Fil d'Ariane
Irlande : le Comité des droits de l'homme s'inquiète de l'impunité pour les violations graves et massives commises dans des institutions publiques ou de l'Église catholique à l'encontre de femmes et d'enfants durant des dizaines d'années
Le Comité des droits de l'homme a examiné, hier après-midi et ce matin, le rapport périodique de l'Irlande sur la mise en œuvre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Les membres du Comité se sont tout particulièrement montrés préoccupés par les violations graves et massives commises en Irlande pendant des dizaines d'années à l'encontre de femmes et d'enfants dans des institutions placées sous l'autorité de l'État ou de l'Église catholique, violations qui restent totalement impunies. Ils se sont également interrogés sur les suites pénales données aux cas de viols et autres violences sexuelles commis par des membres de l'Église catholique contre des milliers d'enfants, attestés par plusieurs rapports. Le Comité a aussi fait part de sa préoccupation s'agissant des limites persistantes à l'accès à l'avortement malgré le référendum de 2018 et la loi légalisant l'interruption volontaire de grossesse.
Les experts ont par ailleurs constaté que la reconnaissance formelle des gens du voyage (Travellers) n'avait pas encore été étayée par un acte juridique, ce qui implique que les droits de cette communauté restent encore flous. Par ailleurs, des informations de plusieurs sources indiquent que les personnes d'ascendance africaine sont désavantagées et victimes quotidiennement de discrimination dans tous les aspects de la vie, notamment en matière d'emploi et d'éducation, et qu'un nombre important de crimes de haine racistes ont été commis, en particulier contre les personnes d'origine subsaharienne.
Le rapport a été présenté par le Ministre chargé de l'enfance, de l'égalité, du handicap, de l'intégration et de la jeunesse, M. Roderic O'Gorman, qui a d'emblée abordé la question délicate de l'institution des foyers pour mères et bébés et les enquêtes sur les cas de violations des droits de l'homme dans ces établissements par le passé. À la suite de la publication, en 2021, du rapport de la Commission d'enquête sur les foyers pour mères et bébés, le Gouvernement a assumé sa responsabilité de reconnaître des vérités douloureuses et de faire amende honorable là où il n'a pas réussi à assurer l'application de normes élevées. L'État a manqué à plusieurs reprises à sa responsabilité de protéger des citoyens vulnérables et de faire respecter leurs droits les plus fondamentaux, a reconnu le ministre.
L'importante délégation irlandaise était également composée d'autres représentants du Ministère de l'enfance, de l'égalité, du handicap, de l'intégration et de la jeunesse, ainsi que de représentants des Ministères des affaires étrangères, de la santé, de la justice, de l'éducation et du logement, gouvernement local et patrimoine, ainsi que de deux jeunes délégués des Nations Unies. Au cours du dialogue, la délégation a notamment assuré que des enquêtes étaient menées sur toutes les allégations signalées aux autorités d'abus commis par le passé dans des institutions pour mères et bébés et qu'un personnel, spécialement formé, est disponible pour traiter ces plaintes. La délégation a aussi attiré l'attention sur les évolutions positives en matière d'accès à l'interruption de grossesse en Irlande, en particulier suite au referendum de 2018 sur la question, qui abrogeait l'interdiction de l'avortement. Concernant la situation des gens du voyage, la délégation a reconnu le racisme systémique dont a été victime cette communauté, ainsi que le fait que les améliorations concrètes sur le terrain restent timides.
Le Comité adoptera, dans le cadre de séances privées, des observations finales sur l'examen du rapport de l'Irlande. Elles seront rendues publiques à l'issue de la session, qui se termine le 27 juillet prochain.
Le Comité des droits de l'homme entamera, cet après-midi à 15 heures, l'examen du rapport de la Géorgie, qui se poursuivra demain matin.
Examen du rapport de l'Irlande
Le Comité des droits de l'homme était saisi du cinquième rapport périodique de l'Irlande (CCPR/C/IRL/5) et des réponses à une liste de points à traiter que lui avait adressée le Comité.
