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Géorgie : le Comité des droits de l'homme porte son attention sur la situation dans les parties occupées du pays et sur les efforts à mener par le pays pour lutter contre la corruption, assurer l'indépendance des juges et organiser des élections équitables

Compte rendu de séance

 

Le Comité des droits de l'homme a examiné, hier après-midi et ce matin, le rapport périodique de la Géorgie sur la mise en œuvre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Les membres du Comité ont notamment porté leur attention sur les violations des droits de l'homme commises dans les territoires de l'Ossétie du Sud et de l'Abkhazie, où le Gouvernement géorgien n'exerce pas de contrôle effectif, un expert du Comité a rappelé que les autorités qui contrôlent l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud ont la responsabilité de protéger les droits de l'homme de toutes les personnes sous leur contrôle ainsi que de lutter contre tout comportement qui violerait leurs droits de l'homme. Des préoccupations ont aussi été exprimées face à l'absence de progrès s'agissant des enquêtes sur les violations des droits de l'homme commises pendant le conflit armé de 2008.

Plusieurs experts se sont par ailleurs inquiétés de l'importance de la corruption dans le pays et de la difficulté pour les tribunaux de mener des enquêtes indépendantes dans ce domaine. Ils ont aussi relevé les problèmes que rencontre le pays s'agissant notamment de l'indépendance des juges, de procès motivés par des considérations politiques, de violences et de pressions à l'encontre des travailleurs des médias et d'organes de presse, de la difficulté à organiser des élections équitables.

Le rapport a été présenté par le Vice-Ministre de la justice de Géorgie, M. Beka Dzamachvili, qui a déclaré que son pays accordait la plus grande attention à la mise en œuvre des recommandations des organes conventionnels des Nations Unies dans le domaine des droits de l'homme et a fait valoir que les autorités se sont imposé l'obligation d'exécuter les décisions rendues par ces organes. La poursuite de l'occupation des régions géorgiennes d'Abkhazie et de la région de Tskhinvali/Ossétie du Sud par la Fédération de Russie reste le principal défi pour la protection des droits de l'homme en Géorgie. La puissance occupante, la Fédération de Russie, continue sa longue liste de violations, notamment les atteintes au droit à la vie, le recours à la torture, aux mauvais traitements, enlèvements et détentions arbitraires, les restrictions à la liberté de circulation, les atteintes au droit à la propriété, à l'éducation et aux soins de santé, notamment. La responsabilité de la Russie dans le meurtre, la torture, les mauvais traitements et la détention arbitraire de civils et de militaires géorgiens, le pillage et l'incendie de maisons de Géorgiens et le traitement inhumain de la population géorgienne « ciblée en tant que groupe ethnique » n'est plus à démontrer, a souligné le chef de la délégation.

Le Vice-Ministre a fait valoir que les quatre vagues de réforme judiciaire mises en œuvre progressivement depuis 2013 ont créé des garanties institutionnelles pour l'indépendance des juges et ont contribué à renforcer l'indépendance, l'efficacité, la responsabilité, la transparence et l'accessibilité du pouvoir judiciaire.

La délégation était également composée de plusieurs représentants des Ministères de la justice, des affaires étrangères et de l'intérieur, du Parlement géorgien et du bureau du Premier Ministre. Au cours du dialogue avec le Comité, la délégation a notamment déclaré que le pays avait entrepris des partenariats avec la société civile pour lutter contre la corruption, ajoutant que la Géorgie était remontée dans le classement international en matière de lutte contre la corruption. Le pays coopère avec des organisations internationales, notamment l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe pour recueillir des bonnes pratiques dans ce domaine. En outre, la Géorgie est l'un des États les plus libéraux d'Europe s'agissant de la liberté des médias, a affirmé la délégation.

Le Comité adoptera, dans le cadre de séances privées, des observations finales sur l'examen du rapport de la Géorgie. Elles seront rendues publiques à l'issue de la session, qui se termine le 27 juillet prochain.

Les deux prochaines séances publiques du Comité des droits de l'homme, jeudi matin et vendredi matin (7 et 8 juillet), seront consacrées à l'examen du rapport de Hong Kong.

