Fil d'Ariane
Chypre : le Comité des droits de l'homme salue les efforts menés en matière d'égalité de genre et porte son attention sur la recherche des personnes disparues, la participation des chypriotes turcs à la vie publique, la situation des migrants et demandeurs d'asile
Le Comité des droits de l'homme a examiné, mercredi après-midi et ce matin, le rapport périodique de Chypre sur l'application des dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Le rapport a été présenté par la Commissaire aux lois de la République de Chypre, Mme Louiza Christodoulidou-Zannetou, qui a d'emblée rappelé que son gouvernement n'était pas en mesure d'assurer la jouissance des droits prévus par le Pacte sur l'ensemble de son territoire, du fait de l'occupation du nord de l'île par la Turquie. Elle a fait valoir que le Gouvernement s'était fixé pour objectif, parmi ses priorités, le renforcement des droits des femmes et l'égalité des genres. Ainsi, onze femmes ont été nommés cette année dans le nouveau gouvernement, sur un total de 25 membres, et le Parlement a élu sa première femme présidente. Chypre a également fait des progrès dans la lutte contre la violence sexuelle et sexiste, notamment avec la promulgation de la loi sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes. Un projet de loi sur la reconnaissance juridique du genre a en outre été déposé au Parlement. Le Gouvernement prépare par ailleurs un projet de loi qui révisera la loi sur les réfugiés, afin d'incorporer la jurisprudence récente, a-t-elle indiqué.
La délégation était également composée de membres de la mission permanente de Chypre auprès de l'Office des Nations Unies à Genève, de représentants des Ministère de la justice et de l'ordre public, de la police chypriote, du Ministère de l'intérieur et du Bureau du Commissaire aux lois. Elle a notamment répondu aux questions du Comité relatives aux personnes disparues, indiquant notamment que le pays n'a pas créé de mécanisme de vérité et de réconciliation ni de programme pour les réparations, précisant toutefois que des allocations sont versées s'agissant des familles de personnes disparues. La délégation a également assuré que Chypre ne pratique pas le refoulement de migrants à ses frontières, elle respecte toutes ses obligations internationales, y compris en matière de lutte contre la criminalité organisée. Par ailleurs, les Chypriotes turcs, bien que ne participant plus à la vie publique depuis les événements de 1963-1964, jouissent des mêmes droits que les Chypriotes grecs sur le territoire contrôlé par le Gouvernement. Ils peuvent toujours postuler à des postes de la fonction publique et sont inscrits sur les listes électorales, bien qu'ils soient peu nombreux à aller voter.
Les membres du Comité ont reconnu la situation particulière de Chypre et salué les mesures prises pour répondre à plusieurs des observations finales adoptées par le Comité en 2019, même si certaines restent sans réponse, notamment le fait que depuis 20 ans, le Pacte n'a pas été invoqué dans une décision de justice. Des experts ont relevé l'absence de mécanisme de recherche de la vérité pour découvrir l'étendue et les détails des circonstances qui ont conduit à la disparition de personnes lors des affrontements intercommunautaires de 1963-1964 et des événements de 1974. Ils se sont demandé si le Gouvernement prenait toutes les mesures pour garantir et encourager la participation des électeurs chypriotes turcs à toutes les élections. Les membres du Comité ont également porté leur attention sur l'usage de la force et des armes à feu par les forces de l'ordre. Le Comité est d'autre part préoccupé par de récents incidents de violence et de discrimination à l'encontre de groupes vulnérables, notamment les personnes LGBT, les Chypriotes turcs et les communautés roms, en particulier dans les zones rurales. Le Comité est par ailleurs informé de menaces et de harcèlement contre des journalistes.
Le Comité adoptera, dans le cadre de séances privées, des observations finales sur le rapport de Chypre et les rendra publiques à l'issue de la session, le 26 juillet prochain.
Le Comité des droits de l'homme entamera, lundi 3 juillet à 15 heures, l'examen du troisième rapport périodique du Burundi (CCPR/C/BDI/3), qui se poursuivra mardi matin.