Présentation de rapport
M. RODERIC O'GORMAN, Ministre chargé de l'enfance, de l'égalité, du handicap, de l'intégration et de la jeunesse, a d'emblée abordé la question délicate de l'institution des foyers pour mères et bébés et les enquêtes sur les cas de violations des droits de l'homme dans ces établissements par le passé. À la suite de la publication, en 2021, du rapport de la Commission d'enquête sur les foyers pour mères et bébés, le Gouvernement irlandais a assumé sa responsabilité de reconnaître des vérités douloureuses et de faire amende honorable là où il n'a pas réussi à assurer l'application de normes élevées. Dans le contexte des institutions appelées « Mother and Baby » et « County Homes », l'État a manqué à plusieurs reprises à sa responsabilité de protéger les citoyens vulnérables et de faire respecter leurs droits les plus fondamentaux. Le rapport de cette commission indépendante révèle le rôle dominant des églises et de leur code moral dans les premières années de l'État irlandais et met à nu les défaillances systémiques de l'État. Il expose les torts profonds subis par les femmes irlandaises et leurs enfants, qui n'auraient jamais dû se retrouver dans de telles institutions.
Le ministre a reconnu le courage et la détermination des survivants et de tous ceux qui ont fait campagne sans relâche sur ces questions pendant de nombreuses années. Lors de la publication du rapport de la Commission, le Gouvernement a pris 22 engagements dans plusieurs domaines visant à faire amende honorable en répondant aux besoins et aux préoccupations prioritaires de ceux qui sont passés par ces institutions. Le ministre a ajouté que le rapport de la Commission et les excuses de l'État ne constituent pas la conclusion, mais un point de départ pour les nouvelles mesures réparatrices qui sont en cours de mises en œuvre, avec empathie et humilité. Ces engagements ont été consolidés dans le « Plan d'action pour les survivants et les anciens résidents des institutions Mother and Baby et County Homes ».
Une des priorités de l'Irlande est la lutte contre la violence domestique, sexuelle et sexiste, a poursuivi le ministre. Ces derniers jours, le Gouvernement a approuvé et publié la troisième stratégie nationale de l'Irlande, la « plus ambitieuse à ce jour ». Cette stratégie met particulièrement l'accent sur la prévention et veille à ce que le système de justice pénale et d'autres services soutiennent mieux les victimes. M. O'Gorman a ajouté que son ministère s'était fixé pour objectif l'introduction d'un congé payé en lien avec la violence familiale.
Le chef de la délégation a aussi fait valoir que le référendum de 2018 sur la question de l'interruption de grossesse avait ouvert la voie à l'adoption de la loi de 2018 sur la santé. Désormais, en Irlande, les soins d'interruption de grossesse font partie intégrante du système de soins de santé irlandais. Le ministre a ajouté que l'Irlande continuait de mettre l'accent sur les efforts visant à améliorer les services de santé et l'accès aux soins.
Le ministre a attiré l'attention sur les mesures prises par l'Irlande au cours des deux dernières années pour considérablement renforcer les mesures de lutte contre la traite des personnes, notamment l'introduction d'un nouveau mécanisme national d'orientation qui prévoit de nouvelles dispositions permettant à une personne d'être reconnue comme victime. D'autre part, en janvier dernier, le Ministre de la justice a lancé un programme visant à régulariser des milliers de migrants sans papiers et leurs familles qui vivent en Irlande.
Une réponse coordonnée à l'échelle du gouvernement a en outre été mise en place pour soutenir les Ukrainiens arrivant en Irlande qui ont fui la violence, conformément à la directive de l'Union européenne sur la protection temporaire, a indiqué M. O'Gorman, ajoutant qu'au 30 juin 2022, 38 789 personnes étaient arrivées en Irlande après avoir fui la guerre en Ukraine. Il a aussi attiré l'attention sur l'engagement qui a été pris, dans le cadre du programme de gouvernement, de remplacer le système actuel d'hébergement pour les demandeurs de protection internationale par un nouveau modèle fondé sur une approche centrée sur une approche fondée sur les droits de la personne et axée sur la dignité, le respect et la vie privée de tous.
