se sont profondément préoccupés par l’environnement discriminatoire et restrictif, voire le climat de peur dans lequel vivent les femmes et les filles en Afghanistan. À cela s’ajoutent l’absence d’obligation de rendre compte des violations des droits des femmes et des filles et l’absence d’un système judiciaire qui tienne compte des sexospécifiques et soit accessible aux femmes. 

Face à un tel sombre tableau, l’ONU estime que la communauté internationale ne peut pas « laisser une discrimination et une violence aussi extrêmes » à l’égard des femmes et des filles être acceptées, et encore moins normalisées, où que ce soit. « Alors que nous redirigeons nos efforts vers des actions concrètes, j’espère que le dialogue d’aujourd’hui montrera aux courageuses militantes présentes aujourd’hui que la communauté internationale est à leurs côtés et qu’elles ont besoin d’un soutien de la part de la communauté internationale », a conclu la Haut-Commissaire adjointe des Nations Unies aux droits de l’homme.

Une conseillère en nutrition conseille une mère et ses enfants dans un village du centre de l'Afghanistan en juin 2022.
© UNICEF/Christine Nesbitt
Une conseillère en nutrition conseille une mère et ses enfants dans un village du centre de l'Afghanistan en juin 2022.

Une détérioration de la santé mentale des femmes et des filles afghanes 

Lors du dialogue interactif, la Présidente du Groupe de travail de l’ONU sur la discrimination à l’égard des femmes et des filles a décrit « un contexte oppressant » dans lequel la pauvreté et l’incertitude quant à l’avenir exercent une pression extrême sur les femmes et leurs familles. Une telle situation exacerbe la violence domestique, les mariages forcés et les mariages d’enfants, la vente d’enfants, le travail des enfants, la traite des êtres humains et les migrations dangereuses.

« La détérioration de la santé mentale est une préoccupation majeure de toutes les femmes avec lesquelles nous nous sommes entretenues et, dans une enquête utilisée dans le rapport, 47,6 % (1 005 femmes) connaissaient personnellement au moins une femme ou une fille qui souffrait d’anxiété ou de dépression depuis août 2021, et 7,8 % (164 femmes) connaissaient une femme ou une fille qui avait tenté de se suicider », a affirmé Dorothy Estrada-Tanck. 

Or avec l’arrivée des Talibans, l’absence d’un système juridique clair et cohérent contribue depuis août 2021 « à la perpétuation de la violence contre les femmes et les filles et à l’impunité des auteurs ». « Les meurtres liés au genre, qui constituent la réaction la plus extrême pour ne pas s’être "conformé" aux rôles discriminatoires des hommes et des femmes, se produisent au domicile des femmes et des filles, dans les espaces publics et dans les centres de détention », a ajouté Dorothy Estrada-Tanck. 

Dans ces conditions, les formes flagrantes de discrimination fondée sur le sexe sont perpétrées en toute impunité, sans aucune considération pour les droits, la sécurité ou l’autonomie des femmes. Sans le respect de leurs droits fondamentaux, les femmes sont ainsi condamnées à vivre dans la tyrannie, a-t-elle averti.

Richard Bennett, s'exprime lors d'un événement spécial sur les droits de l'homme aux Nations unies en 2016. (archives)
Photo ONU/Manuel Elias
Richard Bennett, s'exprime lors d'un événement spécial sur les droits de l'homme aux Nations unies en 2016. (archives)

La communauté internationale ne doit pas détourner le regard 

Même son de cloche du côté du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en Afghanistan. Richard Bennett a d’ailleurs rappelé que la discrimination grave, systématique et institutionnalisée à l’encontre des femmes et des filles est au cœur de l’idéologie et du pouvoir des talibans. « Ce qui fait craindre qu’ils ne soient responsables d’un apartheid des sexes, une grave violation des droits de l’homme qui, bien qu’elle ne constitue pas encore un crime international explicite, doit, selon nous, être étudiée plus avant », a-t-il développé. 

Pour l’expert indépendant onusien, il est impératif de ne pas détourner le regard. « Nous attendons de l’ensemble de la communauté internationale qu’elle se joigne à votre combat », a-t-il fait valoir.

D’autant que pour le Représentant permanent de l’Afghanistan auprès de l’ONU à Genève, il ne s’agit pas seulement de l’Afghanistan, ni d’un défi local. Une façon de montrer que les talibans remettent ouvertement en question les fondements mêmes du système normatif international qui s’est construit au cours des 75 dernières années grâce au travail dévoué des États membres des Nations unies, dont l’Afghanistan, l’un des premiers membres, et des organisations de la société civile du monde entier.   

« Une série d’autres rapports incroyablement choquants sur la situation des droits de l’homme et des libertés fondamentales indique que les talibans poussent un pays déjà au bord du gouffre à s’enfoncer encore plus profondément », a souligné l’Ambassadeur Nasir Ahmad Andisha, répétant que « ce défi ne concerne pas seulement l’Afghanistan, ni l’Islam ».

Selon le diplomate afghan, les discussions et les solutions doivent aller au-delà de la routine et de la rhétorique. « Nous recommandons d’aller de l’avant », a-t-il conclu, plaidant pour le renforcement du mandat du rapporteur spécial, avec « la mise en place d’un mécanisme d’enquête chargé de surveiller, d’enquêter sur les violations et de recueillir des preuves à cet égard ».