Examen du rapport de Chypre
Le Comité des droits de l'homme était saisi du rapport périodique de Chypre,
(CCPR/C/CYP/5), qui contient ses réponses à une liste de points à traiter qui lui avait été adressée par le Comité.
Présentation du rapport
MME LOUIZA CHRISTODOULIDOU-ZANNETOU, Commissaire aux lois de la République de Chypre, a déclaré que le respect, la protection et la réalisation des droits de l'homme étaient prioritaires pour le Gouvernement de la République de Chypre. Elle a toutefois rappelé qu'à la suite de l'invasion turque de 1974 et de l'occupation militaire de plus de 36 % de son territoire, le Gouvernement chypriote n'est pas en mesure d'assurer la jouissance des droits prévus par le Pacte sur l'ensemble de son territoire. Elle a indiqué que ce cinquième rapport couvrait une période allant de 2012 à juillet 2020, soulignant que, depuis cette date, plusieurs faits nouveaux importants sont intervenus, notamment l'adoption de lois et de politiques et, en particulier, le renforcement des droits politiques dans le pays.
Ainsi, depuis l'élection en février dernier de M. Nikos Christodoulidis à la présidence du pays, le Gouvernement s'est fixé comme priorité le renforcement des droits des femmes et de l'égalité des genres. Le Président a nommé onze femmes au Gouvernement sur un total de 25 membres, ce qui représente une proportion de 44%. Les élections législatives de mai 2021 ont permis l'élection de huit femmes sur les cinquante-six membres élus du Parlement. En juin 2021, le Parlement a élu la première femme à sa présidence. Une femme a en outre accédé pour la première fois à la tête de la Cour suprême. Chypre a également réalisé des progrès en renforçant son institution nationale des droits de l'homme qui, depuis octobre 2022, jouit du statut A accordé par l'Alliance mondiale des institutions nationales des droits de l'homme en vertu des Principes de Paris. Il a aussi été créé une unité des droits de l'homme au Ministère de la justice et de l'ordre public en 2019, avec pour mandat de veiller au respect des obligations en matière de droits de l'homme. Enfin, la première Stratégie nationale de protection et de promotion des droits de l'homme a été adoptée en 2021.
La cheffe de la délégation a également fait état de progrès dans les domaines de la lutte contre la violence sexuelle et sexiste avec la promulgation de la loi sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes, ainsi que la mise en place d'un organe national de coordination pour prévenir et combattre la violence à l'égard des femmes.
Par ailleurs, des programmes et des campagnes de sensibilisation sur les questions LGBTI ont été organisés, y compris des défilés annuels des fiertés sous les auspices du Président de la République. Un projet de loi sur la reconnaissance juridique du genre, basé sur les principes de l'autodétermination et de l'absence d'exigence d'une intervention médicale comme condition préalable à l'affirmation du genre a été déposé au Parlement.
En ce qui concerne les efforts menés dans le domaine de l'égalité des genres, il a notamment été décidé de créer dans tous les ministères un point focal chargé d'œuvrer à la mise en œuvre des politiques d'égalité dans le secteur public. Par ailleurs, la loi sur les congés parentaux a été adoptée en décembre 2022 dans le but de promouvoir l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée pour les parents ou la personne qui s'occupe de l'enfant. De même, la loi sur l'assurance sociale a été modifiée en décembre 2022 afin d'ouvrir l'allocation de paternité à tous les pères, quel que soit leur état civil.
S'agissant de la lutte contre la traite des personnes, le Gouvernement continue d'accompagner les victimes et couvre tous leurs besoins. En janvier 2022, la police a mis en place une plateforme de signalement en ligne. Le plan d'action national 2023-2026 devrait bientôt être adopté par un groupe multidisciplinaire.
D'autres avancées ont été enregistrées avec notamment la promulgation d'une loi relative aux enfants en conflit avec la loi, ainsi qu'en ce qui concerne les personnes privées de liberté, le droit à un procès équitable, ou encore l'accompagnement des étrangers, y compris des réfugiés et des demandeurs d'asile. Le Gouvernement prépare un projet de loi d'amendement à la loi nationale sur les réfugiés afin d'incorporer la jurisprudence récente, de transposer les nouvelles directives de l'Union européenne et de clarifier ses dispositions concernant les procédures.
