Fil d'Ariane
Retour sur l'année 2021 : « Nous tous, nous voulons la paix », le témoignage d’une Casque bleue centrafricaine
Animatrice et reporter au sein de Guira-FM, la radio de paix de la MINUSCA, Merveille Noella Mada-Yayoro ressent que son travail a un impact « positif ».
« Quand y'a quelque chose, c'est vers moi que mon entourage vient demander. Est-ce que tu as telle information ? Est-ce que tu peux nous orienter ? Est-ce que cette information, elle est vrai ou elle est fausse ? », explique-t-elle. « Et si tout le monde vient vers toi dans ton secteur pour te demander des informations et des orientations, cela veut dire que ton travail, ce que tu fais, a des impacts quelque part ».
Cet impact, Merveille le ressent au-delà de son secteur et de son quartier, au sein de son église, où elle travaille avec des enfants et une association de jeunes. Ils se regroupent chaque semaine pour discuter de certaines thématiques.
« On oriente nos débats beaucoup plus sur la paix, la cohésion », raconte-t-elle, signalant que la crise centrafricaine revêt souvent un angle religieux chrétien-musulman, alors que le pays n’a jamais connu de crises entre ces communautés auparavant.
« Dans notre église, avec l'association des jeunes, nous faisons toujours de notre mieux afin de sensibiliser, de faire comprendre, qu’il n'y a jamais eu des crises entre chrétiens et musulmans. Que nous sommes tous dans ce pays et que nous sommes appelés à travailler ensemble », raconte Merveille.
« Ils ont compris que, voilà, la crise, ce n’est pas entre les frères chrétiens et musulmans—ça, c'est un angle politique », se félicite la jeune reporter.
Pouvoir se rapprocher de la population
Animer à l’antenne et communiquer pour informer la population est l’un des aspects que Merveille préfère de son travail « parce que cela permet d’être encore plus proche de la population ».
« Le fait d’informer la population, être encore plus proche de la population --quand tu as l'antenne, quand tu es devant le micro, c'est que tu parles à plusieurs personnes à la fois et là, ça me plaît beaucoup », dit-elle.
Les missions de terrain en dehors de la capitale aussi lui permettent de se rapprocher. « Là-bas, je touche du doigt les réalités. Comment est-ce que les gens vivent à l'intérieur du pays ? Comment est-ce que les gens sont en train de se battre pour vivre au quotidien, donc tu t'imagines la vie à l'intérieur du pays », raconte Merveille.
Selon elle, cette proximité lui permet de recevoir de meilleures informations.
« Les gens viennent vers toi pour t'expliquer, pour te montrer leur quotidien, pour te dire ‘Voilà. Regarde. C’est ce qu'on fait ici et est-ce que tu ne peux pas faire quelque chose pour nous ? Il faut prendre ces éléments. Arrivé à Bangui, il faut diffuser. Il faut que tout le monde entende. Il faut que tout le monde écoute et que tout le monde ait une idée sur ce que nous nous vivons à l'intérieur du pays », décrit la Casque bleue civile.
Cela permet aussi de mieux vérifier l’information.
« Quand on t'appelle pour te dire, ça peut être une vérité, ça peut être un mensonge, ça peut être une incitation à la haine. Toi, tu ne sais pas et tu penses que c'est la vérité, c'est la réalité qu'on te dit. Et quand tu vas sur le terrain, c'est à toi maintenant de comprendre que, voilà, ce que telle personne est en train de dire, c'est du mensonge, parce que toi tu as vu et tu as touché », explique la journaliste.
Ces missions lui font également découvrir et comprendre les différences entre la vie dans la capitale et celle en régions.
« Ici, à Bangui, les gens n'ont pas une idée sur ce que se passe à l'intérieur du pays. Les gens qui sont à Bangui pensent qu’ il y a la paix et la sécurité, ils sont là, ils sont tranquilles parce qu’ils mangent, boivent, se promènent », signale Merveille.
« Mais quand tu vas à intérieur du pays : il y a la crise. Les gens n'ont pas vraiment cette liberté de s'exprimer, ou bien de vaquer à leurs occupations, d'aller là où ils veulent. Donc vous voyez, c'est cette différence », précise l’animatrice.