Examen du rapport de la Géorgie

Le Comité des droits de l'homme était saisi du cinquième rapport périodique de la Géorgie (CCPR/C/GEO/5) et des réponses à la liste de points à traiter qui lui avait été soumise par le Comité.

Présentation du rapport

M. BEKA DZAMACHVILI, Vice-Ministre de la justice de la Géorgie, a affirmé que son pays accordait la plus grande attention à la mise en œuvre des recommandations des organes conventionnels des droits de l'homme. Ces recommandations sont traduites dans les Plans d'action nationaux des droits de l'homme pour une mise en œuvre effective. En 2016, les autorités géorgiennes ont adopté une législation pertinente. Elles se sont en outre imposé l'obligation d'exécuter les décisions rendues par les Comités des Nations Unies s'agissant des pétitions individuelles.

Depuis 2014, la Géorgie dispose de bases solides pour l'application d'une approche globale des droits de l'homme par le biais de la première Stratégie nationale des droits de l'homme, qui s'accompagne de plans d'action. La Stratégie vise à consolider la démocratie institutionnelle, introduit une approche fondée sur les droits de l'homme et exige explicitement de l'État qu'il respecte, protège, réalise et promeuve les droits de l'homme. La première Stratégie nationale des droits de l'homme portait sur la période 2014-2020 et la deuxième Stratégie porte sur la période 2022-2030 et compte avec la participation active de toutes les parties prenantes.

Le vice-ministre a ensuite présenté une série de mécanismes nationaux de contrôle de la mise en œuvre des droits de l'homme sous la supervision du Parlement. Il a également indiqué que le pays redouble d'efforts pour renforcer le Bureau du défenseur public afin d'assurer le suivi efficace de la protection des droits de l'homme.

La poursuite de l'occupation des régions géorgiennes d'Abkhazie et de la région de Tskhinvali/Ossétie du Sud par la Fédération de Russie reste le principal défi en termes de protection des droits de l'homme en Géorgie, a poursuivi M. Dzamachvili. La puissance occupante, la Fédération de Russie, continue sa longue liste de violations, notamment du droit à la vie, en ayant recours à la torture, aux mauvais traitements, aux enlèvements et détentions arbitraires, aux restrictions à la liberté de circulation, aux atteintes aux droits de propriété, au droit à l'éducation et aux soins de santé.

Les meurtres brutaux de Géorgiens de souche – Davit Bacharuli, Giga Otkhozoria et Archil Tatunachvili –, ainsi que la mort d'Irakli Kvaratskhelia en détention illégale à la base militaire russe dans la région d'Abkhazie – ont été un autre exemple frappant de l'augmentation de la violence ethnique en toute impunité par le régime d'occupation.

Les défis dans le domaine des droits de l'homme sont amplifiés par le fait que la Fédération de Russie empêche les organes internationaux de défense des droits de l'homme d'entrer dans les territoires occupés.

Toutes ces violations sont maintenant confirmées par les tribunaux internationaux. Dans son arrêt historique de 2021, la Cour européenne des droits de l'homme a établi et confirmé sans équivoque le fait de l'occupation et du contrôle effectif de la Russie sur les régions de Géorgie en Abkhazie et à Tskhinvali. La responsabilité de la Russie dans le meurtre, la torture, les mauvais traitements et la détention arbitraire de civils et de militaires géorgiens, le pillage et l'incendie de maisons de Géorgiens et le traitement inhumain de la population géorgienne « ciblée en tant que groupe ethnique » n'est plus à démontrer. La Russie a également été jugée responsable, en tant que puissance occupante, de l'incapacité des Géorgiens déplacés à rentrer chez eux.

Le vice-ministre a ensuite attiré l'attention du Comité sur les quatre vagues de réformes judiciaires mises en œuvre progressivement depuis 2013, qui ont introduit des garanties institutionnelles pour l'indépendance des juges individuels et ont contribué à renforcer l'indépendance, l'efficacité, la responsabilité, la transparence et l'accessibilité du pouvoir judiciaire. Le meilleur indicateur des résultats des réformes judiciaires est celui des statistiques de la Cour européenne des droits de l'homme. Il y a 10 ans, environ 4000 demandes étaient en instance contre la Géorgie, alors qu'au 31 mars 2022, la Cour n'examinait plus que 154 demandes, ce qui est le nombre historique le plus bas pour la Géorgie, a fait valoir le vice-ministre, pour qui ces données statistiques montrent clairement la qualité des recours à la disposition des citoyens et la confiance envers les institutions judiciaires.

