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Durban + 20 – Quels sont les progrès réalisés pour vaincre le racisme ?

Il y a 20 ans la conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée, s'est tenue à Durban, en Afrique du Sud. Cette conférence a débouché sur le programme le plus complet en la matière : la Déclaration et le Programme d'action de Durban. 

En avril 2009, la Conférence d'examen de Durban, qui s'est tenue à Genève, a évalué les progrès accomplis en vue de la réalisation des objectifs fixés par la Conférence de Durban de 2001 et pour vaincre le racisme. Elle a conclu qu'il restait beaucoup à faire. 

En septembre une assemblée générale de haut niveau se tiendra à New York pour commémorer le 20e anniversaire de la Déclaration et le Programme d'action de Durban sur le thème "Réparations, justice raciale et égalité pour les personnes d'ascendance africaine.

Ali Ndiaye, alias Webster, est une personne fascinante  puisqu’il est non seulement rappeur mais aussi historien conférencier. De mère québécoise et de père sénégalais, Webster est un artiste engagé. Avec lui, ONU info a parlé des progrès accomplis sur la question de racisme, 20 ans après l’adoption de la déclaration de Durban en août 2001.

Webster, artiste Hip-Hop et conférencier canadien met l'accent sur l'importance des populations minoritaires, en particulier  Noirs québécoises et de l'esclavage.
@Philippe Ruel
Webster, artiste Hip-Hop et conférencier canadien met l'accent sur l'importance des populations minoritaires, en particulier Noirs québécoises et de l'esclavage.

ONU Info : Où en sommes-nous 20 ans après avons-nous fait des progrès ?

Webster : J’ai envie de dire, on avance de deux pas, on recule de deux pas donc pratiquement du surplace. Pour ce qui est des deux pas en avant, Je crois qu'on réussit à avoir de plus grandes discussions. Je crois y a de plus en plus de gens qui réalisent que le racisme existe et que le racisme est à la base un peu, à contribuer, à façonner ce que nous sommes en tant que planète Terre aujourd'hui et que le racisme est une force incontournable qui a permis la colonisation, qui a permis l'esclavage, qui a permis d'entrer dans la révolution industrielle. Souvent, on ne fait pas le lien, on parle toujours en termes de marxisme, de capitalisme, mais on oublie de parler en termes de racisme aussi. Donc le racisme comme système politique finalement, comme force motrice, on l'oublie beaucoup. Et donc je crois que tranquillement on réussit à avoir cette conversation. Tranquillement, ça commence à entrer un peu plus dans l'espace public, que dans des conversations nichées, j'ai envie de dire, entre militants, si on veut. Et donc ça, je dirais que ce sont les deux pas en avant. 

Pour ce qui est des deux pas en arrière, je crois que le racisme et la xénophobie sont de plus en plus décomplexés. Donc avant, c’étaient des mouvements, des discours qui était assez marginalisés mais qu'on retrouve de plus en plus dans l'espace publique et dans des hautes sphères, qu'elles soient étatiques ou encore de compagnies, etc. Donc il y a cette manière décomplexée de passer le racisme sur le dos de la liberté d'expression et même du courage de dénoncer ce qui ne pouvait pas être dénoncé avant, à cause du politiquement correct. Et donc, on l'a vu avec, et même on le voit avec plusieurs chefs d'État, avec plusieurs personnes qui voudraient être chef d'État. On le voit dans plusieurs médias aussi et bon naturellement, on a tous et toutes en tête les États unis, mais pas que les États-Unis. On le voit chez nous, au Canada, on le voit partout ailleurs dans le monde. Et donc, on dirait qu'il y a moins d’opprobre dans l'espace public face au racisme. C'est comme si, peut-être c'est une illusion de, quand j'étais plus jeune, une illusion d'enfance, mais j'ai l'impression que des propos racistes étaient plus rapidement dénoncés sur la place publique. Mais peut-être je me trompe aussi

 ONU Info : Est-ce que vous pensez que les médias sociaux ont exacerbé ces mouvements?

