Fil d'Ariane
LE COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS ACHÈVE SA JOURNÉE DE DISCUSSION SUR LES QUESTIONS FONCIÈRES
Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a achevé, cet après-midi, sa journée de discussion sur les questions foncières, entamée ce matin, qui vise l’élaboration ultérieure d’une observation générale portant sur « le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et la terre ».
Cet après-midi, trois débats distincts ont porté sur les sous-thèmes suivants: les préoccupations liées aux terres pour ce qui est des peuples autochtones, des groupes traditionnels et des autres groupes vulnérables; les droits fonciers et les conflits y relatifs; et la terre dans le contexte du changement climatique et des changements des conditions environnementales.
Le premier débat a compté avec les contributions des experts suivants: Mme Kaitlin Y. Cordes, du Columbia Center on Sustainable Investment; M. Federico Pacheco, de La Via Campesina; Mme Laila Susanne Vars, membre du Mécanisme d’experts des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones; et M. Cissé Salim, Secrétaire permanent de la Loi d’orientation agricole au Ministère de l’agriculture du Mali.
Comme ce matin, les intervenants à ce premier débat ont insisté sur l’obligation de respecter le droit des personnes concernées d’être consultées dans les décisions au sujet des terres et de leurs ressources naturelles. La reconnaissance du droit à l’accès et à la gestion collectifs de la terre, de même que le principe selon lequel la terre n’est pas une marchandise, pourraient fonder l’observation générale du Comité, a-t-il été suggéré: le Comité pourrait expliciter à cette occasion les obligations des États, dans un contexte où les entreprises multinationales accaparent les terres à une échelle inédite. La Colombie et la Norvège ont pris part à ce premier dialogue.
Trois experts ont fait des présentations lors du deuxième débat, consacré aux conflits autour des droits fonciers: M. Camilo Sanches, de l’Université de Virginie; M. Philip Seufert, de FIAN-International; et Mme Leiria Vay García, du Comite de Desarollo Campesino (Guatemala).
Pendant ce débat, il a été recommandé aux États, aux médiateurs des conflits et à la communauté internationale des donateurs d’aborder les conflits sous l’angle des droits fonciers, dont la surveillance peut constituer un mécanisme d’alerte. D’une manière plus générale, les droits économiques, sociaux et culturels devraient être au cœur de la prévention des conflits, a-t-il été suggéré. Une intervenante a insisté sur l’importance de formaliser la propriété foncière pour prévenir les conflits. Le Guatemala et la Colombie ont contribué au débat.
Enfin, Mme Kirtana Chandrasekaran, coordonnatrice de programmes à Food Sovereignty – Friends of the Earth International, M. Joshua Castellino, Directeur exécutif de Minority Rights Group International et M. Santiago Sanchez, du Centro de Estudios Legales y Sociales, ont apporté leurs éclairages sur le dernier sous-thème, portant sur les changements climatiques et leurs effets sur les droits humains.
Pendant la discussion, il a été regretté que l’on ne tienne pas suffisamment compte du fait que les techniques proposées pour remédier aux concentrations de carbone dans l’atmosphère risquent d’avoir des effets sur l’environnement et sur les droits de la personne. Un intervenant a exprimé l’espoir que la future observation générale du Comité traiterait du problème de l’intégration des terres aux marchés financiers – autrement dit de la financiarisation de la nature. L’État de Palestine et le Guatemala ont pris part au débat, entre autres intervenants.
À sa prochaine réunion publique, vendredi 18 octobre dans l’après-midi, le Comité présentera ses observations finales relatives aux rapports des six États parties examinés au cours de cette soixante-sixième session (Suisse, Israël, Équateur, Sénégal, Danemark, Slovaquie).
APERÇU DU DÉBAT
Pour les deux premiers débats de cette journée de discussion sur les questions foncières, voir notre communiqué de ce matin.
Débat 3: Préoccupations liées aux terres pour ce qui est des peuples autochtones, des groupes traditionnels et des autres groupes vulnérables
Ce débat était animé par M. MICHAEL WINDFUHR, membre du Comité.
