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L’ONU se dote d’un Groupe d'amis et de projets visant à renforcer le rôle de la science dans la prise de décision

Lors d’une réunion de l’Assemblée générale des Nations Unies portant sur la science dans les prises de décisions, des scientifiques et des experts ont appelé les décideurs politiques à rechercher et à intégrer régulièrement des données et des expertises scientifiques dans les travaux de l'organe onusien.

Certains diplomates ont répondu en lançant une plateforme informelle pour élargir le rôle des données et des connaissances scientifiques dans les discussions et les négociations des États membres.

Le Groupe d'amis sur la science au service de l'action a été annoncé mercredi par la Belgique, l'Inde et l'Afrique du Sud, dans le cadre d'un effort visant à s'attaquer à des crises mondiales complexes et interconnectées, telles que le changement climatique, la prévention des pandémies mondiales et la réponse à ces dernières.

Le Président de l'Assemblée générale, Csaba Kőrösi, a encouragé les autres États membres à rejoindre le forum, qui selon lui représente un « pas en avant important vers la coopération multilatérale et l'échange d'informations et de données ». 

Le Groupe a été lancé à la clôture de la deuxième séance d'information scientifique de l'Assemblée générale, organisée par le Président Kőrösi conformément à sa priorité d'injecter la science dans le travail des Nations Unies.

L'événement, qui a duré toute la journée, s'est déroulé en trois panels, réunissant des scientifiques et des experts du monde entier, ainsi que des diplomates, des représentants des secteurs privé et public et des organisations de la société civile.

Une femme passe devant des éoliennes sur une route de campagne à Heijningen, aux Pays-Bas.
Unsplash/Les Corpographes
Une femme passe devant des éoliennes sur une route de campagne à Heijningen, aux Pays-Bas.

Au-delà du PIB, mesurer le bien-être, l’inclusion et la durabilité

Le premier panel a abordé la création d'un indice pour mesurer la durabilité, au-delà du PIB, une question qui fait l'objet de discussions depuis la création des Objectifs de développement durable.

« Nous aurions dû commencer à le développer le lendemain de l'adoption des Objectifs de développement durable », a déclaré M. Kőrösi dans son allocution d'ouverture de la séance d'information scientifique, mettant les panélistes au défi de créer collectivement des mesures communes. 

Cela ne veut pas dire que le produit intérieur brut se soit pas utile. Le statisticien Stefan Schweinfest a défendu le PIB, affirmant qu'il s'agissait « en fait d'une réussite » pour les Nations Unies, qui ont formé des milliers de fonctionnaires à la mesure des statistiques, ce qui a permis d'obtenir des chiffres « propres à chaque pays, comparables dans le temps et d'un pays à l'autre ».

Mais le PIB ne peut pas tout faire, a déclaré M. Schweinfest : « Si vous essayez de manger de la soupe avec une fourchette, ne blâmez pas la fourchette. Ce n'est pas le bon outil. La cuillère a été inventée ».

Anu Peltola, la Directrice intérimaire des statistiques à la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), a fait écho à ces propos en comparant le PIB à un antibiotique, déclarant qu'il « est puissant mais doit être utilisé avec précaution pour avoir l'impact que nous souhaitons ».

Mme Peltola a déclaré que le PIB n'est pas destiné à être utilisé comme mesure du bien-être, de la durabilité ou même du progrès.

Le PIB peut augmenter en raison d'une surexploitation des ressources, de la reconstruction après une catastrophe ou d'activités illégales.

Il ne mesure pas le type de croissance d'un pays, son égalité ou les conditions dans lesquelles elle est générée, comme la sécurité de l'emploi ou des salaires équitables.

Tel est le concept de « Au-delà du PIB », selon Rutger Hoekstra, de l'Institut des sciences de l'environnement, qui travaille depuis plus de 15 ans à la mise au point d'un substitut au PIB.

Selon lui, le problème nait du fait que les citoyens travaillent pour le système économique et non l'inverse, et du fait de l'accroissement des inégalités et d'un sentiment de manque d'attention au bien-être des générations futures et de la planète.

M. Hoekstra a plaidé en faveur d'un paradigme politique pour les citoyens, qui inclurait le bien-être, l'inclusion et la durabilité.

Amit Kapoor, chercheur à l'Institute for Competitiveness en Inde et à l'université de Stanford, a également fait part de ses préoccupations concernant les inégalités et l'obsession de la productivité et des gains.

Il a donné des exemples d'études réalisées en Inde, notamment sur la qualité de vie des personnes âgées, prenant en compte des critères tels que le bien-être financier, le bien-être social, le système de santé et la sécurité des revenus.