Webster : Oui, si toujours on prend l'image des deux pas en avant et des deux pas en arrière, oui. Parce que les médias sociaux ont réussi à créer une mobilisation, on réussit à rendre accessible bien des connaissances, bien des concepts. Mais aussi, d’un autre côté, dans les deux sens, c'est à dire rendre accessible bien des concepts mais aussi bien des concepts racistes, des concepts de conspirationnistes, des concepts xénophobes. Donc là, les réseaux sociaux ont aidé à attiser ce feu-là. Toutefois, le danger que je vois avec les réseaux sociaux, c'est que, de mon impression, il est facile désormais de prendre position sur les réseaux sociaux et d’en s’en tenir à ça. C'est à dire au lieu de prendre action dans la vie réelle, les gens vont souvent dénoncer sur les réseaux sociaux et sentir que l'action est faite. Et donc il y a, j'ai envie de dire, un degré de satisfaction très facilitant à travers les réseaux sociaux, où est-ce qu'on a l'impression qu'on a fait quelque chose, qu'on a commis une action et ensuite on peut passer à d'autres choses et rester chez soi. 
Mais je pense que les réseaux sociaux doivent être accompagnés de prises de position dans la vie, dans la rue, dans les différentes institutions. Donc, pour moi c'est vraiment à triple tranchant, les réseaux sociaux sont à triple tranchant. 

Des manifestants à New York pour demander justice et pour protester contre le racisme aux États-Unis après la mort de George Floyd alors qu'il était aux mains de la police.
ONU Info/Antonio Lafuente
Des manifestants à New York pour demander justice et pour protester contre le racisme aux États-Unis après la mort de George Floyd alors qu'il était aux mains de la police.

ONU Info : Et on a vu qu'il y avait beaucoup de voix qui sont levées cette dernière année et encore aujourd'hui contre les évènements racistes qui se sont passés aux États unis ainsi que dans beaucoup de pays du monde. Pensez-vous qu'il est important d'avoir justement une perspective historique pour comprendre ce que nous avons vécu en 2020 et encore aujourd'hui ? 

Webster : Je pense qu’on ne peut pas comprendre ces événements sans avoir une perspective historique parce que tout ça ne sort pas d'un chapeau soudainement. C’est à dire cet homme ne s’est pas agenouillé sur le cou de cet autre homme de nulle part. Je pense que c'est symptomatique d'un système qui a été construit sur le racisme. Il ne faut pas oublier que notre monde d’aujourd'hui a été bâti sur les derniers siècles et des derniers siècles qui ont été trempé dans le racisme. Et comme je le disais, c’et le racisme qui a permis la colonisation et des Amériques et du reste du monde. C’est le racisme qui a permis l'esclavage. Donc un labeur forcé noir qui cultivent des terres autochtones non cédées pour enrichir l'Europe, qui a finalement a pu entrer dans la révolution industrielle et conquérir le reste du monde. Et donc cette notion de racisme est essentielle à pouvoir comprendre la notion de racisme systémique, la notion de suprématie blanche, de privilège blanc.

Ces notions de, j'ai envie de dire cette espèce de disparité économique entre le Nord et le Sud, le racisme n'est pas étranger à ça. Les derniers siècles ne sont pas étrangers, l'esclavage, la colonisation ne sont pas étrangers à ça. Et même notre manière de voir, de diviser l'humanité en dite race provient de cette histoire-là aussi. Parce que la notion de race est une notion récente dans l'histoire de l'humanité, c'est à dire que la notion de race comme on le perçoit aujourd'hui basée sur le phénotype n'existe que depuis les années 1700. Nos ancêtres avant cela, n’accordaient pas nécessairement des valeurs négatives ou positives au phénotype. Bien sûr, ça pouvait arriver, mais ce n’était pas, tant essentialisé que à partir de cette classification de Carl von Linné dans Système de la nature en 1735 et tout le travail des philosophes des Lumières comme Emmanuel Kant, à définir l'état de personne, mais aussi de sous personne et d'associer les deux finalement. C’est Kant qui disait cette personne, je paraphrase ici, mais il disait cette personne, je savais qu'elle était stupide dès le départ parce qu'elle était noire.  

Et donc la notion de race, comme on dit souvent en fait, ce ne sont pas les races qui ont donné naissance au racisme mais le racisme qui a donné naissance à la notion de race. Parce que je parlais de Carl von Linné dans le Système de la nature, qui va déjà diviser ladite race humaine en 4 races différentes et chacune avec des traits culturels particuliers. Donc on disait, admettons l’asiatique est mené par son opinion. L’autochtone, l’américain qu'ils appelaient des États des Amériques était mené par ses superstitions. L’Européen est mené par les lois et l'Africain mené par la volonté de son maître. Et donc, dès la première fois qu'on classifie l'être humain, c'est raciste. Et en fait, le racisme, c'est justement la catégorisation, et essentialisation et hiérarchisation. Et donc toute cette pensée raciste, ces divisions raciales, cette perception de supériorité et d'infériorité essentialisée nous viennent de ces époques-là. 