En 2019, un organisme d'État indépendant – le Service de l'inspecteur d'État – a été créé pour enquêter de manière indépendante et efficace sur des crimes spécifiques commis par des agents des forces de l'ordre et des fonctionnaires.

S'agissant du système pénitentiaire, M. Dzamachvili a déclaré que le succès du Gouvernement géorgien dans la lutte contre la torture a été unanimement reconnu par divers organes internationaux et régionaux des droits de l'homme, dont le Comité européen pour la prévention de la torture et le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture, déclarant que la situation en Géorgie avait énormément changé depuis 2012 et que la torture ne constituait plus un problème systémique dans le pays.

Les autorités géorgiennes poursuivent en outre la mise en œuvre de la loi contre la discrimination, adoptée le 2 mai 2014, qui élimine toutes les formes de discrimination dans les secteurs public et privé et encourage l'application efficace de mesures contre les formes directes, indirectes ou multiples de discrimination.

La protection des enfants reste une priorité pour le Gouvernement géorgien, a poursuivi le vice-ministre. Des mesures ont été prises pour mettre en œuvre toutes les recommandations du Comité des droits de l'enfant et améliorer les conditions de vie des enfants en Géorgie. Par exemple, en 2015, le Code de justice pour mineurs a été adopté, qui définit les procédures pénales impliquant des mineurs, donne la priorité à l'intérêt supérieur des mineurs, n'impose la détention qu'en dernier ressort et étend l'application de la déjudiciarisation et de la médiation.

Le Gouvernement géorgien accorde aussi une attention particulière à l'élimination de la violence à l'égard des femmes et de la violence domestique. À cette fin, en 2017, le Géorgie a ratifié la Convention d'Istanbul et a harmonisé la législation géorgienne avec ses dispositions.

Afin d'améliorer encore les garanties pour la protection des personnes handicapées, le pays a ratifié la Convention relative aux droits des personnes handicapées en 2014 et son protocole facultatif en 2021.

Questions et observations des membres du Comité

Un membre du Comité a souhaité savoir si l'amendement au code pénal adopté récemment par la Géorgie permet à une juridiction nationale de rouvrir l'affaire en cas de constatation d'une violation par le Comité et assurer la mise en œuvre adéquate de la décision du Comité. Il a par ailleurs souhaité savoir quel était le mécanisme national chargé du suivi des recommandations des organes conventionnels des Nations Unies.

S'agissant du Bureau du défenseur public, qui est l'institution nationale des droits de l'homme, l'expert a demandé pourquoi cet organisme avait suspendu la surveillance par son mécanisme national de prévention « jusqu'à ce que des garanties de sécurité appropriées soient fournies ».

Portant son attention sur les violations des droits de l'homme commises dans les territoires de l'Ossétie du Sud et de l'Abkhazie, où le Gouvernement géorgien n'exerce pas de contrôle effectif, l'expert a rappelé que les autorités qui contrôlent l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud ont la responsabilité de protéger les droits de l'homme de toutes les personnes sous leur contrôle ainsi que de lutter contre tout comportement qui viole leurs droits de l'homme. Il a demandé quelles mesures ont été prises par la Géorgie pour soutenir les personnes victimes de ces violations et pour assurer un certain degré de responsabilité, en particulier en ce qui concerne les violations potentielles du droit à la vie.

Un autre membre du Comité a relevé que, durant la pandémie, la population vivant dans les zones qui ne sont pas contrôlées par Tbilissi n'a pas été en mesure de recevoir les pensions ou les allocations pour personnes déplacées auxquelles ils avaient droit. Cela a exercé une pression supplémentaire sur les catégories les plus vulnérables de la société, y compris, en particulier, les personnes âgées, les personnes handicapées et les personnes souffrant de maladies chroniques.

