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LE COMITÉ CONTRE LA TORTURE ENTEND LES RÉPONSES DE LA DÉLÉGATION DU PÉROU

Compte rendu de séance

Le Comité contre la torture a entendu, cet après-midi, les réponses apportées par la délégation péruvienne aux questions qui lui avaient été posées par les experts hier matin suite à sa présentation du rapport du Pérou sur l'application de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Dirigée par le Vice-Ministre des droits de l'homme et de l'accès à la justice du Pérou, M. José Ávila Herrera, la délégation a notamment fait valoir qu'un nouveau système de procédure pénale, accusatoire, est en vigueur dans 23 des 31 districts judiciaires du pays, couvrant 80% du territoire et plus de 65% de la population. L'usage et le contrôle de la prison préventive sont plus exigeants et plus rigoureux et il y a désormais en prison davantage de personnes condamnées que de personnes poursuivies. L'état d'urgence ne subsiste que dans les zones où agit encore ce qui reste du mouvement terroriste du Sentier Lumineux; l'état d'urgence n'affecte que 3,6% des municipalités du pays, concernant au total 6% de la population. En outre, les droits de l'homme ne sont pas suspendus pendant l'état d'urgence; seules sont appliquées des restrictions à certaines libertés, dans le seul but de garantir la sécurité de la population. La délégation a par ailleurs indiqué que le délit de torture est imprescriptible au Pérou; il ne peut faire l'objet d'aucune amnistie. La délégation a également répondu aux questions qui lui avaient été adressées s'agissant, notamment, de l'interdiction des châtiments corporels; des conditions de détention; des mesures prises en faveur des femmes privées de liberté et de leurs enfants; des mesures d'isolement disciplinaire; de l'assistance aux victimes et témoins; d'allégations de cas de stérilisations forcées; des mesures prises pour prévenir et combattre le recours excessif à la force par les agents des forces de l'ordre; de la coopération des forces armées dans les enquêtes réalisées par les juridictions civiles; de la violence contre la communauté lesbienne, gay, bisexuelle et transgenre.

La rapporteuse du Comité pour l'examen du rapport du Pérou, Mme Nora Sveaass, ainsi que le corapporteur pour l'examen du rapport péruvien, M. Xuexian Wang, et d'autres experts sont intervenus pour poser à la délégation des questions complémentaires. Un membre du Comité a rappelé que le Rapporteur spécial sur la torture, M. Juan Méndez, avait demandé au Pérou d'interdire la détention en isolement au regard du caractère irréversible des dommages physiques et psychologiques que provoque ce type de détention. Il a également dénoncé les conditions de détention prévalant dans une prison du pays située à grande altitude dans les Andes et où surviendraient des décès de détenus.

Le Comité rendra publiques des conclusions et recommandations sur le rapport du Pérou après la fin de la session, dont la séance de clôture se tiendra le vendredi 23 novembre prochain.


Demain matin, à 10 heures, le Comité entamera l'examen du rapport de la Norvège (CAT/C/NOR/6-7).



Réponses de la délégation

Le Gouvernement et l'État péruviens ont adopté un ensemble de mesures visant à prévenir la torture, a souligné la délégation du Pérou. Dans les centres de détention et ailleurs, les personnes concernées bénéficient des garanties prévues en vertu des normes internationales en la matière.

En ce qui concerne les châtiments corporels, la délégation a souligné que la loi protège l'intégrité physique et personnelle des enfants. Le Code pénal sanctionne comme circonstance aggravante les lésions infligées à des mineurs, a-t-elle précisé, reconnaissant néanmoins qu'aucune norme n'interdit expressément les châtiments corporels. Un projet de loi actuellement devant le Congrès vise à pénaliser expressément les mesures correctives attentatoires à l'intégrité personnelle des enfants, a-t-elle ajouté.