Des manifestants à New York protestent contre le racisme et les violences policières à la suite de la mort de George Floyd.
Photo : ONU/Evan Schneider
Des manifestants à New York protestent contre le racisme et les violences policières à la suite de la mort de George Floyd.

ONU Info : Hélas il faut souvent une tragédie pour parler du racisme, et on en a vu plusieurs en 2021. Pensez-vous que ces évènements ont permis d’évaluer nos comportements et d’évoluer. Est-ce que les gens sont plus sensibles à ce qu’est le racisme ?

Webster : Je pense qu'il y a du progrès dans certains secteurs. Et dans d'autres secteurs, non, et là encore deux pas en avant et 2 pas en arrière. Mais je pense qu'il y a plusieurs institutions qui ont commencé à réviser un peu leur pratique de réviser leur manière d'être, de faire. Comment ils constituaient leur CA, qui sont leur pyramide hiérarchique. Donc je pense qu'il y a certaines institutions qui ont fait cet exercice-là. Il y en a d'autres qui ont seulement, comme on dit, surfer la vague parce qu'un moment donné c'était très cool de pouvoir en parler. Et je pense que c'était ça l'inquiétude pour bien des gens, parce que oui, tout le monde en parle aujourd'hui, mais on fait quoi dans 6 mois, dans un an dans 3 ans ? Donc je pense qu'il y a des gens qui l'ont pris au sérieux. Il y en a d'autres pas. Mais je crois qu'il y a une certaine avancée qui elle-même produit une espèce de recul, qui cette avancé produit elle-même une espèce de ressac raciste. 

Si on veut regarder des cas précis, voyons l'élection de Barack Obama qui mène à l'élection de Donald Trump. Donc je pense que à chaque fois qu’on remet en question la manière dont est notre société, où sont distribués ces privilèges différenciés et bien il y a des gens qui tout d'un coup s'inquiètent de la perte de ces privilèges-là. Au lieu d’avoir une distribution plus équitable, et bien des gens vont s'inquiéter. Et puis ils vont pencher de l'autre côté de la balance. Et donc chacun de ces gains, j’ai l'impression, est accompagné de certains reculs chez certaines personnes d’un point de vue idéologique et social. 

ONU Info : Je lisais un article dans le New York Times de David Brooks qui disait que la blancheur est un cancer qui entraîne l'oppression de l'autre ?

Webster : Oui, tout à fait tout à fait. Puis je pense, on parle en termes de blanchité comme d'un système et d'un système qui est bâti sur l’oppression, qui est un système politique qui pendant longtemps était basé sur ces notions dont je parlais un peu plus tôt, essentialisant.  Donc à travers justement la blancheur devenue blanchité mais qui avec le temps devient mobile aussi. C'est à dire que des gens qui étaient considérés comme non blancs ou un petit peu blancs avant, avec le temps peuvent devenir blanc. C'est ce qu'on voit dans l'article. On pense aux Irlandais au 19e siècle, début 20e siècle avec l’immigration où ces gens étaient vus de manière très péjorative par les sociétés d'accueil. Ce n’est plus le cas aujourd'hui. Les Italiens même chose, les Juifs, il y a un va et vient autour de cette identité-là.

Et donc on peut le voir aujourd'hui, et notamment dans l'article que vous citez par rapport notamment des populations latino-américaines ou asiatiques qui finalement on a l'impression qu’il y a un glissement par rapport aux gains qui peuvent avoir en terme professionnel. Mais il y en a d'autres dont le glissement ne se fait juste pas.
C'est à dire on pense aux personnes afro-descendantes et africaines en contexte occidental, on pense aux personnes autochtones aussi qui d’un point de vue judiciaire, d’un point de vue social, d’un point de vue académique sont malheureusement dans le fond du baril statistique là. 

Manifestation à New York en juin 2020 contre le racisme et les brutalités policières à la suite de la mort de George Floyd.
Photo ONU/Evan Schneider
Manifestation à New York en juin 2020 contre le racisme et les brutalités policières à la suite de la mort de George Floyd.