Le Gouvernement irlandais a d'autre part fait des propositions pour un projet de loi sur les crimes de haine qui viserait à créer de nouvelles formes aggravées de certaines infractions pénales existantes, lorsque ces infractions sont motivées par des préjugés fondés sur le genre, la race, la couleur, la nationalité, la religion, l'origine ethnique ou nationale, l'orientation sexuelle, ou le handicap. Il a aussi pris l'engagement de légiférer pour interdire la thérapie de conversion.
En mars 2017, l'État a reconnu les gens du voyage (Travellers ou Lucht Siúil) comme un groupe ethnique distinct dans la société irlandaise, a indiqué M. O'Gorman. Il s'agit d'une décision capitale dans l'histoire de l'Irlande, montrant son engagement à valoriser la culture, l'identité et le patrimoine uniques des gens du voyage en Irlande.
Un nouveau projet de loi sur la Garda Síochána (police nationale), fortement axé sur les droits de l'homme, fournira une base légale claire et transparente pour les pouvoirs existants de la police en matière de perquisition, d'arrestation et de détention, étayée par des codes de pratiques inscrits dans la loi pour déterminer les informations à enregistrer et la manière dont ces informations peuvent être utilisées.
Le ministre a fait valoir les progrès accomplis dans le processus de ratification du Protocole facultatif à la Convention des Nations Unies contre la torture prévoyant un système de visites dans les lieux de détention, précisant qu'un projet de loi sur le régime général de l'inspection des lieux de détention avait été approuvé par le Gouvernement le mois dernier, ce qui ouvrira la voie à la ratification du Protocole facultatif. Il a aussi attiré l'attention sur un projet de loi sur la réforme électorale, actuellement à un stade avancé du processus législatif, qui comprend des dispositions visant à établir une commission électorale statutaire et indépendante. Il a enfin indiqué que le Gouvernement avait lancé l'initiative « Balance for Better Business » en 2018 afin d'accroître la représentation des femmes dans les conseils d'administration et les équipes de direction des entreprises en Irlande.
M. MICHAEL GAFFEY, Représentant permanent de l'Irlande auprès des Nations Unies à Genève, a déclaré qu'en cette période difficile à l'échelle mondiale, il est important de reconnaître que le Comité joue un rôle vital dans la protection des droits de l'homme dans le monde. Il s'est par ailleurs félicité de l'engagement actif de la société civile tout au long du processus d'examen. Il a en outre déclaré que l'attachement de l'Irlande à ce processus est démontré par l'importante délégation de haut niveau qui s'est rendue à Genève pour y participer.
Questions et observations des membres du Comité
Parmi les membres du Comité, une experte a constaté que, malgré la quantité importante d'informations fournies dans le rapport, certaines portant sur des questions fondamentales de justice et de réparation de violations graves et massives font défaut. Le Comité souhaitera comprendre comment l'État entend aborder les problèmes structurels qui persistent et empêchent la pleine réalisation des droits protégés par le Pacte. Elle a notamment déploré que l'État ne dise rien sur la manière dont il entend faire appliquer tous les droits du Pacte. Elle a en outre demandé si l'Irlande envisageait de retirer ses réserves au Pacte à brève échéance.
