Fil d'Ariane
LE COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS ENTAME SA JOURNÉE DE DISCUSSION SUR LES QUESTIONS FONCIÈRES
Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a entamé, ce matin, sa journée de discussion sur les questions foncières, prélude à l’élaboration ultérieure d’une observation générale portant sur « le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et la terre ». Ce matin, le Comité a plus particulièrement traité des pressions et de la spéculation sur la terre, ainsi que de la sécurité des titres fonciers.
Introduisant cette journée de discussion, Mme Sandra Liebenberg, Vice-Présidente du Comité, et M. Olivier De Schutter, Rapporteur du Comité (et par ailleurs ancien Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation), ont souligné que le Comité était de plus en plus souvent témoin d'une concurrence accrue pour les terres et les autres ressources naturelles, attirant l’attention sur les problèmes que cela entraîne en termes de concurrence pour les terres arables, d’étalement urbain ou encore de pressions résultant de projets de développement à grande échelle. Le Comité entend aujourd’hui recueillir les avis d’experts, d’États et d’institutions intergouvernementales avant de commencer à rédiger le projet d’observation générale sur ces questions.
S’agissant des pressions et de la spéculation foncière, la discussion a compté avec la participation de M. Lorenzo Cotula, chercheur à l’International Institute for Environment and Development (Londres); M. Christophe Golay, chercheur et conseiller sur les droits économiques, sociaux et culturels à l’Académie internationale du droit humanitaire et des droits de l’homme; Mme Ana Jacqueline Gómez Tierra, Présidente de l’Institut national de la colonisation de l’Uruguay; et Mme Iris Krebber, responsable des questions agricoles et foncières au Département pour le développement international du Royaume-Uni.
Dans le cadre du dialogue qui a suivi les présentations de ces experts, a particulièrement été condamné l’accaparement de terres fertiles par des entreprises minières internationales au détriment des populations autochtones. A dans ce contexte été rappelée l’importance du droit des populations rurales concernées d’être consultées et de donner leur consentement.
Certains ont décrit les mesures prises par leurs pays pour remédier à la spéculation sur les terres. Plusieurs interventions ont porté sur le rôle des registres fonciers pour assurer les droits relatifs à la propriété. L’importance d’un travail rural digne a en outre été soulignée, de même que celle de respecter les droits des femmes rurales.
Le Venezuela, le Guatemala, la Jordanie et la Colombie ont pris part à ce premier dialogue.
La discussion sur la protection de la sécurité des droits a, quant à elle, été introduite par M. Miloon Kothari, ancien Rapporteur spécial des Nations Unies sur le logement convenable en tant qu'élément du droit à un niveau de vie suffisant. Les experts suivants ont fait des présentations: Mme Viviana Osorio, coordonnatrice de projets à ESCR-Net; M. Jean Maurice Durand, expert principal sur la gouvernance de la terre à l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO); et Mme Swari Utami, membre de la Direction générale de la foresterie sociale et des partenariats pour l’environnement au Ministère de l’environnement et de la foresterie de l’Indonésie.
Au cours du dialogue qui a suivi ces présentations, les intervenants ont insisté sur la nécessité pour les États d’accorder une protection juridique contre les expulsions forcées qui profite également aux personnes sans titre de propriété. Il a été recommandé à plusieurs reprises que les titres de propriété soient établis conjointement au nom des deux époux ou, le cas échéant, au nom des femmes propriétaires.
Le Guatemala et la Colombie ont pris part à ce deuxième dialogue.
Cet après-midi, à 15 heures, le Comité poursuivra sa journée de discussion sur les questions foncières, en se penchant sur trois sous-thèmes: les préoccupations liées aux terres pour ce qui est des peuples autochtones, des groupes traditionnels et des autres groupes vulnérables; les droits fonciers et les conflits dont ils sont l’enjeu; et la terre dans le contexte du changement climatique et des changements des conditions environnementales.
APERÇU DU DÉBAT
MME SANDRA LIEBENBERG, Vice-Présidente du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, a rappelé que ce débat s'inscrivait dans le cadre d'un processus de consultation en vue de la rédaction ultérieure d'une observation générale sur la terre et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Les membres du Comité ont en effet été témoins d'une concurrence accrue pour les terres et les autres ressources naturelles, aussi bien dans les zones urbaines que rurales, et d’autres problèmes tels que la concurrence pour les terres arables, l’étalement urbain et les pressions résultant de projets de développement à grande échelle, a-t-elle précisé.
M. OLIVIER DE SCHUTTER, Rapporteur du Comité, a introduit le débat du jour en indiquant qu’il avait effectivement pour but d’alimenter la réflexion du Comité au sujet d’une prochaine observation générale sur le Pacte et la terre. En effet, le Comité est de plus en plus souvent saisi de situations relevant des droits fonciers, s’agissant notamment de vols de terres, de pression sur les prix et d’accès aux ressources, a-t-il souligné.