 Nos employés choisissent de travailler avec nous non seulement pour le salaire, mais aussi pour l'impact que nous avons dans le monde, pour nos valeurs - Deborah Sills, Deloitte 

Thierry Watrin, du ministère des Finances et de la Planification économique du Rwanda, a encouragé une approche recalibrée qui tiendrait compte de l'égalité des sexes, par exemple, ainsi que du capital humain, de la santé et de l'environnement.

Ces discussions, comme l'a expliqué Deborah Sills, responsable du conseil mondial au secteur public chez Deloitte, montrent qu'il existe un consensus sur la nécessité d'aller « au-delà du PIB ». La question est de savoir quelles catégories spécifiques mesurer et s'il existe des données suffisamment larges pour être significatives.

Elle a déclaré que le secteur privé est généralement favorable à des mesures cohérentes et communes et qu'il est particulièrement intéressé par un modèle « au-delà du PIB » en raison des attentes des parties prenantes.

« Nos employés choisissent de travailler avec nous non seulement pour le salaire, mais aussi pour l'impact que nous avons dans le monde, pour nos valeurs », a-t-elle fait valoir.

Alors que les gouvernements s'attaquent au changement climatique, à la pauvreté et à d'autres défis mondiaux, le secteur privé s'intéresse de près à l'existence de réglementations fondées sur des mesures cohérentes.

Les gens sont plus susceptibles d'être confrontés à l'insécurité alimentaire et à la malnutrition s'ils n'ont pas les moyens d'avoir une alimentation saine.
Unsplash/Dan Gold
Les gens sont plus susceptibles d'être confrontés à l'insécurité alimentaire et à la malnutrition s'ils n'ont pas les moyens d'avoir une alimentation saine.

Sécurité alimentaire

Lors d'un débat sur la sécurité alimentaire et la transformation durable, les experts ont convenu qu'une approche interdisciplinaire est essentielle pour concevoir des politiques alimentaires qui diagnostiquent précisément les problèmes, identifient les chevauchements et les compromis tout en traitant les conséquences involontaires des stratégies visant à garantir que les 8 milliards de citoyens du monde ont accès à une alimentation suffisante, sûre et nutritive à tout moment.

« Le monde a la capacité de nourrir 10 milliards de personnes et de le faire de manière durable », a déclaré le Président de l'Assemblée générale dans son discours d'ouverture.

Aujourd'hui, cependant, l'humanité est en train de franchir à toute vitesse plusieurs limites planétaires.

« La science est claire comme de l'eau de roche : nos systèmes alimentaires constituent une grande partie du problème », a affirmée Olav Kjørven, Directeur principal de la stratégie à la Fondation EAT, expliquant qu’ils mettent une pression croissante sur l'intégrité de la biosphère, ainsi que sur les cycles du phosphore et de l'azote. « C'est dangereux, c'est un risque élevé », a ajouté M. Kjørven.

Une action concertée pour « réparer » l'alimentation peut faire progresser la plupart des Objectifs de développement durable « comme rien d'autre », a-t-il déclaré.

Il est de plus en plus évident que la transformation de systèmes alimentaires sains, durables et justes est impérative et réalisable dans la pratique, qu'elle peut faire l'objet d'investissements importants et qu'il est déjà possible d'agir, a souligné M. Kjørven.

Rikin Gandhi, PDG et cofondateur de Digital Green, a décrit les efforts déployés pour faciliter le partage de vidéos sur les pratiques agricoles respectueuses du climat parmi les agriculteurs, citant des programmes en Inde, en Éthiopie, au Kenya, dans toute l'Asie du Sud et en Afrique subsaharienne, connectant 4 millions d'agriculteurs, dont plus de 70% sont des femmes.

Selon M. Gandhi, l'utilisation de vidéos par et pour les agriculteurs permet de réduire le coût de la motivation d'un agriculteur à appliquer une pratique intelligente en matière de climat, qui passe de 35 dollars à 3,50 dollars.

« Nous devons relever les défis de l'accessibilité, en particulier pour les femmes qui fournissent la plus grande partie de la main-d'œuvre, mais qui sont exclues de la vulgarisation et des technologies numériques », a-t-il souligné.

Pour soutenir ces décisions, Ravi Kanbur, coprésident de la Commission sur l'économie des systèmes alimentaires, a déclaré que son organisation explore des voies alternatives pour le système alimentaire mondial afin d'obtenir de meilleurs résultats pour l'environnement, la santé et l'inclusion.

Selon lui,pour comprendre ce qui freine le changement, il est important d'examiner l'interaction entre les incitations - telles que les changements de prix et les réglementations, les innovations et les investissements.

Il a encouragé les participants à envisager la création d'un fonds de transformation alimentaire pour traiter ces éléments, et à entamer une conversation institutionnelle sur la manière de gérer le suivi mondial.

Sur ce dernier point, Inbal Becker-Reshef, Directrice du programme Harvest de la NASA, a souligné que les données satellitaires offrent de vastes possibilités en matière de surveillance des terres agricoles.