Introduisant ce débat, MME KAITLIN Y. CORDES, du Columbia Center on Sustainable Investment, est partie du constat que certains groupes sont plus vulnérables que d’autres au problème de la discrimination dans la gouvernance du droit à la terre, notamment les peuples autochtones, les minorités et les petits exploitants agricoles. La question se pose donc de voir comment peuvent être garantis les droits fonciers de ces personnes et comment peut être préservée leur maîtrise des ressources communes. L’experte a recommandé à ce propos que les États reconnaissent, par un système juridique adéquat, une équivalence entre les droits fonciers coutumiers et les dispositions du droit civil dans ce domaine.
Mme Cordes a suggéré au Comité d’inclure, dans son observation générale, l’obligation de respecter le droit des personnes concernées d’être consultées dans les décisions à prendre au sujet des terres et de leurs ressources naturelles. Elle a en outre recommandé au Comité de prendre en considération la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et de fixer des critères d’évaluation de l’utilité publique quand cette notion est invoquée pour motiver une expropriation.
M. FEDERICO PACHECO, de La Via Campesina, s’est félicité de l’adoption par les Nations Unies – l’an dernier, après un long travail d’influence de la part, en particulier, de son organisation – de la Déclaration sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales. M. Pacheco a souligné que ce document prône la reconnaissance d’un droit universel à la terre en tant que fondement des droits économiques, sociaux et culturels. Deux articles de la Déclaration énoncent le droit à l’accès et à la gestion collectifs de la terre, a-t-il en outre rappelé.
Cette reconnaissance, de même que le principe selon lequel la terre n’est pas une marchandise, pourraient fonder l’observation générale du Comité, a suggéré M. Pacheco. Le Comité pourrait expliciter à cette occasion les obligations des États, dans un contexte où les entreprises multinationales accaparent les terres à une échelle inédite, a-t-il poursuivi. M. Pacheco a cité des exemples, en Europe même, de ce qu’il a qualifié de véritable offensive sur la propriété collective des terres coutumières. L’accès des paysans à la terre doit être garanti par l’État, a insisté le représentant de La Via Campesina.
MME LAILA SUSANNE VARS, membre du Mécanisme d’experts des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, a indiqué que le Mécanisme présenterait en mars prochain une étude sur les droits fonciers des peuples autochtones. Observant qu’en l’état, les peuples autochtones ne disposent pas du pouvoir de réglementer les activités extractives, par exemple, sur leurs territoires, Mme Vars a plaidé en faveur d’une application concrète de leurs droits fonciers et a mis l’accent sur les obligations légales des États dans ce domaine.
Mme Vars a, elle aussi, insisté sur les droits fonciers collectifs, avant de recommander à ce propos que le Comité, dans son observation générale, mentionne les articles pertinents de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Enfin, toujours selon Mme Vars, il est indispensable d’obtenir le consentement libre, préalable et éclairé des populations autochtones aux mesures qui les touchent de près.
M. CISSÉ SALIM, Secrétaire permanent de la Loi d’orientation agricole au Ministère de l’agriculture du Mali, a décrit l’expérience de son pays en matière de gestion et de prévention des conflits liés à l’accès aux ressources naturelles. Les résultats sont encourageants pour le pays, dont l’arsenal juridique – à savoir la Loi d’orientation agricole – comporte tout un chapitre consacré aux droits fonciers, a-t-il souligné. L’État malien a, sur cette base, conçu une politique visant notamment la création d’un cadastre, ainsi que la lutte contre les spéculations et les détentions abusives d’espaces, a-t-il précisé.
Quant à la Loi portant sur le foncier agricole, elle met notamment l’accent sur la reconnaissance du droit coutumier à côté du droit positif et sur la sécurisation des exploitations agricoles, a poursuivi M. SaliM. À cet égard, la loi prévoit l’octroi d’« attestations coutumières », qui peuvent être collectives ou individuelles et sont transmissibles par succession, a précisé le Secrétaire permanent.
Au cours du dialogue qui a suivi ces présentations, la Colombie a évoqué les mesures qu’elle a prises pour améliorer le rendement rural par le biais d’investissements destinés à améliorer le sort de la population rurale dans son ensemble. La question de la réforme rurale fait partie intégrante de l’accord de paix avec les FARC, a ajouté la délégation colombienne. La Norvège a, pour sa part, recommandé que le Comité tienne compte de la Convention n°169 de l’Organisation internationale du Travail, relative aux peuples indigènes et tribaux, qui – de l’avis du pays – contient des éléments plus précis que la Déclaration sur les droits des peuples autochtones au sujet des droits de ces peuples à la terre et à l’eau.