Suite à la crise alimentaire, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a adopté des Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers, applicables aux terres, aux pêches et aux forêts dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale, a poursuivi M. De Schutter. L’Assemblée générale a adopté pour sa part une importante déclaration sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales, dont l’article 17 énonce le droit des paysans à la terre, a-t-il ajouté.
Débat 1: Pressions et spéculation sur la terre
Le débat a été animé par M. De Schutter.
M. LORENZO COTULA, chercheur à l’International Institute for Environment and Development (Londres), a estimé que l’observation générale que le Comité envisage de rédiger (sur les questions foncières) pourrait aider à résoudre non seulement les problèmes liés au fait que les entreprises ne respectent pas les normes internationales relativement à l’acquisition de terres, mais aussi la corruption qui règne dans ce domaine. M. Cotula a également relevé que les défenseurs des droits fonciers sont confrontés à la répression. L’expert a recommandé une mise à jour des mécanismes de règlement des litiges fonciers. L’observation générale devra aussi insister sur l’obligation qu’ont les entreprises de respecter les droits de l’homme, a-t-il souligné.
M. CHRISTOPHE GOLAY, chercheur et conseiller sur les droits économiques et culturels à l’Académie internationale du droit humanitaire et des droits de l’homme, a attiré l’attention sur les effets des expulsions et déplacements forcés associés aux expropriations, et plus particulièrement sur les effets disproportionnés dont souffrent les populations rurales et les femmes dans ce contexte. M. Golay a rappelé que l’Allemagne avait fait l’objet de critiques parce que son aide au développement du Cambodge ne prenait pas en compte les droits à la terre des communautés. Il a rappelé l’importance des dispositions de la déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones relatives aux ressources naturelles et au droit des populations rurales concernées d’être consultées, insistant sur le droit des paysans à la terre.
MME ANA JACQUELINE GÓMEZ TIERRA, Présidente de l’Institut national de la colonisation de l’Uruguay, a préconisé l’achat de terres par l’État pour donner la possibilité aux ruraux d’avoir effectivement accès à la terre. Elle a cependant mis en garde contre le risque que, dans le cadre des réformes agraires destinées à protéger les droits des paysans, des terrains cédés par l’État ne se retrouvent mis en vente sur le marché capitaliste. L’experte a recommandé que l’on protège les droits des femmes rurales, des peuples autochtones et des personnes d’ascendance africaine.
Mme Gómez Tierra a fait état, en Amérique latine, d’une baisse du nombre des petits producteurs, parallèlement à l’augmentation du prix du foncier. Pour l’experte, les paysans et les peuples autochtones ont des besoins différents en ce qui concerne l’accès à la terre, pour des raisons historiques. Mme Gómez Tierra a ensuite évoqué les activités de l’Institut national de la colonisation, précisant que cette institution avait notamment pour mission de protéger les droits des salariés ruraux.
MME IRIS KREBBER, responsable des questions agricoles et foncières au Département pour le développement international du Royaume-Uni, a indiqué que son organisation intégrait une transformation agricole ainsi que l’éradication de la faim dans la cadre de sa politique de développement économique inclusif. La terre étant rare, son acquisition entraîne de nombreux conflits et problèmes, a-t-elle en outre fait observer. Le projet d’observation générale que le Comité envisage d’élaborer sera utile pour encadrer la gouvernance de l’accession à la terre, a-t-elle estimé. Mme Krebber a souligné qu’il manque toujours une action concertée dans ce domaine – une action impliquant aussi les entreprises privées, vu leur appétit de terres. Elle a par ailleurs attiré l’attention sur le lien entre les Objectifs de développement durable et les droits fonciers.
M. De Schutter a fait observer que l’un des problèmes résidait dans l’acquisition de terres par des privés à des fins d’exportation de denrées agricoles.
Au cours du dialogue qui a suivi ces présentations, des intervenants ont critiqué les pratiques latifundiaires dans certains pays d’Amérique latine et préconisé des politiques d’État pour garantir le bien-être des agriculteurs. Une intervenante a condamné l’accaparement de terres fertiles en Colombie par des entreprises minières internationales au détriment des populations rurales et notamment des peuples autochtones. Elle a aussi déploré l’assassinat de nombreux défenseurs des droits de ces populations.
La Colombie a assuré qu’elle respectait les résultats des consultations préalables tenues avec les populations concernées et qu’elle s’assurait que les investissements réalisés soient respectueux des droits de l’homme. La Colombie a en outre fait état de progrès importants dans la lutte contre la violence à l’égard des leaders sociaux.
D’autres représentants d’États ont décrit les mesures prises par leurs pays pour remédier à la spéculation sur les terres. Plusieurs interventions ont porté sur le rôle des registres fonciers pour assurer les droits à la propriété.
Un intervenant a recommandé que les États soient rendus attentifs à leur obligation de faire respecter le droit humain qu’est le droit à la terre.