ONU Info : Et pourquoi, pourquoi y-a-il cette discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance dans le monde ? Est-ce que vous pensez que c'est la méconnaissance, l'ignorance ou la peur de l'autre ? 

Webster : Je pense qu'il y a de tout ça parce qu’il y a l'élément individuel et l’élément systémique. Donc, il y a, de ce point de vue individuel qui est bien sûr lié à la méconnaissance, l'ignorance. Mais il est passé de s'enfermer dans la méconnaissance et dans l’ignorance. Et pour moi, j'y vois une différence. C'est à dire que la méconnaissance, je le vois comme si on ne le connaît pas, mais qu’il y a toujours moyen de se sortir de la méconnaissance en apprenant. Donc il y a cette ouverture où est-ce qu’on ne connait pas mais on est prêt à apprendre et à ainsi changer nos attitudes, nos manières de faire.

Et de l'autre côté, je vois l'ignorance dans laquelle on est enfermé dedans, tout simplement. Donc il y a aucune porte de sortie là c'est à dire qu’on ne veut pas voir plus loin et c'est ce que Charles Mills  appelle l'épistémologie de l'ignorance finalement. Et donc, pour moi, il y a cet élément individuel, mais il y a aussi cet élément systémique où, encore une fois, nous vivons, nous sommes tributaires d'un passé raciste, d’un passé qui a privilégié une partie de la population sur le dos d'une autre. Et nous vivons dans ces vestiges-là. Donc on ne peut pas juste se dire OK Bon, finalement tout ça ce n’était pas bon, on efface, on recommence à 0 et c'est parti ». Non, on ne peut pas, on ne peut pas. On va que perpétuer, finalement, ces inégalités-là, et c'est pour ça que si on veut parler du chemin qui a était fait depuis Durban en 2001, toute la notion de réparation qui a été abordée à l'époque de Durban qui a fait controverse, qui aujourd'hui encore fait controverse, qu'on n'ose pas trop aborder, on fait quoi ?  Il doit y avoir réparation pour l'esclavage, pour la colonisation. Pensons juste à la dette de l'Afrique. Si on effaçait cette dette-là, déjà ça permettrait d'aller plus loin. 

Bien sûr, ce sont des questions qui sont plus compliquées que ce je dis là. Mais Il faut adresser ces questions-là. On fait quoi des réparations ? Et on ne parle pas seulement d’une question économique, mais il y a toute ces questions qu’elles soient académiques, qu'elles soient sociales, qu'elles soient en termes des lieux d'habitation, des quartiers, comment ces quartiers sont desservis en termes de hôpitaux, de soins, d'école. Donc il y a tout ça. Mais c'est un chantier, c'est un chantier collectif énorme. Et tant qu’on n’adresse pas ces questions, on va vivre dans ces vestiges, dans ces vestiges illégaux. 

ONU Info : La Covid-19 qui a mis vraiment en lumière les inégalités flagrantes de la société. Donc peut-on commencer à construire un monde plus équitable pour tous ? 

Webster : Mais je pense qu'on doit. On le doit, on n’a pas le choix, on se le doit en tant qu’humanité, on se le doit pour nos enfants aussi. Ce que j'aime dire c'est que nous ne sommes pas responsables des actions du passé, mais nous sommes très certainement responsables du futur. Comme nos descendants vont hériter du présent qu'on leur laisse, et bien nous, on a hérité d'un passé et on doit agir maintenant pour corriger les erreurs de ce passé-là, les inégalités de ce passé là pour léguer quelque chose de mieux. Et c'est la même chose en environnement. Mais est-ce que je crois que nous sommes capables, en tant que société, en quant qu’humanité, en tant que planète ?  Je ne sais pas, mais j'ose espérer. Pour moi, je crois qu’on n’a pas le choix d'espérer et j'aime dire que j'ai l'espoir d'avoir de l'espoir. C’est-à-dire, regardons vers l'avant et on verra pour la suite là ? 

 

ONU Info : Et on a vu aux États-Unis qu’ils font tomber toutes les statues historiques. En tant qu’historien, pensez-vous que c'est un bon moyen pour lutter contre le racisme ou est-ce plutôt effacer le passé ? Qu’en pensez-vous ?