Interrogée sur les mesures prises en faveur des femmes privées de liberté et de leurs enfants, la délégation a souligné le caractère délicat de la situation des femmes incarcérées. À l'heure actuelle, a-t-elle indiqué, le Pérou compte 207 femmes mères et 212 enfants âgés de moins de trois ans se trouvant en prison avec leurs mères. L'administration carcérale essaie d'adapter ses infrastructures afin d'assurer un accueil adéquat de ces enfants et de leurs mères. Il est vrai qu'il y a une surpopulation carcérale des femmes à Lima; mais, grâce aux aménagements, il devrait être remédié à cette situation, a ajouté la délégation.

Les mesures d'isolement, en tant que sanction disciplinaire, ne sont prises qu'exceptionnellement et s'appliquent sur la base de critères légaux. Elles ne peuvent être prises à l'égard de femmes enceintes ou de mères.

Pour améliorer d'une manière générale la situation carcérale, des sommes ont été allouées à la construction de quatre prisons supplémentaires, à l'amélioration de la sécurité dans les prisons et à l'amélioration des infrastructures existantes, a fait valoir la délégation.

La délégation a précisé que la prison de Yanamayo, située près de Puno, n'applique plus les régimes pénitentiaires durs qui avaient été mis en cause par la communauté internationale. Cette prison a été convertie en établissement pénal de moyenne sécurité.

S'agissant des statistiques relatives à des cas de torture, la délégation péruvienne a indiqué que sur l'ensemble des cas présentés au bureau du Procureur général comme étant des cas présumés de torture, tous ne remplissent pas les critères légaux pour mériter la qualification juridique de torture. Sur l'ensemble des cas soumis au pouvoir judiciaire, tous n'aboutissent pas à des condamnations, a-t-elle ajouté, précisant toutefois que lorsque des condamnations sont prononcées, ce sont des peines privatives de liberté qui sont imposées, conformément au Code pénal. Quelques cas, enfin, aboutissent à des acquittements, soit par manque de preuves, soit en raison de l'existence d'un doute raisonnable.

C'est en 2007 que le Ministère public a mis en place un programme national d'assistance aux victimes et témoins, a par ailleurs indiqué la délégation. Une aide économique est prévue en faveur des personnes qui doivent se déplacer pour être entendues en tant que témoins, a-t-elle notamment précisé.

Les normes du Protocole d'Istanbul sont appliquées à tous les cas de torture alléguée, a en outre assuré la délégation. L'Institut de médecine légale est un organe d'appui technique du Ministère public (parquet) qui dispose de divisions dans chacun des districts judiciaires (départements) du pays et d'unités dans chaque province.

Interrogée sur la raison pour laquelle la situation de détention préventive se prolonge tant au Pérou, la délégation a indiqué que cela s'explique par le fait que la procédure suit les normes du Code de procédure pénale de 1940. Pour autant, la prison préventive est une mesure exceptionnelle et provisoire et personne ne peut être détenu préventivement plus de 36 mois, a-t-elle souligné. En outre, depuis juillet 2004, un nouveau système de procédure pénale, accusatoire, est appliqué progressivement et est déjà en vigueur dans 23 des 31 districts judiciaires du Pérou, couvrant 80% du territoire et plus de 65% de la population.

L'usage et le contrôle de la prison préventive dans le nouveau Code de procédure pénale sont plus exigeants et plus rigoureux, a insisté la délégation, soulignant que la situation s'est inversée puisque désormais, il y a en prison davantage de personnes condamnées que de personnes poursuivies. En outre, personne ne peut plus être détenu en prison préventive plus de neuf mois.

Eu égard à la préoccupation permanente de l'État pour ce qui est de savoir ce qu'il est advenu des personnes disparues, l'objectif des autorités péruviennes est d'engager tous les acteurs de la société dans une stratégie globale à cette fin. À ce jour, a précisé la délégation, 2220 corps ont été retrouvés, dont 1238 ont été identifiés et 1079 remis à leur famille.

Le bureau du Procureur général a publié une résolution prévoyant la réouverture des enquêtes dans les affaires de stérilisations forcées, a poursuivi la délégation, qui a indiqué que des plaintes ont été reçues, émanant de différents groupes de femmes dont les cas n'ont pas fait l'objet d'enquête.