Questions et observations des membres du Comité
Le Comité se félicite des mesures prises par Chypre pour répondre à plusieurs des observations finales sur Chypre adoptées par le Comité en 2019, même si, a relevé une experte, certaines demeurent sans réponse. Elle a également reconnu que la situation politique de Chypre est unique : la partie nord-est du territoire est contrôlée de facto par la République turque autoproclamée de Chypre du Nord, alors que la communauté internationale la considère comme un territoire de la République de Chypre sous occupation turque.
L'experte a demandé à la délégation ce que fait actuellement le Gouvernement pour éduquer et sensibiliser le public à la possibilité de porter plainte pour violation des droits de l'homme auprès du Comité en vertu du Protocole facultatif de 1976. Plus généralement, la délégation peut-elle présenter la stratégie mise en place pour promouvoir l'éducation aux droits de l'homme.
La même experte a par ailleurs constaté que le Pacte n'avait été que rarement invoqué dans le cadre du système judiciaire national. Cela fait 20 ans que la référence ou l'analyse du Pacte ne s'est pas traduite par une décision de justice, a-t-elle déploré, appelant la délégation à citer des cas où le Pacte a été invoqué ou utilisé dans des décisions de justice et les mesures prises pour mieux le faire connaître auprès des juristes et autres membres des professions du système judiciaire.
Une autre membre du Comité a également relevé que Chypre n'avait toujours pas ratifié la Convention pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées et le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, pourtant signés par Chypre, respectivement en 2007 et 2021. Chypre n'a par ailleurs ni signé ni ratifié la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille ou encore la Convention relative au statut des apatrides. Qualifiant cette situation de « particulièrement préoccupante », elle a voulu en connaître les raisons ainsi que les mesures prises pour y remédier.
Des questions portant sur les personnes disparues ont aussi été posées à la délégation, en particulier s'agissant des travaux du Comité des personnes disparues à Chypre. Il a été relevé que cet organe (créé en 1981 par les dirigeants des communautés chypriote turque et chypriote grecque avec la participation des Nations Unies) avait identifié, à la mi-2022, les restes de 735 des 1510 Chypriotes grecs disparus et de 291 des 492 Chypriotes turcs disparus. Des données actualisées ont été demandées de même que les mesures prises au cours de la période de référence pour soutenir les enquêtes et répondre aux besoins et demandes de ce comité, qui souhaite toujours accéder à toutes les archives militaires contenant des informations.
Le Comité s'est également inquiété du fait qu'hormis les mesures visant à établir les responsabilités, il n'existe pas de mécanisme de recherche de la vérité pour découvrir l'étendue et les détails des circonstances qui ont conduit à la disparition de personnes lors des affrontements intercommunautaires de 1963-1964 et des événements de 1974. Il n'y a pas non plus de système pour accorder une réparation complète aux victimes. La délégation a été invitée à détailler les mesures prises pour établir une commission vérité et réconciliation ou une autre forme de mécanisme de recherche de la vérité, et d'indiquer quelles dispositions ont été prises pour mettre en œuvre un programme national de réparation pour les victimes de violations des droits humains, y compris de disparitions forcées.
S'agissant du cadre constitutionnel et légal de Chypre, une experte a relevé que le Bureau du Commissaire à l'administration et aux droits de l'homme (Ombudsman), qui est l'institution nationale des droits de l'homme à Chypre, jouit, depuis octobre 2022, du statut A accordé par l'Alliance mondiale des institutions nationales des droits de l'homme. Il a été demandé à la délégation de dire précisément la manière dont les rapports et opinions de ce bureau ont influencé la politique gouvernementale, ont été cités par les tribunaux ou ont été suivis de modifications de la législation pour mieux protéger les droits de l'homme. L'experte a en outre voulu savoir comment l'institution recrutait son personnel, notant que le rapport de Chypre indique qu'elle ne compte pas de personnel turcophone. Quelles mesures ou modifications sont envisagées pour que le personnel chypriote turc puisse être recruté, a demandé l'experte. Elle a aussi souhaité connaître le mode de nomination du Commissaire.
