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Afghanistan : l'ONU s'efforce d'apporter un appui à la population malgré la situation

Le conflit en Afghanistan s'est intensifié au cours des dernières semaines. Plus de 1.000 personnes ont été tuées ou blessées à la suite d'attaques aveugles contre des civils, notamment dans les provinces de Helmand, Kandahar et Herat, au cours du seul mois écoulé. 

Vendredi, le Secrétaire général de l’ONU a affirmé que le moment est venu d'arrêter l'offensive, d'entamer des négociations sérieuses et d'éviter une guerre civile prolongée ou l'isolement de l'Afghanistan.

Selon, le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF), plus de 18 millions de personnes ont besoin d'une aide humanitaire. 4 millions d'enfants ne sont pas scolarisés. Environ 400.000 personnes ont quitté leur foyer pour chercher refuge, dont plus de la moitié sont des enfants.

Pour en savoir plus sur la réalité qui prévaut sur le terrain, notamment pour les enfants afghans déplacés, ONU Info a joint cette semaine à Kaboul Mustapha Ben Messaoud, Chef des opérations de terrain et de la réponse aux urgences pour UNICEF en Afghanistan, de retour d’une mission de dix jours à Kandahar. 

Cette interview, légèrement éditée, date du 12 aout et reflète la situation à cette date.

Mohibullah, 11 ans, a déménagé au camp de déplacés de Haji en raison de la guerre et du conflit, alors qu'il était en quatrième année dans sa ville natale. Maintenant, il n'a pas accès à l'école.
© UNICEF Afghanistan
Mohibullah, 11 ans, a déménagé au camp de déplacés de Haji en raison de la guerre et du conflit, alors qu'il était en quatrième année dans sa ville natale. Maintenant, il n'a pas accès à l'école.

ONU Info :  Quel était l’objectif de votre mission à Kandahar ? 

Mustapha Ben Messaoud : Tout d'abord merci pour votre question. Les 4 ou 6 dernières semaines ont été vraiment intenses en Afghanistan. Le conflit a pris une tournure pour le pire et cela a engendré un énorme mouvement de population. Aujourd'hui on est aux alentours de 360.000* déplacés qui ont été  poussés en dehors de leurs villages et la raison pour laquelle je suis monté en soutien à Kandahar c'est parce que dans la province de Helmand, qui n’est pas très éloignée de Kandahar, les combats font rage. Les combats continuent d'ailleurs au moment où l’on parle là, et ça a poussé pas mal de monde et certains d'entre eux ont réussi arriver jusqu’à Kandahar.  
 
Donc l'idée c'était de partir et d’aider les équipes sur place à coordonner la réponse et essayer d'apporter un soutien immédiat à toutes ces familles qui ont fui avec quasiment rien. La plupart d’entre elles ont laisse tout ce qu'elles possédaient, le peu qu'elles possédaient, dans les maisons qui d'ailleurs n'existent plus parce que les combats étaient des combats de rue dans la ville et tout a été détruit.  Ils ont perdu de ce qu'il a possédaient mais pour beaucoup d'entre eux ils ont aussi perdu des êtres chers, y compris des femmes et des enfants en jeune âge. Je pourrais vous parler des cas que moi j'ai vu de mes propres yeux qui ne laissent pas indifférent. Cette violence de la guerre surtout à l’égard des femmes et des enfants est quelque chose d'assez terrible pour n'importe qui et spécialement pour nous à l'UNICEF.

ONU Info :  Est-ce que vous pourriez nous donne un aperçu de la situation à Kandahar et ce que qu’est-ce que cela signifie par rapport au reste du pays ? 

Mustapha Ben Messaoud : Kandahar était et reste toujours relativement calme. Moi j'ai été là-bas pendant une dizaine de jours et c'est vrai que la nuit on entend le bruit des combats -- il y a des avions, il y a des tirs d'artillerie, mais c'est relativement éloigné du centre-ville. C'est vraiment dans la zone, pour ceux qui connaissent Kandahar, qui est assez proche de la prison de Kandahar. Mais vient le matin, les activités de la ville sont tout à fait normales, avec les marchés les magasins qui sont ouverts, et pas forcément à une très grosse inquiétude de la part des habitants.
 