Un expert s'est également enquis des actions des autorités de l'État s'agissant de la recherche des personnes disparues. Il a par ailleurs souhaité connaître les résultats de l'initiative de paix intitulée « Un pas vers un avenir meilleur » lancée par le Gouvernement géorgien en avril 2018.

Dans le contexte de la pandémie de COVID-19, l'expert a aussi demandé si les dérogations à certaines dispositions du Pacte qui ont été décidées avaient été levées ou si elles sont toujours en place, et si les mesures prises dans le domaine de l'administration de la justice avaient entraîné des retards dans le traitement d'affaires pendantes devant les tribunaux géorgiens aux différents niveaux.

S'agissant des mesures de lutte contre la corruption, une experte a relevé que seules trois agences publiques – le Bureau du défenseur public, le Bureau de vérification de l'État et l'Administration électorale – luttent efficacement contre la corruption dans leurs rangs. Elle a dès lors souhaité savoir comment la Géorgie assurait le contrôle des autres fonctions publiques. L'experte a en outre déclaré que l'exercice d'une influence informelle sur les institutions publiques crée des difficultés dans les enquêtes sur les cas de corruption commis par des agents publics de haut rang, notamment au Ministère de l'économie et au Ministère de la justice. Elle a souhaité connaître l'efficacité de l'action menée par le « Conseil de coordination interinstitutions anticorruption » chargé de formuler et de mettre en œuvre des politiques et stratégies nationales de lutte contre la corruption. L'experte a demandé des informations sur des procédures en cours pour des faits de corruption impliquant diverses personnalités politiques. Elle a ajouté que la corruption d'agents publics paraît être « monnaie courante » dans de nombreuses transactions foncières en Géorgie.

S'agissant des enquêtes sur les violations des droits de l'homme commises pendant le conflit armé de 2008, cette experte s'est dite préoccupée par l'absence de progrès pour enquêter et poursuivre les auteurs présumés, sanctionner de manière appropriée les personnes reconnues coupables et apporter réparation aux victimes du conflit. Elle a en outre souhaité connaître les suites données aux violences qui ont précédé les élections de 2012.

La même experte du Comité a par ailleurs relevé que l'ancien Président, Mikheil Saakachvili, était jugé pour un passage illégal de la frontière et que le bureau du défenseur public avait critiqué le déroulement de sa détention et de son procès. Elle a insisté sur le fait que toute personne a droit à un procès équitable.

L'experte a également souhaité avoir des informations sur les enquêtes criminelles dans le cadre des émeutes de 2006 dans les prisons et les mauvais traitements infligés aux prisonniers. Quelles sanctions ont été prises contre les forces de l'ordre coupables d'avoir utilisé une force jugée excessive selon la Cour européenne des droits de l'homme, a demandé l'experte. Elle a en outre déploré que l'usage excessif de la force par les gardiens de prison semble courant en Géorgie.

En janvier 2022, a poursuivi l'experte, la présidente de la Géorgie a signé une loi abolissant le Service de l'inspecteur d'État, qui garantissait que les agents publics ne pouvaient pas se livrer à la torture ou porter atteinte à la vie privée. Elle a dès lors souhaité savoir pourquoi ce service efficace avait été aboli.

Enfin, l'experte a demandé des informations sur les enquêtes menées suite à la mort de Temirlan Matchalikachvili en 2017, aux mains d'agents du Service de sécurité de l'État.

Un autre membre du Comité a demandé à la délégation de fournir des informations sur les mesures mises en place pour permettre à l'institution nationale des droits de l'homme de surveiller la mise en œuvre de la loi sur l'élimination de toutes les formes de discrimination.

L'expert a par ailleurs demandé des informations sur les mesures en vigueur pour lutter contre la stigmatisation sociale des membres de la communauté LGBTQI. Il a également demandé à la délégation de préciser le nombre de cas signalés de crimes de haine fondés sur l'orientation sexuelle et l'identité de genre, et combien d'entre eux ont donné lieu à une enquête.