Webster : Moi, je suis d'accord parce que les statues ne sont pas nécessairement garante d'histoire, elles sont garantes d’une commémoration. Et donc il y a une différence entre mémoire et commémoration. Ce n’est pas parce que la statue du Général Lee tombe qu'on oublie le général Lee. C'est juste qu'on a décidé de ne plus commémorer une personne qui s'est battu pour maintenir le droit à l'esclavage. Beaucoup de ces statuts ont été posées dans un cadre historique précis qui était cette association, si je ne me trompe pas, les filles de la Confédération, qui ont décidé justement de déposer ces statues à la gloire des généraux confédérés. Et donc c'est un héritage raciste. Et puis on parle des États Unis mais on peut parler de bien des endroits à travers le monde où toutes ces statues qui ont été posées en l'honneur de vainqueurs, de conquérants, on se rend compte que cela a été fait sur le dos des gens qui sont des  génocidaires, des gens qui ont tué. 

Donc je pense qu’on peut vivre sans célébrer ces personnes et on peut très certainement se rappeler l'histoire sans nécessairement à les avoir dans notre face. Et pour ma part, je pense que c'est une bonne chose d'en enlever, mais je crois qu'on devrait avoir une approche tripartite, c'est à dire enlevons des statues, rajoutons des plaques pour expliquer une autre dimension de ces questions-là.  Les généraux confédérés, foutez-moi ça à la poubelle, excusez-moi le langage.  Mais ceux dont l'héritage étaient peut-être un peu plus flou, on peut rajouter des plaques pour donner une autre narrative, pour que les gens comprennent la complexité de ces personnes. Mais surtout il faut rajouter des statues. Si je prends le cas de l'Amérique du Nord où on se situe, rajoutons des statues de personnes autochtones, de personnes afro-descendantes, des africaines, des asiatiques, des juives qui ont contribué à nos sociétés, mais qui, à cause de cette manière de voir le monde, de cette manière raciste, leur contribution n'a pas été mise en avant parce qu’ils n’étaient pas des hommes blancs de l’élite. Et donc je pense qu'il faut en enlever, il faut mettre des bémols et surtout, il faut en rajouter. 

Aly Ndiaye, alias Webster, un artiste Hip-Hop et conférencier canadien. Passionné d'histoire, il met l'accent sur l'importance des populations minoritaires, en particulier les histoires des Noirs québécois et de l'esclavage.
@Philippe Ruel
Aly Ndiaye, alias Webster, un artiste Hip-Hop et conférencier canadien. Passionné d'histoire, il met l'accent sur l'importance des populations minoritaires, en particulier les histoires des Noirs québécois et de l'esclavage.

 

ONU Info : Et en tant qu’historien, dans votre travail, avez-vous pu voir justement des réussites dans des personnes ou des institutions qui dépassent vraiment cette notion de racisme ? Est-ce que vous avez eu l’occasion, soit de rencontrer des gens, autour de vous, dans des conférences, de voir vraiment  une lueur d’ espoir ?

Webster :  J’ai pu voir plus de compagnies de production qui déjà, font appel à des personnes racisées et autochtones pour parler de leurs histoires ce qui n'était pas un automatisme à l’époque. On va parler de l'histoire de l'Afrique sans l'Afrique, sans les Africains. On va parler de l'histoire des autochtones sans les autochtones. et donc, de plus en plus,  Il y a des compagnies qui se rendent compte que c'était une pratique problématique et donc qui engagent des gens en consultance. Toutefois, je pense que l'étape suivante, c'est d'engager des gens, mais pas seulement une personne noire pour parler de l'histoire noire, mais une personne noire tout court pour pouvoir faire profiter de son vécu, de son expérience de sa vision.

Donc il faut prendre acte de ce que sont ces gens, de ce qu'ils peuvent apporter, mais aussi  et quelque part c'est particulier, il faut déspécialiser ces gens. C’est-à-dire de pas prendre une personne autochtone que pour parler des concepts autochtones, parce que pour la majorité blanche, comme si elle, elle peut parler de tout mais on ne remet pas en question, mais pour les personnes racisées  elles deviennent spécialistes que de leur racisation. 

Et donc il faudra aller plus loin que ça. Donc je pense que tranquillement il y a certaines compagnies de production qui prennent acte de ces questions-là, c'est déjà une bonne chose. Je pense qu'il y a  des musées aussi qui commence à s’intéresser à d’autres histoires, à d’autres récits, à d’autres manières de faire l’art. Mais je pense qu'il faut penser en termes de postes de direction aussi, il faut passer en termes de hiérarchie, il faut penser en termes de conseil d'administration. 