L’importance d’un travail rural digne a en outre été soulignée, de même que celle de respecter les droits des femmes rurales.
Débat 2: Protection de la sécurité des titres fonciers, y compris aspects sexospécifiques
M. MICHAEL WINDFUHR, membre du Comité, a animé ce débat, mettant en évidence l’importance, pour défendre les droits et titres fonciers, de disposer de procédures administratives claires et pouvant faire l’objet de recours.
Introduisant ce deuxième débat, M. MILOON KOTHARI, ancien Rapporteur spécial des Nations Unies sur le logement convenable en tant qu'élément du droit à un niveau de vie suffisant, a insisté pour sa part sur la nécessité pour les États d’accorder une protection juridique contre les expulsions forcées qui profite également aux personnes sans titre de propriété. Il a recommandé que les attestations (titres) de propriété soient établies, le cas échéant, au nom des deux époux. L’expert a d’autre part attiré l’attention sur le lien entre le droit à la terre et le droit au logement convenable. Le droit au foncier doit être explicitement considéré comme un droit humain et toujours être examiné in situ, en fonction du contexte, a ajouté M. Kothari.
MME VIVIANA OSORIO, coordonnatrice de projets à ESCR-Net, a décrit l’action de son réseau pour la défense du principe de non-discrimination dans la réalisation des droits fonciers des femmes. L’experte a déploré les effets de l’exploitation de terres par des entreprises transnationales, insistant notamment sur les violences subies par les femmes autochtones et sur la perte de leur droit à la propriété dans ce contexte. Elle a appelé les États à garantir les droits des femmes rurales et à s’attacher à remettre en question les stéréotypes qui nuisent encore à ces femmes. Mme Osorio a en outre recommandé que les femmes aient un accès effectif à la justice pour faire valoir leur droit à la terre.
M. JEAN MAURICE DURAND, expert principal sur la gouvernance de la terre à l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), a rappelé que les Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers avaient été adoptées au terme d’un processus impliquant autant des États que des acteurs de la société civile. La détention d’un titre foncier n’est pas toujours synonyme de sécurité foncière, a-t-il fait observer: en effet, si l’État est faible ou instable, la sécurité foncière a de bonnes chances de l’être aussi. L’expert a lui aussi relevé que l’octroi de titres fonciers individuels induit un risque de voir la terre concernée être, à un moment ou un autre, vendue; aussi, a-t-il plaidé pour l’octroi de titres collectifs, plus sûrs vis-à-vis du monde extérieur.
M. Durand a ensuite fait remarquer que les politiques d’aménagement du territoire pouvaient elles aussi entraîner des limitations de la jouissance des droits fonciers. Il a préconisé que les populations concernées aient leur mot à dire dans les procédures afférentes à ces aménagements de territoire et qu’elles puissent faire valoir leurs droits devant la justice.
M. Durand a fait observer que les inégalités entre hommes et femmes pouvaient, théoriquement, être levées en octroyant les titres aux deux époux: il a évoqué de telles expériences (d’octroi de titres conjoints aux deux époux) menées dans les Balkans auprès de notaires.
MME SWARI UTAMI, membre de la Direction générale de la foresterie sociale et des partenariats pour l’environnement au Ministère de l’environnement et de la foresterie de l’Indonésie, a fait état des progrès de son pays dans la gestion communautaire ou coutumière des forêts. L’État indonésien a en effet adopté des politiques répondant aux besoins des peuples dont le mode de vie dépend des ressources forestières et ces politiques ont été élaborées avec la participation des personnes concernées, a-t-elle précisé. Mme Utami a insisté sur l’importance d’empêcher tout détournement des processus administratifs régissant l’octroi des licences d’exploitation des ressources forestières.
L’experte a ensuite souligné que les politiques indonésiennes prévoient que les femmes propriétaires reçoivent des titres de propriété établis à leur nom, et non à celui de leur mari. Elle a elle aussi fait remarquer que l’octroi de titres collectifs permettait de contrer la spéculation sur les terres.
M. Windfuhr a attiré l’attention sur des modalités de bail capables, elles aussi, de remédier à ce problème de spéculation et, ainsi, de réaliser les droits fonciers en évitant la marchandisation des terres.
Au cours du dialogue qui a suivi ces présentations, des représentants d’États ont insisté sur l’importance de coordonner les institutions d’État concernées par l’établissement du cadastre et ont noté le rôle joué par les femmes rurales en tant que moteur du développement.
D’autres intervenants ont recommandé de procéder à des investissements qui valorisent la terre; d’empêcher de transférer à d’autres intervenants la propriété des terres des autochtones; et d’introduire des politiques publiques pour protéger les droits fonciers des femmes et aider les femmes à réaliser ces droits. Une intervenante a préconisé un changement d’attitude afin que la possession de la terre ne soit plus attribuée automatiquement aux hommes.
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