Le Comité a aussi posé des questions s'agissant de l'usage de la force et des armes à feu par les forces de l'ordre, faisant remarquer que l'article 7 de la Constitution, s'il protège le droit à la vie et à l'intégrité physique (alinéa 1), prévoit également des exceptions (alinéa 3). Il a dès lors été demandé à la délégation de fournir des détails sur ces exceptions et expliquer en quoi elles sont compatibles avec l'article 6, alinéa 1 du Pacte. Quelles mesures sont mises en place pour établir des lignes directrices et clarifier les lois existantes de manière à prévenir la privation arbitraire de la vie et l'usage disproportionné de la force par les responsables de l'application de la loi, a interrogé le Comité.
S'agissant du droit à la citoyenneté et de la question de l'apatridie, des informations indiquent que les procédures de naturalisation sont extrêmement lentes à Chypre, qu'elles manquent de transparence et sont appliquées de manière arbitraire. La délégation a été appelée à expliquer les mesures que le Gouvernement était disposé à prendre pour traiter les demandes dans un délai raisonnable, en particulier s'agissant des enfants. Le Comité a en effet appris qu'un enfant né à Chypre d'un parent chypriote et d'un non-Cypriote entré ou séjournant illégalement dans le pays, n'acquiert pas la nationalité chypriote. Il a été demandé quelles mesures Chypre était prête à prendre pour réduire le risque d'apatridie pour les enfants dans cette situation, alors que le pays n'est partie à aucune des quatre conventions fondamentales sur l'apatridie. Par ailleurs, Chypre a-t-elle l'intention de ratifier ces conventions, a demandé une experte du Comité.
En matière de lutte contre la discrimination et les crimes de haine contre les groupes vulnérables – notamment les personnes LGBT, les Chypriotes turcs et les communautés roms –, le Comité reste préoccupé par les récents incidents de violence et de discrimination à leur encontre, en particulier dans les zones rurales. Il souhaite savoir quelles mesures concrètes sont prises pour s'assurer que les lois nationales contre la discrimination sont mises en œuvre et appliquées de manière efficace. Il a souhaité également savoir quelles mesures sont prises pour assurer la poursuite des responsables de crimes de haine. Si Chypre a bien créé des mécanismes de lutte contre les discriminations, la délégation a été appelée à détailler leurs fonctions et leurs dernières activités, et de préciser comment leurs mandats sont liés au Bureau de l'Ombudsman.
Le Comité s'est félicité de la portée ambitieuse du plan d'action national pour l'égalité des sexes 2019-2023. Il a demandé des informations actualisées sur les résultats de ce plan. Il a aussi été relevé que les femmes chypriotes salariées gagnent en moyenne 10,2 % de moins que leurs homologues masculins. Quelles mesures le Gouvernement prend-il pour résoudre les problèmes d'inégalité sur le lieu de travail, a-t-il été demandé.
Le Comité s'est aussi intéressé à la situation des migrants et demandeurs d'asile, souhaitant notamment savoir si le plan d'action national pour la gestion des migrations adopté en 2020 était compatible avec le Pacte. Il a également demandé à connaître, en détail, les mesures prises pour garantir le strict respect du principe de non-refoulement, y compris pour les enfants victimes de la traite, ainsi que celles prises pour remédier à l'inégalité d'accès aux soins de santé et aux services sociaux pour les enfants demandeurs d'asile, réfugiés et migrants. Il a aussi posé des questions sur la politique et les procédures concernant les demandeurs d'asile qui franchissent la « ligne verte » (zone démilitarisée entre la partie de l'île contrôlée par la République de Chypre et la partie occupée).
