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TRANSCRIPTION DE LA CONFÉRENCE DE PRESSE DONNÉE À GENÈVE PAR LE PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DES DROITS DE L'HOMME LE 20 MARS 2006

Points de presse de l'ONU Genève

Président : Comme vous le savez, l'Assemblée générale des Nations Unies a approuvé la résolution portant création du Conseil des droits de l'homme. Je pense que le Conseil est un instrument plus fort et plus légitime que la Commission pour accomplir les obligations des Nations Unies en matière de promotion et de protection des droits de l'homme dans tous les pays du monde.

Il y a, à mon avis, cinq caractéristiques du Conseil qui sont vraiment très importantes et d'une qualité supérieure à celle des instruments dont dispose la Commission pour élargir la couverture de la protection des droits de l'homme. En premier lieu, le Conseil est un organe occupant, dans la hiérarchie, un rang supérieur à celui de la Commission puisqu'il dépend directement de l'Assemblée générale. En deuxième lieu, il y a, pour la première fois, une référence très spécifique à l'obligation associée au devoir de coopération; et il s'agit là d'une chose très importante pour toutes les questions relatives à la mise en œuvre des futures résolutions du Conseil. Le devoir de coopération a été consacré dans la résolution de l'Assemblée générale. En troisième lieu, à la différence de la Commission, le Conseil a la capacité et les instruments nécessaires pour appliquer un mécanisme d'examen universel des violations et de la situation des droits de l'homme dans tous les pays du monde. Je pense qu'une application de ce mandat peut résoudre les problèmes de sélectivité, de politisation et de discrimination qui ont affecté les procédures d'approbation des résolutions par pays à la Commission. En quatrième lieu, le Conseil dispose de tout le système de protection de la Commission puisque lui ont été transférés toutes les fonctions, tous les mécanismes, mandats et responsabilités de la Commission. Mais comme certains mécanismes doivent être améliorés, le Conseil a aussi pour mandat de réviser tous les mécanismes et, le cas échéant, de les rationaliser et de les améliorer. Enfin, le Conseil s'est ouvert à la participation de la société civile, des ONG, dans les mêmes conditions que celles qui prévalaient au sein de la Commission. Je crois que la création du Conseil est une bonne nouvelle pour les défenseurs des droits de l'homme et surtout pour les victimes et pour les éventuelles futures victimes.

La résolution de l'Assemblée générale prévoit une réunion de l'ECOSOC pour prendre la décision de demander à la Commission des droits de l'homme la clôture formelle de ses travaux. Normalement, cette réunion de l'ECOSOC aurait dû se tenir à New York la semaine dernière; mais, elle n'a été convoquée que vendredi dernier, je crois, pour cette semaine. C'est la raison pour laquelle il a fallu ce matin suspendre les travaux de la Commission jusqu'à lundi prochain. La résolution de l'ECOSOC est en effet une exigence formelle pour les décisions que doit prendre la Commission. D'un autre côté, le bureau élargi tient toujours ses consultations sur l'ordre du jour de la Commission et je pense que ces consultations devraient s'achever dans les prochains jours - bien sûr, durant cette semaine – pour reprendre la session après l'approbation de la résolution formelle de l'ECOSOC.

Question: Cela rend-il justice aux victimes des droits de l'homme d'ajourner une fois de plus, aujourd'hui, les travaux de la Commission ?

Président : Nous avons un processus de transition vers un instrument plus efficace et plus puissant pour protéger les victimes. Le sens du changement n'est pas négatif; il est positif pour les victimes. Ensuite, indépendamment de la décision que va prendre le bureau quant à la durée de la session actuelle de la Commission, il y a obligation pour le Conseil de tenir cette année une période de session de dix semaines. La cinquième Commission de l'Assemblée générale a déjà pris la décision d'approuver toutes les incidences financières de la création et du fonctionnement du Conseil. La résolution de l'Assemblée générale stipule que le Conseil doit être formellement installé le 19 juin; c'est-à-dire que presque trois mois vont séparer la Commission du Conseil. À partir du mois de juin, le Conseil a la responsabilité de tenir dix semaines de session, par périodes alternatives de trois à quatre semaines. Ainsi, cette année, vont se tenir dix semaines pour la protection des droits de l'homme, soit quatre semaines de plus que la durée habituelle de la Commission. Aussi, je crois qu'aucune place n'est laissée à la possibilité d'un vide de protection.