L'experte a en outre relevé les violations graves et massives commises en Irlande pendant des dizaines d'années à l'encontre de femmes et d'enfants - y compris des enfants handicapés physiques ou mentaux - dans des institutions placées sous l'autorité de l'État ou de l'Église catholique, violations qui restent totalement impunies. Elle a ainsi estimé que le rapport et les réponses à la liste des points à traiter ont omis des informations extrêmement importantes car ils s'appuient largement sur les travaux de la Commission d'enquête sur les foyers pour mères et nourrissons. Or, en décembre 2021, la Haute Cour de justice avait critiqué ces travaux comme étant entachés de nombreuses déficiences, soulignant notamment que certains témoignages de survivantes de l'esclavage, de la privation arbitraire de liberté, de viols et violences sexuelles infligées aux enfants séparés de force de leur mère n'ont pas été pris en compte. La plus haute juridiction irlandaise a donc sévèrement critiqué ce rapport qui a singulièrement minimisé voire complètement nié la gravité des violations commises entre 1922 et 1998, a relevé l'experte. Pourtant, ce rapport reste la norme de référence du Gouvernement, a-t-elle déploré, ajoutant que récemment, le Comité des droits de l'enfant et huit rapporteurs spéciaux des Nations Unies ont également sévèrement critiqué les projets de loi qui prennent appui sur ce rapport d'enquête, dont leBirth and Information Tracing Bill, leInstitutional Burials Bill et le Mothers and Babies Institutional Payment Scheme. Aussi, malgré quelques progrès très récents, il ne semble pas y avoir de mécanisme de justice transitionnelle satisfaisant au regard de la lutte contre l'impunité et le droit à la vérité des milliers de victimes.
Concernant les viols et autres violences sexuelles commis par des membres de l'Église catholique contre des milliers d'enfants, l'experte a demandé quelles étaient les suites pénales données aux différents rapports mentionnés par l'État, si les auteurs de ces crimes avaient été identifiés et s'il y avait eu condamnations à la hauteur de la gravité des faits. Elle a également souhaité avoir des informations de la délégation sur la mise en œuvre de l'obligation de continuer de mener des enquêtes pénales dans ce domaine.
L'experte a aussi souhaité savoir comment l'Irlande envisageait de tenir compte des importantes critiques de la Haute Cour de justice, duJoint Committee on Children, de la Irish Human Rights and Equality Commission (l'institution nationale des droits de l'homme) pour rendre justice aux survivantes, à leurs héritiers et à leurs familles et revoir les projets de loi sur la question, en particulier s'agissant du régime d'indemnisation qui prévoit que les victimes de violations graves et massives qui acceptent d'être indemnisées sont censées renoncer à leur droit d'action en justice, ce qui est totalement contraire au droit européen des droits de l'homme comme à la jurisprudence du Comité.
Portant son attention sur la question de l'interruption de grossesse, l'experte a déclaré que la Loi sur la santé de 2018 continue de poser d'importants obstacles légaux et pratiques à la garantie du droit à un accès sûr et non-discriminatoire à l'avortement. Elle a notamment souhaité savoir si, au regard du guide publié récemment par l'Organisation mondiale de la santé en faveur de la dépénalisation totale de l'avortement, l'État envisageait de faire disparaître cette incrimination. Quelles mesures ont été prises pour s'assurer que l'objection de certains médecins, de même que les actions violentes des militants anti-avortement, n'entravent pas le droit d'accès à l'avortement, a enfin demandé l'experte.
Un autre membre du Comité a souhaité obtenir davantage d'informations concernant la Commission irlandaise des droits de l'homme, voulant savoir notamment si cette institution avait la possibilité de surveiller les lieux de détention.
S'agissant des opérations de symphyséotomie pratiquées entre 1944 et 1987 sur 1500 femmes, sans leur consentement et sans poursuites des médecins responsables, cet expert a souligné que les victimes en ont gardé des séquelles psychiques et physiques graves. Il a notamment relevé que ces opérations avaient fait l'objet d'enquêtes ayant abouti à trois rapports indépendants (rapports Walsh, Murphy et Harding Clark, établis entre 2013 et 2016) et a souhaité savoir ce qui expliquait le retard entre les faits et les rapports en question. Il a aussi demandé pourquoi seules 399 victimes sur 1500 ont pu bénéficier d'une indemnisation.