D’autres intervenants ont évoqué les risques de déplacements de populations induits par certains projets industriels; des difficultés d’accès au crédit; des assassinats de défenseurs des droits des peuples autochtones; et des problèmes engendrés, parmi ces mêmes populations, par le trafic de drogues. Une ONG a demandé aux États d’adopter des processus efficaces de certification et de protection des droits fonciers des peuples autochtones.
Un intervenant a dénoncé l’exploitation illégale des ressources naturelles de la nation crie (Cree Nation) et de ses alliés dans le Territoire du Traité n°6 passé avec le Canada en 1876.
Débat 4: Droits fonciers et conflits y relatifs
Ce débat était animé par M. RODRIGO UPRIMNY, membre du Comité, qui a d’emblée fait observer que de nombreux conflits armés avaient pour origine les inégalités en matière d’accès à la terre. Le lien entre conflits armés et accès à la terre est si profond que certains observateurs se demandent même si les déplacements forcés sont dus à la guerre ou si c’est plutôt l’inverse qui est vrai, a-t-il souligné.
M. CAMILO SANCHES, de l’Université de Virginie, a recommandé que le Comité tienne compte des besoins des populations aux différents stades des conflits. États, médiateurs, mais aussi communauté internationale des donateurs doivent tous apprendre à aborder les conflits sous l’angle des droits fonciers, dont la surveillance peut constituer un mécanisme d’alerte. D’une manière plus générale, les droits économiques, sociaux et culturels devraient être au cœur de la prévention des conflits, a recommandé l’expert. Il a insisté sur l’importance de tenir compte de tous les droits, et pas uniquement des droits individuels dûment codifiés.
M. PHILIP SEUFERT, de FIAN-International, a relevé que les situations post-conflit exerçaient d’autres pressions sur la jouissance des droits fonciers. Il a mis en avant le rôle joué par les acteurs étatiques et non étatiques, dont certains sont parfois liés à des entreprises privées qui cherchent à contrôler des terres. Le Comité pourrait, dans son observation générale, se pencher sur ces moments qui présentent des risques particuliers, a recommandé M. Seufert.
D’autres réflexions de l’expert ont porté sur l’importance de prévenir les conflits et sur les injustices sociales généralisées en matière d’accès aux ressources, dans un contexte de financiarisation générale du foncier et de prise de conscience de la finitude des ressources. L’expert a suggéré que l’observation générale que le Comité se propose d’élaborer traite également de la numérisation de la société.
Enfin, MME LEIRIA VAY GARCÍA, du Comite de Desarollo Campesino (CODECA, Guatemala), a décrit les expériences du Guatemala en matière agraire, depuis une première réforme de grande ampleur menée en 1954. L’accord de paix conclu à l’issue du conflit interne – un conflit qui a fait plus d’un demi-million de victimes – n’a pas permis de trouver de solution au problème fondamental, à savoir que du fait de la corruption endémique au Guatemala, les familles les plus démunies n’ont jamais pu acquérir que les terres les moins productives. L’intervenante a donc plaidé pour que la terre soit considérée non plus comme une marchandise, mais comme une véritable source de vie.
Au cours du dialogue qui a suivi ces présentations, le Guatemala a rappelé qu’il se trouvait dans une situation d’après-conflit, vingt-deux ans après la signature de l’accord de paix susmentionné. Le Ministère de l’agriculture a créé des mécanismes de résolution des conflits agraires, avec la participation des populations concernées, a indiqué la délégation guatémaltèque. La Colombie a, de son côté, estimé que l’accès au foncier après la guerre dépend de plusieurs facteurs – et en particulier du respect des accords entre anciens combattants. La délégation colombienne a aussi insisté sur l’importance de formaliser la propriété foncière afin de prévenir les conflits.