Cela étant dit, un grand nombre d'entre eux, ceux qui ont les moyens, ceux qui ont pu, ont déjà pris l'avion pour Kaboul et d'autres destinations.

ONU Info : Vous êtes donc allé retrouver ces personnes, ces familles, qui ont fui Helmand que vous ont-elles raconté ?

Mustapha Ben Messaoud : Ce sont des histoires qui sont très dures à entendre, des histoires qui ont été très dures à vivre pour la plupart de ces familles. Il y a notamment un cas qui m’a vraiment touché.  Un petit garçon qui s'appelle Refiqullah*, qui a 10 ans et qui dormait profondément paisiblement à Lashkargāh, quand un projectile a explosé non loin de sa maison. Un bout de ce projectile est rentré dans la maison, dans sa chambre. Il était tellement brûlant qu’il a mis le feu à la chambre de l'enfant. Donc son lit a pris feu. Ses habits ont pris feu et ses habits étaient composés de coton et de polyester, donc ses vêtements lui ont collé à la peau et une partie de sa peau a dû partir avec.  Maintenant il a les cicatrices d'une brûlure au second degré et sans doute à la limite haute du second degré. Et ça c'est vraiment... c'est encore un bébé à 10 ans. Il s'endort et puis il se réveille …il se réveille en feu, littéralement en feu… et c'est peut-être un enfant qui a été chanceux ! Parce que beaucoup n'ont pas pu se réveiller. Et c'est vraiment ces histoires là qu'on entend de la part des familles. Ce sont des familles qui ont tout perdu.
 
L'Afghanistan aujourd'hui souffre d'une sécheresse qui impacte quasiment 85% du pays. Les récoltes estimées pour cette année sont extrêmement pauvres.  Donc du coup on a une population qui a faim et qui va avoir de plus en plus faim. Et, en ce qui nous concerne, il y a des enfants qui sont dans un état qui devient un état médical. Ils sont tellement mal nourris qu’il leur faut un traitement médical pour ne pas succomber à la faim. Et il faut que là on fasse des interventions qui soient rapides, si on ne veut pas que la situation empire.
 
Et juste un petit mot sur la nutrition. Il faut savoir que d'ici la fin 2021, si la situation reste comme elle est, un enfant sur deux de moins de cinq ans va être en situation de détresse alimentaire. Il va être sérieusement sérieusement mal nourri. Pour la population générale, nos estimations pour l'année 2021 étaient d’à peu près 18 millions. C’est plus ou moins la moitié de la population. On n'a pas un décompte exact de la population afghane, mais 18 millions d’Afghans qui sont dans le besoin et qui auront besoin de recevoir une aide humanitaire. Ce nombre va très sans doute augmenter et se balader aux alentours des peut-être 20, 22, 23, 24 [millions]. Tout dépend de la durée et de l'intensité du conflit qui est en train de se propager dans tout le pays.

ONU Info : Vous parlez de détresse alimentaire, d'un besoin de répondre avec urgence. Est-ce que vous avez la possibilité et la capacité justement dans le contexte actuel d'agir avec urgence et de joindre les populations et les enfants dans le besoin ?

Mustapha Ben Messaoud : C'est très difficile aujourd'hui parce qu'on a des coupures en termes d'accès parce que le conflit est vraiment intense. Et comme il s’agit de plusieurs agences dont notamment la mission intégrée [de l’ONU], il y a des décisions qui sont prises. Ces décisions sont assez conservatrices, avec pour objectif de faire en sorte que la vie de nos collègues, de nos employés, soit garantie. 

Donc il y a des zones, notamment Kandahar, notamment Herat et puis d'autres sous-structures, où la Mission des Nations Unies a ordonné l'évacuation de ces zones. Donc l'évacuation a lieu. On a cette agilité, cette flexibilité, pour sortir assez rapidement. Mais on a aussi une agilité et une flexibilité égale pour pouvoir revenir très rapidement avec le ‘criticality framework’.  

Cela étant dit, nous on travaille avec des partenaires. Donc les partenaires sont sur place avec une efficacité réduite, bien entendu, parce qu'ils ont une sorte de d'hibernation qui arrive à un moment donné quand le conflit devient vraiment intense. L'idée est de pouvoir les protéger pour qu’ils puissent aller sauver des vies après. Mais on arrive toujours à avoir des programmes qui fonctionnent.
 