S'agissant des mesures prises pour prévenir et combattre le recours excessif à la force par les agents des forces de l'ordre, en particulier dans le contexte de conflits sociaux, la délégation a notamment fait état d'un manuel sur les droits de l'homme à l'intention de la police, qui présente un code de conduite pour les agents des forces de l'ordre, notamment pour ce qui a trait à l'emploi des armes à feu. «L'usage raisonnable et proportionnel de la force est une caractéristique de la culture institutionnelle de nos forces de l'ordre», a assuré la délégation.

La justice militaire n'a pas compétence pour connaître des affaires graves de violations des droits de l'homme; c'est la justice civile qui est saisie des affaires de torture, a souligné la délégation.

On ne peut pas dire qu'il y a absence de coopération des forces armées dans les enquêtes réalisées par les juridictions civiles portant sur de présumés violations de droits de l'homme. Pour bien saisir le problème de l'absence d'informations, il faut se souvenir qu'entre les années 1980 et 2000, la période de violence extrême que connaissait le Pérou a amené les membres des forces armées à avoir recours à des mesures de sécurité telles que l'utilisation de pseudonymes et une rotation permanente des agents en patrouille. Rien n'obligeait ces derniers à rendre compte systématiquement à leur chef de base des faits survenus durant la patrouille. Cette manière d'opérer a parfois été utilisée à mauvais escient par quelques éléments afin de s'assurer une impunité. Plus de vingt ans après les faits, il est difficile de trouver la documentation dans les archives de l'armée. Néanmoins, le Ministère de la défense et les forces armées ne ménagent aucun effort pour que puissent être menées les enquêtes nécessaires et punis les responsables. Désormais, a fait valoir la délégation, en vertu de l'article 31 du décret législatif n°1095, le commandant d'une force doit présenter un rapport au début et à la fin de l'opération, consignant tous les faits importants intervenus durant cette opération.

En ce qui concerne la violence contre les membres de la communauté lesbienne, gay, bisexuelle et transgenre, la délégation a fait état d'un développement progressif mais solide du droit, ces dernières années, allant dans le sens d'une meilleure protection de cette population, même si le chemin à parcourir reste très long, tant il est vrai que subsistent des comportements ambigus ou indignes ne respectant pas l'orientation sexuelle de ces personnes. En vertu de l'article 37 du Code de procédure constitutionnelle, a souligné la délégation, le droit de ne pas être l'objet de discrimination sur la base de son orientation sexuelle est un droit de l'homme, ce qui ne manquera pas d'orienter la jurisprudence de la Cour constitutionnelle.

La seule forme d'avortement autorisé par la loi au Pérou est l'avortement thérapeutique, pratiqué par un médecin à la seule fin de protéger la vie de la mère, a indiqué la délégation en réponse à la question d'un membre du Comité.

Enfin, la délégation a assuré que les états d'urgence sont exceptionnels au Pérou. Ils se fondent sur la Constitution et sur les traités internationaux de droits de l'homme auxquels le pays est partie et obéissent à l'obligation qui est celle de l'État, face à des circonstances exceptionnelles de trouble à l'ordre public ou de catastrophes naturelles, d'assurer la sécurité de ses citoyens et de garantir le respect de leurs droits fondamentaux. Au Pérou, l'état d'urgence ne subsiste que dans les seules zones où agit encore ce qui reste du mouvement terroriste du Sentier Lumineux; l'état d'urgence n'affecte que 3,6% des municipalités du pays, concernant au total 6% de la population du pays. Pendant l'état d'urgence, les droits de l'homme ne sont pas suspendus; seules sont appliquées des restrictions à certaines libertés, dans le seul but de garantir la sécurité de la population.

Suite aux recommandations adressées au Pérou par la Rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines d'esclavage à l'issue de sa visite dans le pays en mai 2011, le Pérou a organisé un atelier qui se tiendra les 15 et 16 novembre prochain afin d'identifier de nouvelles mesures visant à éradiquer le travail forcé dans le pays, a poursuivi la délégation.

En ce qui concerne le cas de l'ancien président Alberto Fujimori, la délégation a indiqué que les autorités compétentes ont reçu la demande d'indulgence humanitaire présentée en faveur de M. Fujimori à la Commission des grâces présidentielles, qui a publié une observation indiquant que la requête ne porte pas la signature de l'ancien président lui-même, de sorte que la situation n'a pas pu être traitée et réglée.