Les limites de son métier en communication peuvent toutefois être frustrantes pour elle.
« Les gens viennent vers toi te dire que, on a besoin de toi, on a besoin que tu nous vienne en aide, on a besoin que tu puisses nous soutenir et tu te vois incapable de résoudre ce problème », dit-elle.
Merveille leur explique alors qu’elle va relayer l’information et que l’aide « viendra après », mais « ça fait mal au cœur… tu ne peux pas apporter la solution à tout un village ».
Être jeune et être femme
Le fait d’être jeune et femme a souvent été un avantage pour Merveille sur le terrain. La voyant « jeune et femme », loin de sa famille laissée derrière à Bangui pour venir aider dans l’intérieur, les gens « ont ce souci de t'aider, de te mettre sur la bonne voie », explique-t-elle.
Il existe aussi une certaine complicité entre jeunes, « parce qu’étant jeune, les jeunes viennent vers toi : vous avez le même langage et vous pouvez communiquer facilement, donc ça permet aussi le contact avec la jeunesse à l'intérieur du pays ».
Ce contact donne un accès particulier qui permet de partager d’autres réalités.
« Si on est jeune et qu’on est proche des jeunes, on a les informations que l’on cherche... C’est vers les jeunes que tu peux avoir toutes les informations… Des fois, quand tu es avec les grands, il y a des choses que tu n'entends pas. Mais quand tu es avec les jeunes, dans des causeries, des débats, ils te lancent les sujets ».
Agent moteur de transformation
Lorsqu’elle était affectée à Kaga-Bandoro, à quelques 300 km de Bangui, Merveille était l’une des seules femmes et la seule à travailler en dehors des bureaux de la mission.
« Quand tu pars sur le terrain et que tu croises des femmes, en fait, elles ont cette envie de faire comme toi. Mais c'est un peu difficile parce que, pour certains domaines, il faut étudier. Mais dans certaines localités, il n'y a pas d'école », regrette Merveille.
De plus, lorsqu’il y en a une, ajoute-t-elle, ce sont souvent les garçons qui ont droit à l’école. Face à cette réalité, Merveille et ses collègues ont profité des plages horaires mises à disposition par la radio nationale pour communiquer localement, pour sensibiliser non seulement les jeunes sur la non-violence mais aussi pour sensibiliser « beaucoup plus les femmes ». L’impact de ces émissions semble se ressentir.
« Si aujourd'hui vous allez à Kaga-Bandoro, vous allez voir qu’il y a des femmes … qui veulent faire quelque chose : dans la couture, dans la coiffure et tu sens que les femmes commencent vraiment à contribuer quand tu pars sur un chantier, tu vas voir les hommes mais tu pourras voir également les femmes qui sont là parmi les gens en train de travailler et elles ont compris finalement que le travail, c'est pas seulement les hommes », se réjouit Merveille.
L’image de la paix
« Nous tous, nous voulons la paix », affirme cette jeune centrafricaine engagée.
Lorsqu’on lui demande quelles images lui viennent en tête quand elle pense à la paix, Merveille évoque une récente mission au camp de déplacés à Birao, à plus de 1000 km de la capitale, tout près de la frontière avec le Soudan.
Une enfant de 18 mois est venue vers elle toute nue, alors qu’elle tentait de réaliser une interview. L’enfant ne voulait qu’une chose : être avec elle. Elle a pris l’enfant entre ses mains et a réalisé l’interview.
« Alors je me suis dit, s'il y avait la paix cet enfant ne pourrait pas se trouver sur le site des déplacés, elle serait avec sa famille dans leur maison, en train de vivre la paix, peut-être qui sait à Bangui avec toute sa famille », raconte Merveille.
« Alors moi quand je pense à la paix, je pense à tous ces enfants qui sont sur les sites des déplacés et qui veulent retourner chez eux, mais avec cette situation sécuritaire… Je me suis dit un jour, il faut que la paix revienne pour que ses enfants retrouvent leur place », raconte-t-elle.
Et qu’est-ce qui représente la fin de la guerre et le retour à la paix pour cette jeune Casque bleue centrafricaine ? : « La cohésion. Que tous les Centrafricains arrivent à voir cette idée que nous sommes tous d'un seul pays et que nous devons œuvrer ensemble pour reconstruire ce pays ».