Mais, dans l'idéal, il faudrait qu'il y ait un couloir humanitaire, un corridor humanitaire, qu’il y ait un cessez-le-feu, à défaut d'avoir une fin du conflit. Parce que, quoi que l'on fasse, quelle que soit notre agilité, on ne va pas être en mesure d'arriver en temps voulu et sauver les vies. 

Et je crois qu'il y a un sentiment qui risque de se propager assez rapidement au sein de la population afghane : c'est que lorsque nous on voit ça comme « une agilité et une flexibilité », eux ils voient ça plutôt comme les Nations Unies quittent les lieux et nous abandonnent et nous laissent à notre propre misère.  Ce qui n'est pas forcément le cas mais quand on est dans une détresse telle que la leur en ce moment, on ne peut pas …quiné sur des palabres pour essayer de sauver et c'est triste.   
 

Groupe d'enfants qui ont quitté leur ville natale de Lashkargah à cause du conflit et qui se trouvent maintenant dans le camp de déplacés de Haji à Kandahar.
© UNICEF Afhganistan
Groupe d'enfants qui ont quitté leur ville natale de Lashkargah à cause du conflit et qui se trouvent maintenant dans le camp de déplacés de Haji à Kandahar.

ONU Info : Est-ce que vous pouvez nous raconter un peu le quotidien d'un enfant aujourd'hui là vous étiez à Kandahar et dans ce camp ? Pour une fille, un garçon ? 

Mustapha Ben Messaoud : Je crois que l'une des activités sur laquelle on planche et qu'on essaie d'accroître c'est vraiment le soutien psychologique et psychosocial, parce qu'il y a un trauma qui est en train de se mettre en place, que ce soit au niveau des enfants, ou au niveau des adultes. Ils voient des choses qu’on ne devrait pas voir en tant qu’enfant, qu’on ne devrait pas voir en tant qu’humain tout simplement. 
 
Aujourd'hui, pour beaucoup d'entre eux, ils ont quitté un lieu familier, une maison, quelle que soit sa forme ou sa taille, pour se retrouver sous un abri en métal ou sous une tente, lorsque la tente est distribuée. Il faut faire la queue pour aller recevoir sa ration d’eau-- parce que l'eau est rationnée. Elle vient de l'extérieur avec des camions citernes.  Ils ne savent pas forcément ce qu'ils vont manger. 

Ils arrivent dans un endroit où il y a énormément de gens et ils ne connaissent personne. Donc ça prend un peu de temps de se faire des amis.  Il y a tout ce côté que l’on prend pour acquis qu’ils doivent redévelopper. Ils doivent recomprendre leur environnement, acquérir des nouveaux reflex : ne pas sursauter à chaque fois qu'il y a un bruit parce qu'ils ont passé des jours à entendre des bombes exploser près d'eux. Donc le comportement qu’ils ont n’est pas un comportement sain.
 
Et donc vraiment l’idée c’est de créer un sorte cocon autour d’eux. Ce n'est pas un hôtel 5 étoiles mais c'est vraiment de pouvoir rassurer et de recadrer un petit peu leur mentalité parce qu'ils ont été tout simplement traumatisés.

Les filles c'est encore un peu plus compliqué parce que, pour certaines d'entre elles, elles ont écouté le discours de leur maman et de leur tante sur comment était la situation avant et donc elles se demandent dans quelle direction le pays va aller.  

Tous les acquis qui ont été faits en matière de droits de la femme, en termes d'accès aux écoles, que ce soit le primaire ou le secondaire, pour les jeunes filles est ce que c'est quelque chose qui va être remis en question ? Est-ce qu'il y a un avenir autre que de devenir une femme au foyer, une épouse, dès l'âge de la puberté ? 

Donc il y a toutes ces craintes et beaucoup d'entre elles ne sont pas exprimées parce que les besoins immédiats sont les besoins de première nécessité :  c'est manger, boire et avoir un toit sur la tête parce qu’à Kandahar je peux vous dire que la température moyenne a été à 39°C.  C'est chaud.  C'est chaud, surtout pour les gens qui ont été sur la route pendant un long moment, la peur au ventre.

ONU Info :  Vous avez parlé de créer un cocon est ce que c'est possible étant donné le contexte ?