Notant une faible représentation des femmes dans les parlements, un autre expert a demandé des données statistiques et toute information sur les mesures prises pour parvenir à une représentation équitable des femmes aux postes politiques et publics, en particulier dans les organes législatifs et exécutifs aux niveaux national, régional et local.

L'expert a aussi souhaité de plus amples informations sur les efforts déployés pour éradiquer la violence sexiste, y compris la violence domestique, le viol conjugal, la violence sexuelle et le féminicide, ainsi que la violence à l'égard des femmes handicapées. Il a en outre demandé à la délégation de réagir aux informations figurant dans un rapport de l'Association géorgienne des jeunes avocats, selon lequel il est difficile d'obtenir justice pour les victimes de violence sexuelle, car le sujet est considéré comme tabou et les survivantes se présentent rarement pour signaler de tels cas.

Un autre membre du Comité a demandé des informations sur le projet de réformer le système de la détention administrative.

Un expert a constaté qu'un nombre considérable de familles déplacées ont déposé une demande de logement et attendent toujours d'être réinstallées. Il a souhaité savoir quelles mesures sont prises pour garantir leur droit à un logement durable.

Ce même expert a relevé que 17% des jeunes filles géorgiennes sont contraintes à un mariage forcé et précoce en Géorgie. Il a demandé à la délégation des informations sur le nombre d'affaires examinées par le Bureau du Procureur général et le Département de la protection des droits de l'homme concernant les mariages forcés, les abus et l'exploitation sexuels d'enfants, le travail des enfants et les châtiments corporels, ainsi que les résultats de ces examens.

Un autre expert a demandé à la délégation de préciser s'il est possible d'interjeter appel du verdict de culpabilité d'un jury sur le fond. Il a en outre souhaité connaître les critères financiers utilisés pour déterminer l'admissibilité à l'aide juridique gratuite et répondre aux préoccupations selon lesquelles de nombreux accusés à faible revenu, qui sont censés être les principaux bénéficiaires de l'aide juridique, se sont vu refuser l'accès à celle-ci.

L'expert a demandé des informations sur l'impact des programmes de réadaptation des enfants en conflit avec la loi sur leur réinsertion dans la société. Des précisions ont aussi été demandées sur la formation des juges et autres professionnels impliqués dans le système de justice pour mineurs.

Une experte a relevé un certain nombre de procès motivés par des considérations politiques qui portent atteinte au droit à un procès équitable garanti par l'article 14 du Pacte. Elle a ainsi présenté plusieurs situations problématiques à ses yeux, notamment s'agissant des procès intentés contre M. Nika Melia, président du parti d'opposition, pour incitation à la violence lors de manifestations antigouvernementales en 2019 que le Bureau du défenseur public géorgien a qualifié de procès « politiquement motivés ».

L'experte a également demandé à la délégation d'expliquer comment la Géorgie veillait à ce que le pouvoir de nommer des juges ne soit pas utilisé à mauvais escient, comme cela semble être le cas aujourd'hui.

Le parti « Rêve géorgien » est au pouvoir depuis sa fondation en 2012 et il semble difficile de garantir que les élections se déroulent de manière équitable en Géorgie, a poursuivi l'experte. Ainsi, le Comité est informé que l'identité des électeurs est notée au moment du vote, en violation du secret du vote. En outre, les votes seraient fréquemment achetés, a-t-elle relevé. Par ailleurs, elle a souligné que les journalistes qui ont tenté de documenter les problèmes d'équité lors des élections de 2021 ont été confrontés à des actes de violence.

Un membre du Comité a demandé des informations sur les changements législatifs concernant l'Agence technique opérationnelle de Géorgie qui est habilitée à effectuer une surveillance électronique en relevant que, selon certaines informations, cette agence accumule différentes fonctions qui semblent incompatibles en tant qu'organe d'exécution et d'organe de contrôle, et que ses activités ne garantissent pas la protection de la vie privée. Est-il envisagé d'interdire les écoutes de communications.

Certaines sources font état de 554 cas de pressions exercées sur les travailleurs des médias et les organes de presse entre 2017 et 2021. Parmi ces cas, 227 constituaient des attaques et des menaces physiques, 216 des attaques et menaces non physiques en ligne et hors ligne, et 111 des moyens judiciaires et économiques utilisés pour exercer des pressions. Dans un nombre important de cas (environ 56 %), les auteurs étaient des représentants des autorités, a ajouté l'expert.