Une ONG a souligné que pratiquement toutes les familles mayas au Guatemala ont subi et subissent encore une discrimination en matière de droits fonciers. Aujourd’hui, les nouvelles menaces sur le foncier viennent non seulement de l’emprise des entreprises sur les terres et ressources des peuples autochtones, mais aussi de la pression exercée par la désignation de zones protégées pour le tourisme ou même de l’accaparement de terres par des trafiquants de drogue, a expliqué l’ONG.
Une autre organisation a souligné l’importance pour les États de réprimer la violence exercée contre les femmes et les filles rurales.
Débat 5: La terre dans le contexte du changement climatique et des changements des conditions environnementales
Ce débat portant sur les changements climatiques, dont les effets sur les droits humains préoccupent le Comité, était animé par M. OLIVIER DE SCHUTTER, membre du Comité.
Introduisant ce débat, MME KIRTANA CHANDRASEKARAN, coordonnatrice de programmes à Food Sovereignty – Friends of the Earth International, a exprimé l’espoir que l’observation générale que le Comité envisage d’élaborer sur ces questions traiterait du problème de l’intégration des terres aux marchés financiers – autrement dit de la financiarisation de la nature. Elle a constaté que le système économique fondé sur l’extraction, voire les plantations, renvoie à des secteurs qui figurent parmi ceux où l’on enregistre le plus de persécutions de défenseurs des droits de l’homme. L’experte a plaidé pour la formulation d’une vision de la propriété collective des terres.
Mme Chandrasekaran a ensuite regretté que l’on ne tienne pas suffisamment compte du fait que les techniques proposées pour remédier aux concentrations de carbone dans l’atmosphère (séquestration) risquent, si elles ne sont pas appliquées correctement, d’avoir des effets sur l’environnement et sur les droits de la personne. L’experte a cité à ce propos les propositions de plantations forestières industrielles, dont « les effets négatifs sur les droits fonciers et l’accaparement de terres sont bien documentés ».
M. JOSHUA CASTELLINO, Directeur exécutif de Minority Rights Group International, a recommandé que l’observation générale du Comité porte également sur le contrôle des activités des sociétés multinationales et qu’elle mentionne que la décolonisation ne sera pas terminée aussi longtemps que les systèmes de propriété collective de la terre ne seront pas reconnus. M. Castellino a demandé au Comité de « reconnaître les droits fonciers dans l’importance qu’ils ont pour la défense de l’environnement et pour la réalisation des Objectifs de développement durable ».
Selon M. SANTIAGO SANCHEZ, du Centro de Estudios Legales y Sociales, le choix est grave: faut-il défendre les acteurs du marché ou les communautés ? Il a recommandé que les États prennent des mesures pour garantir une utilisation pérenne des terres, compte tenu des effets néfastes sur l’environnement des activités de certaines entreprises. M. Sanchez a cité à cet égard la construction de « quartiers fermés » en Argentine, sans concertation avec les populations concernées et sans prise en compte des conséquences sur l’environnement.
Au cours du dialogue qui a suivi ces présentations, l’État de Palestine a attiré l’attention du Comité sur le sort des Bédouins et des paysans palestiniens, devenus sans abri après la confiscation de leurs terres par Israël. La délégation palestinienne a également déploré les violations des droits des Palestiniens à l’eau, dans le même contexte. Elle a demandé au Comité de tenir compte, dans sa future observation générale, des situations d’occupation. Le Guatemala a, quant à lui, espéré que le Comité parlerait, dans son observation générale, du changement climatique et de ses effets, par le biais des catastrophes naturelles, sur les petits États insulaires en développement et sur d’autres pays tels que le Guatemala.
D’autres intervenants ont relevé que le Haut-Commissariat aux droits de l’homme avait fait du lien entre le changement climatique et la défense des droits de l’homme dans les petits États insulaires l’une de ses priorités.
Des réflexions ont en outre porté sur le financement des mesures contre le réchauffement climatique et sur les responsabilités des entreprises en matière de droits de l’homme. Il a par ailleurs été fait observer que seules 10% des terres sont entre les mains des peuples autochtones.
Conclusion
M. WINDFUHR a conclu le débat en lançant un appel aux contributions écrites (en vue de l’élaboration du texte de la future observation générale sur ces questions foncières) et en indiquant que le Comité entendait préparer un premier projet d’observation générale d’ici le printemps prochain.
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CESCR19.020F