Mustapha Ben Messaoud : C’est possible, mais c'est vraiment un cocon. Donc c'est un lieu défini, qui n'a pas forcément une taille qui peut accueillir tout le monde.  Mais l'idée, notre approche, c'est de faire en sorte que les programmes qu'on a mis en place les années précédentes continuent à fonctionner.
  
Là où ces programmes-là sont interrompus, parce que les populations ont bougé, c’est d'arriver au plus vite à l'endroit où ces populations se sont établies et de commencer par rassurer. Et on les rassure en faisant en sorte qu'ils aient de l'eau à boire. Qu'ils aient une hygiène : parce que l'hygiène c'est la dignité. C'est vraiment l'image qu'on transfère à son interlocuteur, c'est vraiment important de reconstruire cela.

Ensuite, il y a tout l'aspect médical qui doit entrer en ligne de compte.  Ces enfants-là, ces femmes…Il y a des femmes qui sont au 7eme mois de grossesse et qui font tout ce chemin, qui étaient suivies. Certaines d'entre elles ont peut-être des complications. Donc il faut s'assurer que, malgré le fait qu'ils soient dans un camp, qu’ils puissent avoir accès à un système médical de base, au moins qui puisse garantir leur vie.
 
Ensuite une fois qu'on a satisfait ses besoins là, on commence à regarder le cas des enfants.  Est-ce qu'il y a des traumatismes qu'il va falloir adresser ?  L'école est un besoin fondamental pour les petits garçons et les petites filles, donc c'est quelque chose qu'on doit mettre en place.

Souvent on les intègre dans les écoles environnantes quitte à accroître la capacité de ces écoles-là, soit on met en place. On emmène nos tentes qui sont des classes ambulantes et puis on recrute des professeurs. C'est pour ne pas les couper du système éducatif, mais c'est aussi, sur un plan pratique, vraiment nécessaire pour les parents. Parce que les parents ont cette charge que sont les enfants, charge entre guillemets, désolé du terme, mais ils ont aussi besoin d'un moment de respirer un peu. Je veux dire, on est tous parents, et puis on sait qu’a un moment donné on a tous besoin de relâcher un peu la pression, quand on est au fond des choses tout le temps.  

Donc il y a vraiment des cercles concentriques. Donc on part du plus petit, puis on essaie d'accroître.  Mais, ça peut uniquement se faire si on nous laisse le faire, si on nous donne l'accès à ces gens-là.  Mais ce qui risque d’arriver aujourd'hui avec la nature du conflit, c'est que les gens vont sans doute devoir bouger une, deux trois fois et changer de camp à chaque fois. 
 
On était hier on était sur Kaboul, parce qu'il y a un nouveau camp qui s’est créé donc les équipes sont dessus. Mais rien ne nous garantit que Kaboul demain ne sera pas Kaboul sur les bombes, et donc dans ce cas-là, quelle va être l'alternative ? Où est-ce que ces gens-là vont aller? Et, on va sans doute avoir des gens qui vont s'éparpiller au travers du pays, dans les zones inhospitalières.

Puis on va avoir des gens qui vont qui vont pousser jusqu'aux frontières et quand ils poussent jusqu'aux frontières, avec une zone un conflit ou par exemple les campagnes de vaccination n'ont pas lieu, donc, on va avoir on va avoir les épidémies que ce soit de varicelle que ce soit des épidémies de polio.  Vous le savez le Pakistan et l'Afghanistan sont les deux zones au monde ou on a encore la polio qui est qui est très active.

Et donc, si on ne laisse pas faire notre travail aujourd'hui, notre travail de demain sera encore plus compliqué parce qu'il va s'élargir et la surface qu'on devra couvrir sera juste immense.

ONU info : Je vous entends évoquer les couloirs humanitaires et l'accès, mais dans un dans un futur proche et immédiat, quelque part vous allez vous retrouver à suivre le mouvement des populations ?

Mustapha Ben Messaoud : Dans idéal, on devrait être en mesure de recevoir les mouvements de populations parce qu'on a quand même un réseau qui est assez étayé.

Que ce soit l’UNICEF, les agences onusiennes ou les acteurs humanitaires parce qu'on n'est pas seul. Il n'y a pas que les Nations Unies et grand Dieu merci sinon la tâche serait bien au-delà de nos capacités.  