Question: Quels sont vos sentiments en devenant le dernier Président d'une Commission qui est devenue l'otage du processus de décision au Conseil ? À votre avis, quelle durée aura la Commission à compter de lundi prochain – car selon certains ambassadeurs, elle ne durerait pas plus d'un jour ou deux ?

Président : Je ne peux pas dire quelle sera la décision des pays. Mais j'ai parlé beaucoup avec des organisations non gouvernementales et il y a différentes positions; certaines ONG pensent qu'il serait mieux que toutes les décisions quant au fond soient prises par le Conseil, alors que d'autres pensent autrement. De la même façon, il existe différentes positions entre les pays. Nous travaillons dans le sens d'une Commission essentiellement procédurale; c'est l'orientation actuelle des délibérations au sein du bureau élargi et je crois que c'est celle qui est compatible avec la résolution des Nations Unies. Mais, pour certains pays, il est important et nécessaire de demander de toute façon au Conseil, de manière très claire et très spécifique, l'approbation du projet de convention sur les disparitions forcées. On va tenir des consultations ces prochains jours pour une décision finale. Mais l'orientation est celle d'une Commission procédurale avec les prévisions pour assurer l'inexistence d'un vide de protection dans le processus de transfert de ses compétences au Conseil.

Question : Comment vous sentez-vous ? Ressentez-vous de la frustration d'être le dernier Président d'une Commission qui ne termine pas comme tout le monde s'attendait qu'elle termine?

Président : Mon sentiment, en tant que dernier Président de la Commission, est un sentiment de confiance dans le système des Nations Unies pour la protection des droits de l'homme; parce que la Commission va s'achever sur un événement très important, à savoir la création du Conseil. C'est un Conseil plus fort, doté de mécanismes et d'instruments de protection améliorés par rapport à ceux de la Commission.

Je n'ai pas de sentiment de frustration; j'ai un sentiment associant défi à relever et confiance dans le système. Car on ferme la porte d'une Commission dont les apports ont été très importants pour l'universalité des droits de l'homme, indépendamment de la crise qu'elle a connue dans le cadre de sa procédure d'approbation des résolutions par pays. La Commission a donné à l'humanité la Déclaration universelle des droits de l'homme; les deux Pactes internationaux relatifs aux droits civils et politiques et aux droits économiques, sociaux et culturels; la Convention sur les droits des travailleurs migrants; ainsi que nombre d'instruments juridiques et politiques tels que la Déclaration sur la protection des défenseurs des droits de l'homme. La Commission a été l'institution du système des Nations Unies qui a eu la plus grande efficacité dans le processus de démocratisation de l'Amérique latine. La création de certains mécanismes de la plus haute importance et particulièrement efficaces comme le Groupe de travail sur les disparitions forcées a été inspirée par l'expérience concrète de l'action de la Commission dans le cas de l'Amérique latine et d'autres régions. C'est un acquis historique. Je ne nie pas les problèmes rencontrés dernièrement par la Commission dans le cadre de l'approbation des résolutions par pays; ces problèmes ont affecté la légitimité de la Commission, mais cela ne reste qu'une partie de l'histoire de la Commission et de l'ensemble de ses capacités. On va donc fermer cette porte. Si vous faites une analyse rétrospective du fonctionnement de tout le système des Nations Unies, de 1947 à nos jours, la Commission a été paradoxalement la plus efficace, indépendamment de ses problèmes. Regardez le Conseil économique et social ou d'autres instances institutionnelles des Nations Unies. Mais on va fermer cette porte et on va en ouvrir une nouvelle - celle d'un Conseil, avec plus d'instruments pour la protection, plus puissant et plus légitime. Que va être le Conseil? On va voir; il doit relever le défi de sa propre pratique.

Question : Merci d'avoir dit du bien de la Commission; cela manquait un peu. J'aimerais revenir sur ce que vous avez dit au sujet de la société civile. Vous avez dit qu'elle participerait de la même façon et aux mêmes conditions qu'à la Commission. Pourriez-vous être un peu plus précis. Par exemple, le choix des ONG dépendra-t-il toujours de l'ECOSOC ? En ce qui concerne leur participation effective, s'agissant par exemple de leur droit de parole, les choses seront-elles identiques au Conseil à ce qu'elles étaient à la Commission ?