Et aussi dans le cas du Canada et du Québec, il doit y avoir une plus grande prise de conscience face à sa propre histoire, ou à leurs propres histoires. C'est à dire que de par sa proximité avec les États Unis, il y a toujours été facile pour le Canada de pointer du doigt les États-Unis. C’est-à-dire, la ségrégation aux États-Unis, ici non, l'esclavage aux États Unis, ici non, le génocide autochtone, ici non. Mais on a un génocide autochtone. On le voit avec tous ces corps d'enfant qu'on retrouve ces dernières semaines dans les pensionnats. On a une histoire de la ségrégation. Il y a bien des endroits au 20e siècle où les personnes noires ne pouvaient pas aller manger ou aller au théâtre, ils devaient s'asseoir dans des endroits pour les Noirs au théâtre. Mais on ne parle pas de ça parce que on a les lois Jim Crow, juste en dessous de chez nous. Donc c'est facile de pointer du doigt.  Mais c'est la même chose pour l’esclavage. Il y a un esclavage au Canada depuis 1629. Mais on n’en parle pas parce qu’on a les champs de coton juste en dessous de chez nous. Et donc je pense que le Québec et le Canada doivent être capable de regarder en face ces histoires-là et de pouvoir se les raconter et de pas seulement parler du multiculturalisme canadien qui a soudainement depuis les années peut être 70 , occulter tout le reste.

Et donc il faut prendre acte de ces histoires là et se développer des repères afro canadiens et afro québécois, qui est mon domaine d'intérêt. Et de mon point de vue, on doit développer des repères afro québécois et afro canadiens pour comprendre qu'il y a une présence africaine et afro descendante plusieurs fois centenaire ici mais qui n'est aucunement enseigné à l'école, et qui n'a aucunement pénétré les consciences et inconsciences collectives. Et donc, c'est comme si, pour bien des gens l'afro canadiennecité ou l’afro Québecité ne date que du 20e siècle, et sont des histoires récentes. Et donc je pense que pour pouvoir contribuer à un changement positif, on se doit ce type de marqueur et non seulement voir, j’ai envie de dire, l'afro histoire qu'à travers une lentille étatsunienne. Parce que si on veut parler d'esclavage, tout le monde va être capable de nommer les champs de coton du Mississipi ou de l'Alabama. Si on veut parler de militance, tout le monde va être capable de nommer Martin Luther ou Rosa Parks, parce que nous référents sont afro étatsuniens. Donc je pense qu’au Québec et au Canada, on est à une époque  où est ce qu’on doit développer nos propres marqueurs. Bien sûr, célébrer les autres, le but ce n’est pas de les occulter. Mais on doit se développer nos propres marqueurs aussi. 

Webster, artiste hip-hop et conférencier canadien présente une exposition aux musées des Beaux-arts du Québec sur les esclaves en fuite.
Mbaï-Hadji Mbaïrewaye
Webster, artiste hip-hop et conférencier canadien présente une exposition aux musées des Beaux-arts du Québec sur les esclaves en fuite.

ONU Info : Et justement, quelle est votre contribution à l'histoire du racisme et de la traite transatlantique des esclaves bien sûr au Canada, puisque c'est votre expertise.? 

Webster : Tout récemment, j'ai fait reconnaître Olivier Lejeune comme premier personnage historique noir dans notre histoire. C'est à dire qu’il y a aucune personne afro descendante ou africaine dans ce cas-ci qui avait été reconnu comme personnage d’importance historique. Donc c'est le premier reconnu comme tel qui est arrivé à Québec en 1629, comme premier esclavage mais au-delà de son statut d'esclave comme premier africain à vivre de manière permanente au Canada. 
Et par la suite, il y a quelques mois, j'ai amené la ville de Québec à apposer une plaque commémorative sur son lieu d'habitation. Donc il y a une stèle avec une plaque qui raconte son histoire et qui permet justement de développer ce marqueur là et de développer une prise de conscience face à cette présence centenaire. 