Donc on a on a des bureaux, mais c'est vrai qu’aujourd'hui on fait face à des évacuations successives. Vous avez sans doute dû entendre parler du personnel évacue à Kandahar. On a dû on a dû évacuer Kunduz et d'autres zones.  

Donc c'est soit on est capable de se projeter à nouveau dans ces zones-là, et nos programmes vont persister, et puis on va pouvoir les augmenter. Soit on est incapable et dans ce cas-là, c'est les populations ne vont pas avoir d'autre choix que de venir vers nous. Et pour eux, c'est un chemin semé d’embûches et de dangers. Quelqu'un qui va faire tout le chemin du Nord de l'Afghanistan de Mazaar, ou Kunduz, ou Samangan jusqu’à Kaboul, il va traverser des lignes de front et donc il va s'exposer à un danger, 24h sur 24.  

Certains d’entre eux ne vont pas pouvoir faire ce chemin parce qu’ils sont soit trop âgés, soit médicalement, soit d’un point de vue santé, ils ont des contraintes. Donc il y a des vies qui vont être perdues. Donc c'est vraiment on est venu dans ce pays donc c'est à nous d'aller vers eux et pas l'inverse. On est là pour fournir une assistance humanitaire, on n’est pas là pour ouvrir un bureau à Kandahar, avec un message si vous voulez de l'aide, vous avez besoin de l'aide, et bien écoutez venez vers nous. Donc là c'est un peu le problème qu'on a aujourd'hui. C'est pour ça qu'on essaie de maintenir une capacité sur le terrain, même minimale, pour essayer de fixer les gens là où ils sont chez eux, quand c'est possible.

Une mère et son fils, qui ont subi de graves brûlures lors de l'attaque de leur maison, cherchent refuge dans le camp de déplacés de Haji, à Kandahar, en Afghanistan.
© UNICEF Afghanistan
Une mère et son fils, qui ont subi de graves brûlures lors de l'attaque de leur maison, cherchent refuge dans le camp de déplacés de Haji, à Kandahar, en Afghanistan.

ONU Info :  Vous avez dit en début d'interview que le personnel de l'ONU avait été évacué de plusieurs localités, que vous arrivez à vous reposer sur vos partenaires sur le terrain et que vous avez un accès ponctuel où une mobilité ponctuelle.  Est-ce que, dans les localités qui sont le contrôle des Talibans, vous avez la possibilité de mener vos programmes à bout comme avant ?

Mustapha Ben Messaoud : Les capitales provinciales qui ont été prises par le mouvement des Talibans sont des zones où nos programmes fonctionnent toujours. Et je vais vous parler d'un cas qui est arrivé ce matin dans l'ouest du pays, où les Talibans ont pris une zone et ils nous ont contactés en nous disant que qu’ils sont en train de travailler -- donc ils ont des cabinets fantômes, un peu comme le système anglais, et donc le ministre de la santé ‘fantôme’, à défaut d'autre terme, est en train de travailler avec le ministre de la santé de cette zone-là.  Donc ils travaillent en bonne entente et les deux nous ont contacté en disant on aimerait que l'UNICEF continue à fournir notamment des programmes de santé et plus particulièrement la vaccination contre la polio. 

Le souci là-dedans, c'est que notre propre système de sécurité des Nations Unies est un système qui demandent plusieurs garanties avant de pouvoir valider une sortie, ou une visite sur le terrain. Donc c'est un système aujourd'hui où l’on a réévalué les risques, le système à maintenant et évaluer à risque très très important, ce qui veut dire que pour que nous puissions, nous les employés de l’UNICEF ou les employés de l'OCHA chat ou l’OMS, si on va aller sur le terrain il faut que l'on fasse une demande qui va être traitée ici, qui va ensuite monter au niveau de nos directeurs, de nos directeurs exécutifs à New York, ou l'endroit où ils sont. Puis, ensuite, ça revient.  

Donc c'est un système qui est compliqué. On a un système qui est là pour garantir la vie et la sécurité des employés. Mais c'est vrai que parfois il y a comme une adéquation entre l'urgence sur le terrain et puis nos protocoles sécuritaires.

Mais, cela étant dit, c'est quelque chose que l'on maîtrise et qu’on fait partout – qu’on a fait au Yémen, qu'on a fait en Syrie. Donc voilà, ça prend un peu de temps pour que le système puisse analyser et vérifier que tout est en place pour que les gens puissent partir et revenir en toute en toute sécurité.