Le Comité s'est aussi penché sur la participation à la vie publique des Chypriotes turcs et aux mesures prises pour garantir les droits politiques, se demandant si les citoyens chypriotes turcs vivant dans les zones contrôlées par la République de Chypre ont le droit de vote à toutes les élections. Il s'est demandé si le Gouvernement prenait toutes les mesures pour leur garantir et encourager la participation des électeurs chypriotes turcs à toutes les élections. Il a été relevé que des informations faisaient état d'obstacles à cet égard – tels que l'éloignement des bureaux de vote, le manque d'accès à l'information et la représentation limitée des Chypriotes turcs – qui entravent l'exercice du droit de vote des Chypriotes turcs.
Plusieurs questions ont aussi été posées ayant trait à la liberté de croyance, de conscience et de religion et à la liberté d'expression. À cet égard, le Comité est informé de menaces et de harcèlement contre des journalistes et de la préparation d'un projet de loi sur les fausses nouvelles, que le Parlement a renvoyé au Ministère de la justice en mai 2023.
Réponses de la délégation
Répondant aux questions et observations des membres du Comité, s'agissant notamment du cadre d'application, la délégation a indiqué que la question de la ratification de la Convention de 1954 sur le statut des apatrides est encore examinée par les autorités compétentes. La même réponse s'applique à la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, mais la délégation a rappelé que le Groupe de travail sur les disparitions forcées avait effectué une mission à Chypre en 2022. Chypre a l'intention de demander au Groupe de travail une assistance technique en vue de faire avancer un processus de ratification. La délégation a par la suite indiqué que, si Chypre n'a pas signé la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, elle a transposé ses dispositions concernant les travailleurs migrants dans son droit national.
La délégation a par ailleurs assuré que les dispositions du Pacte étaient reprises explicitement dans la législation chypriote et dans les décisions de justice. Elle a aussi, par la suite, indiqué qu'une large consultation avait été menée pour l'élaboration de la stratégie nationale de promotion et de protection des droits de l'homme. Adoptée en mars 2021 par le Conseil des ministres, cette stratégie vise à harmoniser le niveau de protection des droits de l'homme à travers différents ministères, un accent particulier étant mis sur les personnes LGBTI. La mise en œuvre a bénéficié du soutien du Royaume-Uni. Le Ministère de la justice et de l'ordre public a en outre finalisé un projet de loi en faveur de la reconnaissance juridique de l'identité de genre, qui a été adopté en Conseil des ministres le 14 septembre 2022. Le texte a été présenté au Parlement pour adoption. Une nouvelle loi, conformément aux directives européennes, va être adoptée pour protéger les enfants en conflit avec la loi. Un comité de lutte contre l'antisémitisme a également été mis sur pied.
Interrogée sur le nombre de personnes disparues, la délégation a indiqué que les données actuelles montrent que le nombre de personnes restant à identifier diminue. Cependant, le manque de coopération des autorités de Türkiye entrave la poursuite des recherches. La Türkiye devrait fournir des informations sur les charniers de Chypriotes grecs, ouvrir les archives militaires et permettre l'accès aux zones militaires sous occupation turque. En ce qui la concerne, la République de Chypre n'a jamais entravé l'accès aux sites à caractère militaire, comme le montre d'ailleurs le rapport du Groupe de travail sur les disparitions forcées de 2022.
Concernant les enquêtes sur les Chypriotes turcs disparus, la police chypriote a créé, à la demande du Procureur général, une unité spécialisée en 2010. À ce jour, 44 cas ont fait l'objet d'enquêtes impliquant 121 Chypriotes turcs. Mais aucun de ces cas n'a abouti à des poursuites, en l'absence de témoignages crédibles et de preuves suffisantes et avérées, les événements incriminés s'étant produits en 1963-1964. En réponse à une autre question, la délégation a indiqué qu'il n'était pas prévu actuellement de créer de mécanisme de vérité et réconciliation. Il n'y a pas non plus de programme pour les réparations à proprement parler, mais des allocations sont versées s'agissant des familles de personnes disparues. La délégation a ajouté que les indemnisations devraient également être versées par la Türkiye aux familles de disparus qui n'ont pas reçu ces versements à ce jour.