Sinon un autre projet qui me qui me tient  beaucoup à cœur, c'est l'exposition fugitif qui a été présentée au  musée national des Beaux-Arts du Québec en 2019 qui est désormais en ligne, et qui permet de montrer la résistance des personnes asservies ici. Parce que, comme je l'ai dit, c'est une histoire qui est très peu connu et vu la nature de l'esclavage ici qui était un esclavage domestique, les gens s'imaginent toujours que c'est un esclavage qui était plus facile, mais aussi que les gens vivaient leur esclavage sans y résister. Donc on leur enlève leur capacité d'action et donc à travers l'exposition fugitif qui est basée sur les annonces, quand les gens s’enfuyaient, on les annonçait, on le décrivait de manière très précise, c’est-à-dire d’un point de vue vestimentaire et physionomique. Et donc ici on n'a pas d'image, n'a pas de peinture, de gravure de ces personnes. Mais on a ces annonces qui finalement deviennent les documents les plus précis que nous possédions quant à l'apparence de ces personnes. 

Et donc je suis parti de ces annonces pour les faire illustrer et pour montrer ce à quoi ils ressemblaient, réhumaniser des gens qui étaient considérés comme des biens meubles. Mais aussi montrer la résistance parce que puisqu'il n'y avait pas beaucoup de gens ici, ils n’avaient pas la capacité de révoltes armées comme partout ailleurs dans les Amériques. 

Partout où est-ce qu'il y a eu une bonne démographie de personnes asservies, il y a eu des révolutions armées ou des rebellions armées. Mais pas ici, puisqu'il n'y en avait pas beaucoup. Et donc l'outil, j'ai envie de dire de prédilection, outre la résistance quotidienne, c'était la fuite. Donc c'est ce que j'ai voulu illustrer, donc de contribuer à remettre un peu le cadre d'action, c'est à dire de montrer que ces gens étaient en action et pas seulement des victimes qui subissaient leur condition. 

Webster a présenté au Musée national des beaux-arts du Québec l'exposition Fugitifs ! sur les esclaves en fuite.
@Aly Ndiaye -Alias Webster
Webster a présenté au Musée national des beaux-arts du Québec l'exposition Fugitifs ! sur les esclaves en fuite.

ONU Info : Pensez-vous que beaucoup de Canadiens connaissent cette histoire ? 

Webster : Non très peu très peu, peut-être un peu plus dans des endroits comme admettons en Ontario, où est-ce qu'il y a des communautés depuis le 19e siècle qui sont installés, des endroits comme la Nouvelle-Écosse. Les plus anciennes communautés afro canadiennes sont basées en Nouvelle-Écosse. Donc les gens ont une plus grande connaissance de ces histoires-là. Mais, au Québec, très, très peu en fait. Et donc c'est le travail que j'essaie de faire. 

ONU Info : Et peut-être en dernière question, pensez-vous que l’on peut créer un monde au-delà du racisme.

Webster : On se doit de créer un monde au-delà du racisme, mais c'est une tâche qui est difficile parce que en fait, on doit se déprogrammer en tant qu’êtres humains. Parce que tout le racisme est une programmation qui s'étend sur plusieurs siècles. On le voit chez les enfants. Les enfants qui naissent non racistes et qui finalement sont construits socialement à devenir et deviennent racistes. Et donc je pense qu'il faut revenir vers cette vision, cette innocence là, ce qui est très difficile, ce qui est, j'allais dire impossible, mais je ne vais pas dire impossible et même je ne vais même pas dire quasiment impossible parce qu’on le voit dans la vie de tous les jours, des gens qui étaient racistes qui changent d'idée, des gens qui n'étaient pas racistes, qu'ils le deviennent. Mais je crois que c'est possible mais on doit changer nos institutions, on doit changer nos manières de faire, de voir. Mais je trouve qu'on est mieux situé que nous l'étions il y a quelques années, il y a peut-être 10 ans, 15 ans, 20 ans. À partir de là, ce n’est jamais acquis toutefois. Et donc ce que j'ai envie de dire c'est visons une société sans racisme, travaillons pour, et encore une fois, on verra ou cela nous mènera. 

ONU Info : Et vous pensez que la jeunesse peut aider justement à atteindre ce monde sans racisme ? 

Webster : Oui, tout à fait. Je crois beaucoup à la jeunesse. Et en fait, c'est ça qui me donne espoir, c'est de voir les jeunes, et je parle des jeunes, même les enfants, c'est de voir comment ça peut changer en quelques générations. Voyons juste la manière dont étaient traités les femmes, les luttes féministes, on le voit. Même les luttes LGBTQ+. On voit les changements de mentalité aussi. Donc on sait que c'est possible. Après ça, en tant que société, est ce qu'on va vouloir y aller, c'est une tout autre question.