Enfin, selon les informations reçues par le Comité, le Ministère de la culture applique une politique d'exclusion des artistes et écrivains qui critiquent le Gouvernement.

Un expert a relevé que la Géorgie avait prolongé d'un an, jusqu'au 1er janvier 2023, les dérogations prévues par le Pacte, maintenant sa législation spéciale d'urgence. Il a dès lors souhaité savoir si ces mesures respectent encore le principe de proportionnalité dans la situation actuelle.

Ce membre du Comité a demandé ce que faisaient les autorités pour traduire en justice sans délai tous les auteurs de violences contre les personnes LGBTQI+ et les représentants des médias lors de la manifestation du 5 juillet 2021, au cours de laquelle plus de 40 représentants des médias ont été blessés et un caméraman est décédé.

L'expert a par ailleurs regretté que le niveau d'intégration des minorités nationales dans la vie publique géorgienne restait insatisfaisant. En outre, les minorités religieuses sont confrontées à une discrimination structurelle dans l'accès au financement et aux lieux de culte, malgré les décisions de la Cour constitutionnelle géorgienne à cet égard.

Quelles mesures la Géorgie prendra-t-elle pour veiller à ce que des informations importantes soient mises à disposition dans la langue des minorités nationales dans les municipalités où ces minorités sont concentrées, a aussi voulu savoir l'expert.

Réponses de la délégation

La délégation géorgienne a indiqué que son gouvernement avait considéré, en 2016, que les recommandations et avis des organes conventionnels des Nations Unies dans le domaine des droits de l'homme avaient force obligatoire pour la Géorgie et pouvaient être invoqués devant les tribunaux nationaux. Les victimes peuvent demander la réouverture d'une affaire suite à une décision ou un avis d'un comité de l'ONU.

Depuis 2013, une procédure parlementaire a été mise en œuvre afin de recevoir et d'étudier les recommandations du défenseur public. Ces recommandations peuvent être officialisées par le Parlement, et deviennent dès lors une obligation pour l'État. La délégation a par ailleurs indiqué que les statistiques étaient prometteuses car de plus en plus de recommandations du défenseur public sont adoptées par le Parlement.

En ce qui concerne l'application des stratégies et des plans d'action dans le domaine des droits de l'homme, la délégation a indiqué que la toute première stratégie avait été adoptée en 2014. Même si ce document a été élaboré par le Gouvernement, il a été adopté par le Parlement. La nouvelle stratégie, qui couvre l'ensemble des droits de l'homme, y compris dans les territoires occupés, devrait être adoptée prochainement.

Le respect des droits de l'homme dans les territoires occupés représente un immense défi pour la Géorgie, qui utilise tous les instruments juridiques à disposition, notamment internationaux, afin de pouvoir faire respecter ces droits. La Cour européenne des droits de l'homme a conclu que les violations des droits de l'homme par la Fédération de Russie étaient établies. La Géorgie bénéficie du soutien de la communauté internationale pour faire respecter les droits des personnes dans les territoires occupés et le Gouvernement géorgien octroie sans réserve l'accès à ces territoires. Si celui-ci est freiné, c'est du fait de la Fédération de Russie. Ces territoires sont une zone grise d'où sont absents des acteurs internationaux. Une initiative géorgienne vise à améliorer les conditions de vie de personnes dans les territoires occupés et soutenir les entreprises qui sont de l'autre côté de la ligne de division. C'est une société à buts non lucratifs qui s'occupe de la répartition des fonds, qui proviennent de bailleurs internationaux.