Concernant la violence intrafamiliale, une nouvelle loi sur les violences sexistes a été adoptée en 2021, conformément à la Convention d'Istanbul. Un organe de coordination national, placé sous la houlette du Ministère de la justice, avec la participation de la société civile, a été créé en 2022. Cet organe développe et évalue toutes les politiques dans ce domaine. Une stratégie nationale de lutte contre la violence domestique a été lancée pour la période 2023-2028, qui prévoit de nombreuses actions à l'échelle locale et nationale, visant notamment à fournir une assistance aux victimes et à poursuivre les auteurs de violence au foyer. Un nouveau protocole pour les crimes sexuels comprend une formation obligatoire à l'académie de police, visant en particulier une sensibilisation à la protection des groupes vulnérables.
Le pays compte trois foyers d'accueil des femmes victimes, pouvant accueillir des femmes seules ou avec enfants dans les deux principales villes, Nicosie et Limassol. D'autres dispositions visent à répondre aux besoins spécifiques en appartements ou en maisons individuelles. Ces foyers sont gérés par une association financée par l'État. Le pays dispose également d'une maison pour les enfants qui leur est spécialement consacrée et est gérée par une autre organisation non-gouvernementale.
Le Pacte s'applique à tous les citoyens et personnes vivant à Chypre, y compris à ceux qui y résident illégalement, a affirmé la délégation. Mais Chypre est sous pression des flux migratoires et en tant que membre de l'Union européenne, le Gouvernement a dû gérer des demandes de protection internationale, mettant sous tension les systèmes d'insertion et de gestion. Ces dernières années, 70 902 demandes de protection internationale ont été soumises pour examen. Fin 2021, quelque 30 235 demandes ont été enregistrées, auxquels se sont ajoutés, en 2022, 21 565, en provenance principalement de Syrie, du Nigéria, du Congo, du Pakistan et d'Afghanistan.
Un plan d'action pour la gestion des migrations a pour objectif de gérer mieux et plus rapidement les demandes. De plus, des campagnes de sensibilisation en direction des migrants issus des pays subsahariens sont menées pour les décourager de prendre des risques à travers les réseaux illégaux et leur présenter la réalité.
Le pays connaît par ailleurs une baisse considérable des demandes d'asile par rapport aux années précédentes. Entre mars et mai 2022, on comptait 6454 demandes, contre 3325 pour la même période en 2023.
La délégation a réfuté les allégations selon lesquelles le pays pratiquait le refoulement de migrants. Au contraire, en cas d'arrivée illicite depuis la mer et en cas de risque de naufrage, les bateaux sont assistés et les migrants ramenés au port le plus proche où ils reçoivent de l'assistance. La majorité des migrants en situation irrégulière sont le plus souvent des Syriens et Libanais âgés de 45 à 55 ans, selon leurs témoignages. Ils paient jusqu'à 2600 dollars américains aux passeurs.
La délégation a indiqué qu'environ 12 391 migrants ont débarqué à Chypre en 2021, dont 721 étaient répartis dans 34 navires différents. Cette année-là, 50 passeurs ont été arrêtés. En 2022, les migrants étaient 17 500 et 135 passeurs arrêtés. Enfin en 2023, le nombre s'élevait à 4700 migrants, dont 441 arrivés sur 21 navires et 21 passeurs ont été appréhendés. Environ 29% de ces migrants repartent chez eux. Tous ces chiffres montrent que Chypre respecte ses obligations internationales, y compris en matière de lutte contre la criminalité organisée, et ne pratique par le refoulement. La délégation a assuré que la politique de Chypre dans ce domaine repose sur les décisions de justice, les principes internationaux et les instruments des Nations Unies, dont la Convention relative au statut des réfugiés de 1951 et ses Protocoles facultatifs, ou encore la Convention relative aux droits de l'enfant.