Un autre membre du Comité a estimé que, si le Gouvernement voulait rétablir la confiance du public dans sa capacité de mettre fin aux abus ou à l'abus de pouvoir, il devait accélérer les efforts visant à promouvoir la transparence et la responsabilisation dans l'exercice de fonctions publiques. Il a aussi souhaité savoir où en était la mise en œuvre du plan d'action national contre la corruption.
L'expert a aussi regretté la lenteur des progrès accomplis dans la modification du libellé de l'article 41.2 de la Constitution sur le rôle des femmes au foyer, de manière à lui retirer toute connotation sexiste et à encourager davantage la participation des femmes dans les secteurs public et privé. Il s'est en outre enquis des résultats de la Stratégie nationale pour les femmes et les filles 2017-2020. L'expert a par ailleurs relevé la faible représentation des femmes dans les différents parlements, notamment à l'échelle locale, bien en-deçà de la moyenne de l'Union européenne pour la représentation des femmes dans la politique locale. Il a également relevé l'écart important entre les sexes s'agissant de la direction des entreprises du secteur privé, en indiquant qu'un seul PDG de grandes entreprises irlandaises était une femme.
Ce membre du Comité a aussi demandé une évaluation de la mise en œuvre de la loi de 2018 sur la violence domestique, en particulier en ce qui concerne les dispositions en place pour protéger les femmes vulnérables, notamment parmi les Roms et les gens du voyage, les migrants, les demandeurs d'asile et ceux issus de groupes minoritaires raciaux, ethniques ou religieux. Il a ainsi relevé que la disponibilité, en particulier dans les zones rurales, de services de soutien fiables, d'hébergement dans des refuges pour victimes de violence domestique, de procédures accessibles et de praticiens spécialisés est limitée en Irlande. La rareté des soutiens et des services spécialisés est particulièrement préoccupante compte tenu du contexte de la pandémie de COVID-19, car il y a eu une augmentation documentée de la violence domestique durant cette période, a-t-il relevé.
Un autre expert a constaté que la reconnaissance formelle de la communauté des gens du voyage n'avait pas encore été étayée par un acte juridique, ce qui implique que les droits de cette communauté restent encore flous. Par ailleurs, des informations de plusieurs sources indiquent que les personnes d'ascendance africaine sont désavantagées et victimes quotidiennement de discrimination dans tous les aspects de la vie, notamment en matière d'emploi et d'éducation, et qu'un nombre important de crimes de haine racistes ont été commis, en particulier contre les personnes d'origine africaine subsaharienne. On relève une incidence élevée de profilage racial par la police irlandaise ciblant les personnes d'ascendance africaine et les Roms.
Une experte a demandé à la délégation de commenter les informations selon lesquelles des personnes privées de liberté seraient décédées en raison d'un accès insuffisant des détenus aux soins de santé physique et mentale et du fait que les protocoles qui prévoient la surveillance des détenus à risque ne sont pas respectés.
Suite aux allégations selon lesquelles la police ( An Garda Síochána) et les forces de sécurité privées ont eu recours à l'utilisation excessive de la force lors des manifestations récemment organisées pour protester contre les mesures de confinement imposées dans le cadre de la pandémie de COVID-19, un autre expert a demandé s'il existait une évaluation des pratiques policières dans la gestion de la pandémie en vue de s'assurer de leur conformité avec les dispositions relatives aux droits de l'homme et en particulier au principe de non-discrimination et s'agissant des groupes marginalisés ou vulnérables.
Il a, en outre, demandé à la délégation d'expliquer en quoi la loi de 1929 sur la censure des publications est compatible avec les dispositions du Pacte et la constitution.
Un membre du Comité s'est en outre inquiété du maintien de la pratique des « thérapies de conversion » dans le pays.
Un autre expert a demandé à la délégation de commenter les préoccupations de la Commission irlandaise des droits de l'homme s'agissant de la détermination du nombre de personnes officiellement identifiées comme victimes de la traite, en particulier les enfants.
Enfin, une experte a demandé comment la loi de 2018 sur l'éducation garantissait « une approche équitable des politiques d'admission » dans tous les établissements scolaires.