Le délit de torture est imprescriptible au Pérou; il ne peut faire l'objet d'aucune amnistie, a souligné la délégation.

Questions supplémentaires de membres du Comité

MME NORA SVEAASS, rapporteuse pour l'examen du rapport du Pérou, s'est enquise des raisons précises des acquittements prononcés pour manque de preuves; les statistiques ne nous convainquent pas, a-t-elle souligné, rappelant que l'on parle ici d'actes de torture commis actuellement et non pas uniquement par le passé. Mme Sveaass a en outre souhaité des précisions au sujet d'une affaire dans laquelle le viol a été considéré comme un acte de torture. Nombre de projets de loi en cours sont au stade de projets depuis longtemps, a-t-elle en outre fait observer. La rapporteuse s'est par ailleurs inquiétée du nombre très élevé d'avortements clandestins au Pérou, soulignant leur dangerosité pour les femmes. Mme Sveaass a en outre soulevé la question des réparations économiques versées aux victimes de violence.

Le corapporteur, M. XUEXIAN WANG, s'est enquis des statistiques relatives à la détention préventive depuis l'entrée en vigueur du nouveau Code de procédure pénale, soulignant que cela permettrait d'appréhender l'efficacité de ce nouveau Code. Le corapporteur a invité le Pérou à poursuivre ses efforts en ce qui concerne la question des personnes portées disparues, saluant l'excellent travail réalisé jusqu'ici par le pays.

Un autre membre du Comité a rappelé que le Rapporteur spécial sur la torture, M. Juan Méndez, avait demandé au Pérou d'interdire la détention en isolement au regard du caractère irréversible des dommages physiques et psychologiques que provoque ce type de détention. Cet expert a également dénoncé les conditions de détention prévalant dans une prison du pays située à quelque 4600 m d'altitude et où les températures descendent parfois à -25°C, provoquant, selon certaines ONG, des décès de détenus. Une experte a demandé si des mesures sont envisagées afin de dépénaliser l'avortement.

Réponses complémentaires de la délégation

La délégation a notamment indiqué que le montant des réparations économiques versées aux victimes de violence équivaut actuellement à 10 000 sols et que les associations de victimes demandent à ce que ce montant soit porté à 35 000 sols (le sol vaut environ 0,39 dollars aujourd'hui). Le Ministère de la justice a bien entendu cette revendication et des études sont actuellement menées afin de déterminer s'il est possible d'y répondre.

En vue de respecter la recommandation du Rapporteur spécial sur la torture en la matière, une étude va être menée afin d'analyser l'impact des mesures d'isolement prononcées à titre de sanction disciplinaire, a en outre indiqué la délégation.

Le Code de procédure pénale qui était en vigueur depuis 1940 a prévalu au Pérou jusqu'en 2006, année où a commencé à être appliqué le nouveau Code de procédure pénal, a par ailleurs souligné la délégation. L'ancien Code de 1940 n'est désormais plus appliqué que dans de rares districts et ne devrait plus être appliqué nulle part sur le territoire national d'ici 2014 ou 2015, a-t-elle précisé.

S'agissant de la détention préventive, la délégation a rappelé qu'il s'agit d'une mesure exceptionnelle et provisoire. La détention préventive ne peut durer plus de 18 mois et elle peut être exceptionnellement prolongée jusqu'à 36 mois pour des crimes graves comme les crimes de terrorisme, de viol sur mineurs ou de trafic de stupéfiants, a poursuivi la délégation. Les nouveaux critères du nouveau Code de procédure pénale sont encore plus exigeants en la matière; la procédure est accélérée et de ce fait, la détention préventive est réduite, ne pouvant désormais excéder neuf mois.

En ce qui concerne l'avortement, la délégation a assuré que l'État péruvien allait analyser la problématique des avortements dits clandestins, qui sont pratiqués en dehors des hôpitaux et cliniques du pays et entraînent des pertes en vies humaines.


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CAT12/028F