La pandémie de COVID-19 a été un défi pour le monde entier. Toutes les mesures prises par la Géorgie étaient nécessaires pour empêcher la diffusion du virus. Ces restrictions sont strictement proportionnelles à la nécessité. Le couvre-feu a été utilisé pour une durée très courte, a précisé la délégation. S'agissant de l'arriéré judiciaire, la délégation a indiqué que, durant la pandémie, pour garantir l'accès à la justice, des recommandations spécifiques ont été suivies par les tribunaux géorgiens comme par exemple le fait de trancher des affaires sans audience publique lorsque c'était possible. Finalement, les nouvelles réglementations ont permis aux tribunaux de poursuivre leurs travaux quasiment normalement. La pandémie n'a dès lors pas favorisé un retard dans le traitement des affaires. La délégation a aussi indiqué que le mécanisme national de prévention avait continué d'avoir un accès sans limite aux centres de détention pendant la pandémie.

La délégation géorgienne a par ailleurs indiqué que de très nombreux documents administratifs sont traduits en azéri et en arménien afin d'être compris par les minorités les plus importantes du pays.

Répondant aux questions posées par le Comité sur les mesures prises par la Géorgie pour lutter contre la corruption, la délégation a notamment expliqué que le pays avait conclu des partenariats avec la société civile pour lutter contre ce phénomène. Elle a fait valoir que la Géorgie était remontée dans le classement international en matière de lutte contre la corruption. Le pays coopère avec des organisations internationales, notamment l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, pour recueillir des bonnes pratiques dans ce domaine. Des stratégies et plans d'action nationaux ont été par ailleurs été adoptés pour lutter contre la corruption dans le pays afin de sensibiliser tous les acteurs concernés, notamment les fonctionnaires publics. Le maître mot dans ce domaine est l'obligation redditionnelle, ce qui a pour résultat une fonction publique plus efficace avec un très haut degré de transparence pour l'obtention des marchés publics. La délégation a par ailleurs présenté plusieurs affaires de poursuites de fonctionnaires publics pour des cas de corruption, notamment au niveau local.

En 2015, une plateforme électronique a été ouverte pour permettre aux lanceurs d'alerte de fournir des informations, notamment pour dénoncer des cas de corruption.

S'agissant du procès de l'ex-président Saakachvili, la délégation a assuré le Comité que le principe d'un procès équitable avait été respecté. Le Comité européen pour la prévention de la torture, ainsi que le défenseur du peuple de Géorgie, n'ont pas jugé nécessaire de poursuivre leur enquête sur les allégations de violations des droits de l'ancien président.

Concernant les cas de mauvais traitements et de torture présumés dans les centres pénitentiaires jusqu'en 2012, la délégation a présenté plusieurs affaires qui se sont clôturées par des condamnations pour mauvais traitements et abus de pouvoir de la part de fonctionnaires. Elle a ensuite précisé qu'il n'y avait plus de cas de torture et de mauvais traitements commis par le personnel pénitentiaire dans les prisons géorgiennes mais bien des cas de violence entre détenus. Les autorités tentent d'ailleurs de lutter contre ces violences.

Deux mécanismes permettent aux victimes de discrimination d'obtenir réparation : le défenseur du peuple et les tribunaux. Les tribunaux appliquent de plus en plus la législation contre les discriminations, avec une augmentation sensible du nombre de cas. La délégation de la Géorgie a par ailleurs fait valoir qu'entre 2018 et 2022, environ 200 employés à divers postes ont été formés à la lutte contre la discrimination. L'incitation à la haine est reconnue comme un crime dans le code pénal. Plusieurs affaires sont en cours devant les tribunaux pour incitation à la haine à l'encontre de la communauté LGBTI et les minorités.

Les personnes déplacées représentent un défi majeur pour la Géorgie. Le Gouvernement prend toutes les mesures juridiques pour mettre en œuvre le droit des déplacés de rentrer chez eux. À ce jour, plusieurs centaines de familles déplacées enregistrées en Géorgie ont pu bénéficier d'un logement décent. L'État vise à leur fournir des conditions de vie décentes en attendant le retour dans leur logement.

Le mariage des enfants a souvent lieu dans les zones où vivent des minorités ethniques. La loi est très stricte au sujet des mariages d'enfants. Jusqu'à récemment, il était possible de trouver des exceptions pour l'enregistrement de ces mariages il n'est plus possible aujourd'hui de le faire sans aucune exception. Le code de l'enfance et le code de procédure pénal interdisent les châtiments corporels aussi bien dans les familles que dans toutes les institutions de l'État, notamment les écoles. Les auteurs de châtiments corporels sont passibles de sanctions mais il reste encore du travail à accomplir dans ce domaine, a reconnu la délégation.