Réponses de la délégation
Répondant aux interventions des membres du Comité, notamment sur la question du cadre juridique d'application du Pacte, la délégation de l'Irlande a expliqué que le pays avait choisi de ne pas intégrer directement le Pacte dans son ordre juridique interne mais de donner effet à ses dispositions en adaptant la législation interne. Les tribunaux ont souvent fait référence ou se sont inspirés des traités internationaux des droits de l'homme. Les dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme ont également été transposées dans l'ordre juridique interne. Le pays s'efforce de proposer des recours juridiques afin de mettre en œuvre l'ensemble des dispositions de la Convention européenne et des traités internationaux des droits de l'homme.
S'agissant des réserves que l'Irlande a émises concernant certaines dispositions du Pacte, la délégation a indiqué en particulier que le pays n'était pas en mesure d'assurer la mise en œuvre de la disposition s'agissant de la séparation des mineurs et des adultes privés de liberté. Mais l'Irlande entend lever au fur et à mesure les réserves à différents traités lorsque la situation le permettra.
En réponse aux questions sur les poursuites pénales engagées dans le cadre des allégations d'abus commis par le passé dans des institutions pour mères et bébés, la délégation a assuré que la police mène des enquêtes sur toutes les allégations qui lui sont signalées, ajoutant que la prescription ne s'applique pas pour ces délits. Une personne a été condamnée en 2013 à deux ans d'emprisonnement dans ce contexte. Du personnel, spécialement formé, est disponible pour traiter ces plaintes. La délégation a précisé que les enquêtes étaient parfois compliquées en raison du temps qui s'est écoulé depuis les faits. Certains survivants n'ont pas été satisfaits du traitement des plaintes et la délégation a reconnu que certains auteurs de violations n'ont pu être identifiés. Le rapport de la Commission d'enquête fait plus de 2000 pages et repose sur le témoignage de centaines de personnes, rendant compte du vécu des victimes, a-t-elle précisé.
Une campagne nationale et internationale à destination des anciens résidents de ces institutions sera menée dans les prochains jours afin de les informer de la nouvelle législation, promulguée la semaine dernière, qui prévoit que toute personne adoptée et soumise à un enregistrement illégal a le droit d'avoir accès à l'ensemble de son registre.
La délégation irlandaise a par la suite rappelé que l'État avait présenté des excuses aux femmes et enfants victimes placés dans des institutions. Mais il ne fait pas que présenter des excuses, il vise aussi à ce que les victimes retrouvent la confiance dans l'État. Beaucoup d'efforts ont par ailleurs été déployés pour lever le voile sur tout ce qui avait été tenu secret et pour rompre l'omerta autour de ces foyers et sur toutes les violations et tous les abus commis au siècle dernier.
Au sujet des interventions du Comité sur la situation en matière d' interruption de grossesse, des évolutions significatives ont eu lieu en Irlande depuis 2014. Suite au referendum sur la question, le Parlement a promulgué la loi de santé de 2018 qui régit l'accès à l'interruption de grossesse, qui est dorénavant possible au cours des douze premières semaines de grossesse dans toutes les situations. Dix des dix-neuf unités de maternité en Irlande proposent un service d'interruption de grossesse. L'élément critique est de développer ce service dans l'ensemble du système des soins de santé en Irlande.
La loi de 2018 prévoit l'objection de conscience mais elle ne concerne pas les institutions ; ce qui signifie que les hôpitaux, dans leur ensemble, ne peuvent invoquer l'objection de conscience. La délégation a précisé que 19 millions d'euros ont été investis depuis 2019 pour élargir les services d'interruption de grossesse en Irlande. Par ailleurs, les femmes ayant recours l'interruption de grossesse ne sont jamais criminalisées lorsqu'il s'agit de leur propre grossesse.
S'agissant des opérations de symphyséotomies, la délégation a expliqué que les autorités avaient organisé une réponse en trois axes : la reconnaissance des faits, la mise en place d'un système d'indemnisation des victimes, et l'offre de services de santé aux femmes concernées, y compris par l'octroi de cartes médicales.