Concernant les droits liés à la citoyenneté, la délégation a expliqué qu'il y a actuellement 3 530 personnes dont l'un des parents réside ou est entré illégalement à Chypre. La loi prévoit qu'une personne née à Chypre avant ou après août 1960 est d'office citoyen chypriote. Mais cette loi ne s'applique pas dans le cas où l'un des parents est entré illégalement sur le territoire, à moins que le conseil des ministres n'en décide autrement. Pour cette raison, sur la base d'une décision du 14 février 2007, le conseil des ministres a mis en place des critères de régularisation pour faciliter l'enregistrement des enfants nés le, ou avant le 20 juillet 1974 ; les enfants dont les parents sont d'une autre nationalité autre que turque ; les enfants dont le mariage a eu lieu à l'étranger avant le 20 juillet 1974 ; les enfants dont la mère a eu des relation avec un père turc en lien avec les événements de 1974, et les enfants nés dans le village de Pyla.
La délégation a également déclaré que les chypriotes turcs ne sont pas une minorité, mais des citoyens de la République de Chypre, des Chypriotes à part entière. Conformément à la Constitution, les langues officielles de Chypre sont le grec et le truc et l'article 123 de la même constitution prévoit que 30% des fonctionnaires doivent être des chypriotes turcs. Mais compte tenu des événements de 1963-1964 et de leur lot de violences et de l'invasion qui s'en est suivi, ces citoyens ne participent plus à la vie publique et à l'administration publique de la République de Chypre. Mais la doctrine juridique de la nécessité retenue par la Cour constitutionnelle pour maintenir la continuité de l'État est que toutes les mesures qui ne peuvent s'appliquer du fait de l'invasion et du retrait des chypriote turcs de la vie publique doivent être suspendues. Toujours est-il que les Chypriotes turcs peuvent postuler aux postes de la fonction publique, a expliqué la délégation.
En ce qui concerne l'exercice des droits politiques, les Chypriotes grecs et turcs résidant dans les zones contrôlées par le Gouvernement ont les mêmes droits et peuvent être enregistrés sur les listes électorales. Dans le cadre des élections européennes, un amendement à la loi électorale a autorisé l'inscription automatique des Chypriotes turcs possédant une pièce d'identité. Sur cette base, sur un total de 113 000 Chypriotes turcs, 80 000 ont été enregistré. Mais seuls 584 ont exercé leur droit de vote aux dernières élections européennes.
Interrogée sur les conditions de détention et la surpopulation carcérale, la délégation a reconnu que Chypre rencontrait des difficultés dans ce domaine mais a assuré que des dispositions étaient prises. Ainsi, les conditions de liberté conditionnelle ont été élargies, permettant des mesures alternatives à la détention, comme le bracelet électronique. Les modifications apportées début 2020 à la loi relative aux établissements pénitentiaires ont élargi le recours à cette solution pour les personnes condamnées à des peines de courte durée – jusqu'à douze mois.
Sur la question de l'usage de la force par la police, la délégation a indiqué que les fonctionnaires de police n'étaient pas autorisés à recourir à la force et à l'usage de leurs armes, sauf dans certaines conditions spécifiques établies par le règlement, notamment lorsque la personne représente un danger de mort pour les autres. Elle a aussi précisé que les policiers doivent suivre une formation obligatoire de dix semaines.
S'agissant de ces questions et d'autres soulevées par les membres du Comité, notamment sur la prévention contre les crimes de haine, la prévention de la torture et des mauvais traitements, la situation des réfugiés, la lutte contre la traite d'êtres humains, la délégation a indiqué qu'elle ferait parvenir au Comité par écrit les informations manquantes.
Conclusions
La cheffe de la délégation de Chypre, MME CHRISTODOULIDOU-ZANNETOU, a déclaré qu'aucun pays n'échappe à des problèmes dans la protection et la promotion des droits de l'homme et que Chypre n'y fait pas exception. Tout sera fait au mieux pour répondre à ces défis et mieux mettre en œuvre le Pacte, a-t-elle assuré.
MME TANIA MARÍA ABDO ROCHOLL, Présidente du Comité, a salué la coopération de la délégation et dit attendre les réponses complémentaires écrites que la délégation s'est engagée à fournir au Comité dans les 48 heures.
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