Donc c'est un peu compliqué on n'a pas l'agilité des MSF ou du CICR, mais quand on y arrive généralement on est capable de faire une différence à une plus grande échelle.

ONU Info : Vous avez évoqué la nécessité d'avoir des couloirs humanitaires -- qu’est-ce qui pourrait permettre à l'UNICEF ….qu'est-ce qui pourrait améliorer la situation étant donné le contexte ?

Mustapha Ben Messaoud : Je crois qu'aujourd'hui si on est incapable, si la communauté internationale est incapable d'avoir un cessez-le-feu ou à une résolution de ce conflit, il va falloir qu'on développe un appétit un peu plus grand pour le risque et qu’on ouvre des structures qui tout à fait fonctionnelles dans les zones qui sont sous le contrôle des Talibans.  

Pour que cela puisse arriver, il faut qu'on ait un dialogue à haut niveau avec la structure de commande militaire et puis avec le leadership politique du groupe de Talibans.  
Il faut qu'on ait aussi un dialogue avec le gouvernement et les autorités afghanes, afin de s'assurer que nos équipes ne vont pas se retrouver au milieu d'un combat ou ne va pas être ciblé par accident par une partie ou l'autre au conflit.

Ce que je veux dire par là c'est qu’ il faut absolument qu'on puisse fournir l'assistance immédiatement à la population afghane. Et donc cela se fait soit le conflit s'arrête soit il y a un corridor humanitaire qui est mis en place. Soit on accepte travailler dans ces zones là et on essaie de garantir au maximum la sécurité, mais, sachant que voilà c'est à ce niveau-là d’engagement c'est très difficile d'avoir un risque zéro. Notre appétit pour le risque va devoir sans doute changer si on opte pour cette option-là.

ONU Info : Vous êtes responsable des urgences à l'UNICEF, pourriez-vous citer vos quatre priorités actuellement ?

Mustapha Ben Messaoud : La première priorité c’est les violations graves à l'encontre des enfants donc aujourd'hui on est au-delà de 500 morts depuis le depuis le début de l'année, avec une augmentation très significative depuis les 4 dernières semaines.  

On a un enfant sur deux de moins de cinq ans qui souffre de malnutrition aiguë sévère -- ils ont extrêmement faim, au point de tomber malade.  

On a aujourd'hui des camps des camps qui se mettent en place avec pas forcément accès à de l'eau propre et d'hygiène et donc là pour nous ça c’est un risque de choléra ou de maladies qui peuvent se propager.

Et puis il ne faut pas oublier, l'Afghanistan aujourd'hui fait face à 3 crises.  

On a la Covid. La troisième vague de Covid fait 100 morts par jour, sachant que le système n'est pas forcément très efficace en matière de décompte, on a au moins 2.000 cas qui sont positifs par jour, et ça ce sont les cas qui sont comptés.  

On a le conflit qui est en train de taper très dur.  Et puis on a une sécheresse, qui a été déclarée par le président au courant du mois de juin.  Et ça veut dire qu’ils vont avoir faim et ils ne vont pas avoir assez d'eau, ils ne vont rien avoir à manger et puis il y a les bombes qui leur tombent dessus. Et les bombes elles ne font pas de discrimination elle tombe sur les femmes, les enfants, les jeunes, les moins jeunes, les plus âgés. Cela veut dire aussi que l’on va avoir sans doute une population qui va essayer d'atteindre l'Iran, la Turquie et l’Europe. Ça veut dire aussi que l’on va avoir d'autres problèmes et une situation un peu similaire à ce qu'on a vu en Syrie.

Et je suis très content de voir au moins deux pays ou en Europe ont décidé de ne plus ne plus renvoyer les afghans chez eux. Mais il y a quand même 6 pays en Europe qui ont demandé à la Commission européenne de ne pas stopper les rapatriements des Afghans.  

Donc il faut avoir quand même aussi je crois, on doit avoir une politique une voix forte, que ce soit au niveau des belligérants en Afghanistan et les pays limitrophes, et tous les soutiens des parties au conflit. Mais on doit aussi avoir une voix forte au niveau des pays européens et des pays riches entre guillemets pour faire en sorte que voilà qu'on puisse apporter l'aide nécessaire.