L'Irlande prend de plus en plus de mesures positives afin d'améliorer la représentation des femmes au niveau les plus élevés aussi bien dans le secteur public que privé. Depuis septembre 2021, 41% des personnes nommées au sein de conseils d'administration sont des femmes.
S'agissant de la lutte contre les violences faites aux femmes, les autorités ont déploré une « épidémie de violences sexuelles et sexiste » dans le pays durant la pandémie de COVID-19. C'est pourquoi une nouvelle stratégie contre les violences sexuelles et sexistes a vu le jour qui comporte différentes étapes dans sa mise en œuvre. La prévention est au cœur de cette stratégie. Elle prévoit également une meilleure offre de services aux victimes et une meilleure coordination entre les organisations qui luttent contre ces violences.
S'agissant des restrictions liées à la COVID-19, la délégation a indiqué que dès le début de la pandémie, la riposte se basait sur plusieurs principes notamment celui de la proportionnalité et que l'ensemble des mesures ultérieures se sont fondées sur ces principes. Les mesures restrictives adoptées en matière de santé ont été jugées proportionnées et nécessaires pour répondre à la pandémie à ce moment-là. La loi de réponse prévoyait que le Ministre de la santé pouvait prendre des mesures rapides pour juguler l'épidémie. Les règlements ont par ailleurs évolué en fonction de la prévalence du virus. Ainsi, avant l'arrivée des vaccins, la riposte à la pandémie était axée sur des mesures non pharmaceutiques comme la distanciation sociale.
La délégation a ajouté que la question des agissements de la police dans le contexte de la pandémie de COVID-19 était prioritaire pour les autorités irlandaises et elle a assuré qu'il n'y avait pas eu de recours excessif à la force ni de manquements dans le contexte des restrictions liées au COVID-19. Elle a ajouté que l'autorité de sécurité privée est une instance qui règlemente le secteur de la sécurité privée mais ne peut en aucun cas intervenir sur les prérogatives des forces de l'ordre de l'État.
Concernant les gens du voyage, la délégation a reconnu le racisme systémique dont a été victime cette communauté. La reconnaissance d'un statut pour ce groupe est une étape importante mais les améliorations concrètes sur le terrain sont timides, a reconnu la délégation.
S'agissant de la lutte contre le racisme, en particulier à l'égard les communautés d'ascendance africaine ou asiatique, la législation contre les crimes de haine, qui devrait être adoptée avant la fin de l'année, constituera un jalon pour lutter contre ce fléau. Le projet de loi sur l'internet sera lui aussi promulgué prochainement avec des pouvoirs renforcés s'agissant des plaintes à l'encontre de plateformes qui diffusent un contenu raciste.
La loi sur les crimes de haine de 2021 vise à lutter contre les discours de haine, notamment durant les périodes électorales.
Pour lutter contre la surpopulation carcérale, la délégation a expliqué qu'une nouvelle législation avait été adoptée en 2014 afin de remplacer des peines de prison courtes par des amendes. Cette législation s'est avérée assez efficace et fait l'objet d'un examen régulier.
Le Bureau pour la protection internationale prend en charge les personnes dont a été établi le besoin de protection en tant que victimes de la traite. Les autorités, par l'intermédiaire de ce bureau, tentent de limiter au maximum les délais pour le traitement des dossiers, alors qu'en 2021, le pays a connu une hausse de 91% des demandes par rapport à 2019 (année de référence avant la pandémie). Les procédures d'identification et de traitement ont été simplifiées. La délégation a aussi expliqué que les enquêtes dans le domaine de la traite des personnes étaient très complexes car les victimes, souvent des femmes, ont des difficultés à se manifester, à se déclarer comme victimes, et à témoigner. C'est un processus qui prend beaucoup de temps, ce qui explique notamment les raisons du faible nombre d'affaires en cours dans ce domaine. La délégation a précisé que 38 victimes avaient été reconnues en 2020 et 44 en 2021. La baisse du nombre de victimes reconnues en 2020 s'explique par le ralentissement des activités économiques du fait de la pandémie, selon la délégation. Le nouveau mécanisme d'orientation doit permettre de mieux soutenir les victimes, notamment dans leurs démarches pour porter plainte.
