Aller au contenu principal

Une ONG genevoise se mobilise pour sauver le patrimoine ukrainien

La cathédrale Sainte-Sophie de Kiev, en Ukraine.

Alors que la crise humanitaire s’intensifie en Ukraine, les professionnels du secteur de la culture alertent aussi sur le risque de disparition du patrimoine durant le conflit. C’est le cas de l’ALIPH, l’Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones de conflit, créée en 2017 et basée à Genève.

« Il y a urgence en Ukraine », déclare son Directeur exécutif, Valéry Freland, qui était l'invité d'ONU Info Genève cette semaine. Depuis près d’un mois et demi, l’ALIPH se mobilise afin de protéger les musées, les monuments et les bibliothèques. Grâce à l’appui d’un réseau de contacts polonais et moldaves, l’organisation a pu entrer en contact avec la majorité des institutions culturelles ukrainiennes, y compris dans les zones de conflit comme le Donetsk. « Aujourd’hui, à Lviv, Odessa ou Kiev, tout le secteur connaît notre organisation et nous contacte », explique M. Freland.

Pour lui, cela est crucial. En effet, il affirme qu’il est « important de protéger le patrimoine, pour protéger l’âme du peuple ukrainien ». « Derrière les tas de pierres, se trouvent des hommes et des femmes. Ils sont notre priorité », ajoute-t-il.

80 musées, monuments et bibliothèques aidés

Le directeur exécutif détaille l’aide concrète apportée par l’ALIPH aux sites qui en font la demande. Valéry Freland souligne que la fondation finance l’achat et le transport de matériel de protection, tel que des extincteurs, des caisses en bois ou encore des couvertures anti-feu.

L’Alliance veille aussi à assurer les conditions de stockage des artefacts, qui sont parfois conservés dans des caves, faute d’autres lieux sécurisés. « Nous expédions aussi des dispositifs anti-humidité », précise le diplomate. Enfin, l’ALIPH propose une aide financière allant de 3000 USD à 20 000 USD aux institutions culturelles. Ces ressources matérielles peuvent également être allouées à des professionnels du secteur restés sur place.

Des oeuvres d'art en Ukraine attendent d'être transportées vers des lieux sûrs

M. Freland tient d’ailleurs à rendre hommage à la mobilisation de ces individus qui ont choisi de demeurer dans les zones de conflit afin d’assurer la protection des œuvres. « Cette mobilisation a été exceptionnelle ! (…) Nous leur proposons un soutien salarial, pour leur permettre de continuer à vivre », annonce-t-il.

Au total, l’ALIPH a déjà apporté son assistance opérationnelle à plus de 80 sites, à travers l’ensemble de l’Ukraine. Et les actions de l’organisation ne comptent pas s’arrêter là, puisque des laboratoires ambulants de conservation des œuvres devraient être bientôt mis en place à travers le pays. Une initiative originale pour répondre aux besoins les plus urgents.

Un engagement de long terme

Si la fondation a été aussi réactive en Ukraine, c’est probablement parce qu’elle possède une expérience unique dans les zones en conflit et post-conflit. En effet, depuis sa création il y a 5 ans, l’ALIPH est intervenue dans une trentaine de pays et a soutenu plus de 150 projets de protection. Interrogé au micro d’Alexandre Carette pour ONU Info Genève, Valéry Freland a tenu à souligner la variété des régions concernées : le Moyen-Orient (en Irak, Afghanistan ou encore Yémen), l’Afrique (au Mali et Niger), mais aussi l’Asie (en Indonésie) et l’Europe (dans le Caucase). « Nous intervenons partout où nous pensons devoir intervenir », analyse le directeur exécutif. « Aujourd’hui, on se rend compte que les conflits se multiplient et que le patrimoine y est pris en otage. »

Le choix du lieu d’intervention se fait toujours en application du principe de souveraineté des Etats. C’est le cas par exemple en Irak, où M. Freland souligne une « vraie volonté de travailler ensemble ». Le ministère de la Culture a demandé l’aide de l’organisation genevoise afin d’assurer la stabilisation de l’arche de Ctésiphon, monument datant du 7ème siècle près de Bagdad. C’est aussi le cas dans le nord-est de la Syrie, contrôlé par les Kurdes, où l’Alliance réhabilite concrètement le patrimoine local.

Cette approche opérationnelle est soutenue par un nombre croissant de pays. « Il y a une véritable prise de conscience, au sein des Nations Unies comme dans l’Union européenne, de l’importance du patrimoine dans les relations internationales », affirme Valéry Freland. De ce fait, 90 millions de dollars ont pu être levés en janvier dernier lors d’une conférence des donateurs, et de nouveaux Etats s’apprêtent à rejoindre l’ALIPH.

Un partage des responsabilités clair

Ce travail se fait également en collaboration avec l’UNESCO, dont le mandat couvre la protection du patrimoine. Grâce à la Convention de la Haye de 1954, l’agence onusienne peut marquer les sites qui doivent être épargnés par un « Bouclier Bleu ». Ce symbole mondial reconnaissable permet de signaler les lieux culturels qui doivent être protégés des bombardements. En Ukraine par exemple, l’organisation a ciblé prioritairement la Cathédrale Sainte-Sophie de Kyiv, ses bâtiments monastiques connexes mais aussi le centre historique de Lviv.

Le Bouclier Bleu de l'UNESCO pour désigner les sites culturels devant être protégés des bombardements.

Pour Valéry Fréland, « le partage des responsabilités avec l’UNESCO est très clair ». « Ce sont eux qui portent le rôle de sensibilisation et de négociations auprès des Etats. » Il fait aussi référence au droit international qui doit être respecté, en soulignant que des attaques contre ces sites culturels peuvent être considérées comme des crimes de guerre. Cette menace est surveillée par l’UNESCO, qui établit de son côté un bilan des institutions affectées lors des conflits.

Ecoutez l'intégralité de l'interview de Valéry Freland pour ONU Info Genève.