Président : La résolution des Nations Unies (portant création du Conseil) contient des dispositions qui traitent de la participation de la société civile et des ONG. Tout d'abord, il est dit qu'elles participeront selon les mêmes règles de l'ECOSOC que celles qui ont été appliquées à la Commission. Cela signifie que l'on va maintenir le statu quo comme minimum. Mais en plus, la résolution dit aussi que cette participation sera réglée aussi sur la pratique accumulée par la Commission; c'est-à-dire que la pratique de la Commission, par exemple en ce qui concerne le droit d'utilisation de la parole, sera bien sûr respectée aussi comme norme minimale de participation. Ainsi, les normes minimales de participation, ce seront les règles de l'ECOSOC et la pratique de la Commission dans tous les cas spécifiques se rapportant à la participation des ONG.

Question : Vous avez dit que vous attendez la décision de l'ECOSOC pour reprendre les travaux de la Commission. La décision de suspendre les travaux de la Commission a été prise par la Commission elle-même. Il y a là une logique que l'on n'arrive pas à comprendre, ce qui pousse quelques-uns à dire que c'est une façon de masquer l'incapacité que vous avez de vous entendre sur l'ordre du jour, ici à Genève, quant à la manière dont vous allez enterrer cette Commission; entre ceux qui veulent un bilan et d'autres qui veulent seulement un enterrement pur et simple.

Président : Je vais être très précis. Je respecte votre opinion, c'est la liberté d'expression. Le paragraphe 13 du dispositif de la résolution adoptée par l'Assemblée générale demande au Conseil économique et social de demander à la Commission qu'elle conclue ses travaux durant sa 62ème session et déclare l'abolition de la Commission le 16 juin 2006. C'est-à-dire que c'est une demande formelle, juridiquement impérative; la Commission ne peut pas clore ses travaux sans l'habilitation légale et formelle de l'ECOSOC. Cela a fait l'objet d'un accord de tous les pays dans la résolution de l'Assemblée générale. Pourquoi l'ECOSOC ne s'est toujours pas réuni à ce jour; c'est une question de décision à New York. Nous savons très clairement quelle est notre responsabilité ici; la création du Conseil pousse la Commission vers un agenda éminemment procédural. On va finir nos consultations; on va approuver l'ordre du jour; on va recevoir la décision formelle de l'ECOSOC pour reprendre nos travaux. Sans la résolution formelle de l'ECOSOC, on ne peut pas débattre ni approuver les résolutions de clôture de la Commission. La résolution de l'ECOSOC est une exigence formelle.

Question : Pourriez-vous être parfaitement clair?. Lundi prochain, dans l'après-midi, lorsque vous vous réunirez, ce sera pour clore la Commission pour toujours ? J'ai eu beaucoup de conversations avec des ONG qui ne sont pas d'accord avec vous; elles sont déçues de voir que les voix des victimes ne vont pas être entendues; elles disent que la Commission peut encore faire du bien telle qu'elle est en adoptant une convention contre les disparitions. Mme Arbour elle-même a dit qu'elle espérait que la Commission saisirait l'occasion. N'est-ce pas quelque peu honteux de se réunir semaine après semaine pour clore cette Commission qui, à maints égards, a apporté de bonnes choses.

Président : Votre affirmation selon laquelle les ONG ne sont pas d'accord avec une Commission essentiellement procédurale n'est pas exacte; cela ne correspond pas à la réalité. Il y a le mandat pour clore la Commission. Cela impose un agenda de transition. Il y a la demande de quelques pays – dont le Pérou – d'envisager la possibilité que la Commission approuve la Convention sur les disparitions forcées et la Déclaration sur les populations autochtones. Mais il y a une autre réalité qui est celle de la transition. Et je crois que l'on doit retenir ce qui est important; or l'important, c'est que cette convention et cette déclaration soient adoptées cette année, que ce soit par la Commission ou par le Conseil. Mon opinion, en tant que Président de la Commission, est que ces deux instruments doivent être discutés et adoptés cette année. La question de savoir si cela se fera au Conseil relève d'une décision des pays membres.