Répondant à une question du Comité sur des décès survenus dans des lieux de détention, la délégation a fait valoir qu'un bureau d'inspection indépendant enquêtait sur tous les décès dans les établissements pénitentiaires. Elle a précisé que le système carcéral irlandais avait enregistré huit décès en 2021. Par ailleurs, de nombreuses mesures ont été prise pour juguler la COVID-19, au sein de ces établissements. Au début de la pandémie, les détenus ont vu certaines activités restreintes, notamment les visites, pour éviter les contaminations. En outre, une équipe spéciale a été mise en place pour prendre en charge les détenus ayant des troubles psychiatriques ou des problèmes de dépendance.
Un nouveau centre de détention pour femmes ouvrira à la fin de l'année avec un changement radical de la qualité des conditions de détention, a assuré la délégation. Il sera axé sur la réintégration des détenues.
S'agissant du projet de réforme du système électoral, la délégation a expliqué qu'une commission électorale sera chargée de regrouper toute une série de fonction électorales sous un même toit. Cette commission sera indépendante et fonctionnera à un niveau stratégique, informant le Gouvernement sur l'évolution du système électoral, de manière à le renforcer. Elle aura pour fonction d'informer la population notamment sur les referendums et, entre autres, d'établir le découpage des circonscriptions pour les élections locales ou européennes. L'objectif est d'intégrer davantage les populations sous-représentées au sein du système électoral avec une simplification du processus afin de le rendre plus accessible.
Sur la question de la ratification par l'Irlande du Protocole facultatif à la Convention contre la torture, la délégation a rappelé que le Gouvernement avait approuvé le projet de loi qui créera le nouvel organe chargé de l'inspection des centres de détention, ce qui devrait permettre l'adhésion de l'Irlande au Protocole facultatif. Ce processus a mis du temps car l'Irlande ne ratifie les conventions internationales que lorsque son ordre juridique interne le permet, a souligné la délégation.
La délégation a expliqué que l'année dernière, un système a été mis sur pied en vertu de la législation sur la santé mentale s'agissant des traitements administrés aux internés contre leur gré. Les autorités ont décidé de renforcer les capacités du système de santé mentale en partant du principe que toutes les personnes sont aptes à prendre des décisions qui les concernent, à moins que soit prouvé le contraire. Des directives détaillées ont été rédigées à cet effet. Les services de santé mentale proposent des traitements adaptés à l'âge du patient. Dans certaines circonstances exceptionnelles, certains enfants sont internés avec des adultes. Entre 2018 et 2022, le nombre d'enfants internés avec des adultes a considérablement baissé, a cependant assuré la délégation.
Répondant à une question sur la situation des enfants intersexes en Irlande, la délégation a déclaré que les enfants qui naissent sans que l'on puisse déterminer clairement leur sexe sont accompagnés par des professionnels, en coopération avec les familles de ces enfants, sur les meilleures décisions à prendre.
Conclusions
Le chef de la délégation irlandaise, le ministre O'GORMAN, a estimé que cet examen de la situation dans son pays avait permis de mettre en évidence les progrès accomplis dans la mise en œuvre du Pacte mais aussi sur les défis à relever dans ce domaine. Les droits de l'homme sont au cœur du travail du Gouvernement irlandais, a assuré le ministre en conclusion.
La présidente du Comité, MME PHOTINI PAZARTZIS, a remercié la délégation pour ce dialogue très constructif. Les progrès accomplis doivent maintenant être mis en œuvre concrètement sur le terrain, notamment dans le domaine de le violence sexuelle et sexiste. Il faut aussi assurer la pleine application du Pacte dans l'ordre juridique interne du pays.
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