L'aide juridictionnelle est octroyée par un organisme indépendant. S'agissant des procédures pénales, l'aide juridictionnelle est proposée lorsque le prévenu est insolvable, ou âgé de moins de 21 ans. L'aide est également proposée aux personnes victimes de violences sexuelles ou sexistes, les demandeurs d'asile, ou une personne ayant une incapacité juridique.

Le pays compte aujourd'hui une vingtaine de mineurs privés de liberté, ce qui correspond à une baisse sensible par rapport aux dernières années. Ces jeunes sont suivis par des pédagogues et des psychologues en vue de leur réinsertion dans la société.

L'État vise aujourd'hui à engager des juges supplémentaires afin de résorber l'arriéré judiciaire. Par ailleurs, d'anciens hauts-fonctionnaires ont été mis en cause dans certaines affaires, notamment l'ancien Ministre des affaires étrangères, qui ont été analysées par la Cour européenne des droits de l'homme qui a estimé qu'il n'y avait pas eu de manquements graves autour de celles-ci. En septembre 2020, le Parlement a adopté une loi sur la nomination des juges à la Cour suprême. Cette procédure de nomination est, depuis, totalement transparente, a assuré la délégation. Par ailleurs, la Géorgie a aboli la pratique antérieure qui permettait à n'importe qui de lancer une action disciplinaire contre un juge. Cette procédure très stricte ne peut se faire maintenant que par un organisme indépendant sous la houlette du Conseil de la magistrature après enquête d'un inspecteur indépendant. C'est donc un groupe d'experts indépendants qui sont saisis d'allégations de manquement d'un juge et qui a la responsabilité de décider d'éventuelles sanctions.

Une réforme électorale a été menée par le Parlement dont l'objectif est de prévenir les fraudes. Cette réforme a permis d'augmenter le nombre de commissions électorales à différents niveaux ; elle a aussi permis de renforcer la participation de différents partis politiques. Une plateforme électronique a par ailleurs été créée afin de déposer plaintes pour toute personne qui a constaté des manquements ou des irrégularités lors des élections. Les sanctions pour tout manquement dans le code des procédures électorales ont été augmentées avec la création de sanctions pénales dans ce domaine, notamment concernant la violation du secret du bulletin de vote.

La délégation a déclaré que la Géorgie était est un des États les plus libéraux d'Europe s'agissant de la liberté des médias, le pays comptant plus d'une centaine de médias. S'agissant des débats électoraux, les chaînes de télévision ont l'obligation d'organiser des débats avec tous les partis représentés. Si elles ne respectent pas ce principe, les chaînes peuvent être sanctionnées. Par contre, elles ne sont pas responsables si c'est le parti qui refuse de participer, ce qui arrive régulièrement en raison de l'extrême polarisation des médias en Géorgie.

Conclusions

Le chef de délégation de la Géorgie et Vice-Ministre de la justice de son pays, M. BEKA DZAMACHVILI, a déclaré que l'attention portée par sa délégation aux questions des membres du Comité montrait la volonté de la Géorgie de s'acquitter de ses obligations en matière de droits de l'homme. Il a dit espérer que les recommandations finales du Comité refléteraient les défis que la Géorgie doit encore relever mais aussi des progrès d'ores et déjà accomplis.

La Présidente du Comité, MME PHOTINI PAZARTZIS, a salué les progrès du pays s'agissant de la mise en œuvre des dispositions du Pacte et des mesures prises afin de rendre les recommandations du Comité obligatoires pour le pays. Il reste néanmoins des défis importants à relever s'agissant notamment de la situation des personnes dans les territoires occupés ou de l'indépendance du judiciaire.

 

Ce document produit par le Service de l’information des Nations Unies à Genève est destiné à l'information ; il ne constitue pas un document officiel.

Les versions anglaise et française de nos communiqués sont différentes car elles sont le produit de deux équipes de couverture distinctes qui travaillent indépendamment.

 

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