Ces données sont en grande partie gratuites, accessibles et ouvertes, a-t-elle ajouté, notamment pour réduire les risques liés à la transition vers des pratiques agricoles durables.

Corinna Hawkes, Directrice des systèmes alimentaires et de la sécurité alimentaire de la FAO, a déclaré que l'histoire des politiques et des pratiques visant à renforcer la sécurité alimentaire par la production d'aliments de base est jonchée de conséquences imprévues - du changement climatique et de la perte de biodiversité à l'obésité et à la sous-alimentation - toutes conduisant à une résilience inadéquate.

Elle a plaidé en faveur de l'abandon de la « pensée en silo » - qui utilise la science comme moyen d'améliorer la productivité - au profit d'une approche systémique, qui comprend que la production et la consommation alimentaires ont des conséquences imprévues et que la science est nécessaire pour prendre des décisions qui réduisent au minimum les compromis inévitables.

« Si les solutions à l'insécurité alimentaire doivent être durables, nous devons faire progresser la science et les preuves basées sur les systèmes pour aider les États et les parties prenantes à évaluer les compromis et les synergies », a-t-elle déclaré, et fournir des solutions qui prennent en compte la durabilité dans toutes ses dimensions.

Les semences lancées dans l'espace en novembre 2022 ont été positionnées à l'intérieur et à l'extérieur de la station spatiale internationale pour être exposées à toute la gamme des rayonnements cosmiques et aux températures extrêmes de l'espace.
© IAEA/NASA/Nanoracks
Les semences lancées dans l'espace en novembre 2022 ont été positionnées à l'intérieur et à l'extérieur de la station spatiale internationale pour être exposées à toute la gamme des rayonnements cosmiques et aux températures extrêmes de l'espace.

Apporter un soutien scientifique à l'ONU

Le troisième panel de la journée s'est concentré sur le soutien scientifique aux Nations Unies, qui se résume aux données et à la collecte de statistiques.

Selon Samira Asma, Sous-Directrice générale de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), la question est de savoir « comment tirer parti des informations malgré les lacunes en matière de données et les utiliser pour influencer les politiques publiques et avoir un impact dans les pays », en particulier à une époque où le monde n'est qu'à un quart du rythme qu'il devrait avoir pour atteindre les Objectifs de développement durable.

Répondant à sa propre question, elle a évoqué la coopération et la collaboration internationale.

Riko Oki, Directrice adjointe du Centre de recherche sur l'observation de la Terre de l'Agence aérospatiale japonaise, a déclaré que toute avancée nécessitait un effort concerté.

Elle a souligné qu' « aucun pays ne peut à lui seul construire la constellation de satellites » nécessaire pour comprendre les crises mondiales à cette échelle. « Nous partageons cette planète ».

Mme Oki a également souligné l'importance de faire appel aux experts locaux et de collaborer avec les populations locales.

Cette idée a également été abordée par Felix Ankomah Asante, Vice-chancelier de l'université du Ghana, qui a souligné que la question du savoir autochtone devait être prise en compte, car de nombreuses communautés locales utilisent ce savoir pour lutter contre le changement climatique, par exemple. Ces mesures ou initiatives nationales « ne sont pas prises en compte dans les ensembles de données mondiales ».

M. Asante a également plaidé en faveur d'une collaboration avec les universités et les centres de recherche, estimant qu'ils disposent souvent de structures utiles aux décideurs politiques et qu'ils peuvent fournir une expertise « très qualifiée » pour veiller à ce que la collecte de données soit systématique dans tous les pays.

Chaque dollar investi dans les données offre un rendement économique de 32 dollars

Il s'agit d'une nécessité urgente, car seulement la moitié des pays du monde disposent de données sur les ODD, a déclaré Claire Melamed, PDG des Partenariats mondiaux pour les données du développement durable (Global Partnerships for Sustainable Development Data).

« L'amélioration des systèmes de données coûterait moins de 1% de l'ensemble de l'aide publique au développement à l'étranger », a-t-elle déclaré, ajoutant que chaque dollar investi dans les données offre un rendement économique de 32 dollars.

« Nous ne devrions pas considérer les données comme une ponction sur nos budgets. Bien au contraire, il s'agit d'investissements dans le progrès pour les personnes, le changement climatique, et la croissance économique ».

Dernier intervenant de la journée, Salvatore Arico, PDG du Conseil international de la science, a rappelé que la science ne peut être prescriptive et qu'elle ne peut que présenter des options et les implications de ces options. 

La science, c'est « la clarté du langage, la nécessité de dissiper dès le départ les spéculations, les erreurs de communication et la méfiance. Et au contraire, de promouvoir la persuasion par la logique », a-t-il déclaré, soulignant l'utilité de la science pour les diplomates.