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Assemblée générale 2017 d’Alumni de l’Université de Genève: "Repenser nos réponses à la crise migratoire"

Michael Møller

16 mars 2017
Assemblée générale 2017 d’Alumni de l’Université de Genève: "Repenser nos réponses à la crise migratoire"

Allocution de M. Michael Møller
Secrétaire général adjoint
Directeur général de l’Office des Nations Unies à Genève

« Repenser nos réponses à la crise migratoire »
Prononcé lors de l’Assemblée générale 2017 d’Alumni de l’Université de Genève

Jeudi 16 mars 2017, à 19h30
Auditoire B106, Uni Bastions, Genève



M. Flückiger;
Mme Jean;
M. Praplan;
Mesdames et Messieurs;

C’est un grand plaisir pour moi d’être avec vous ce soir pour échanger à propos des mythes concernant la migration. Je remercie l’Association Alumni de l’Université de Genève de me donner l’occasion de m’adresser à vous sur ce sujet qui me tient à cœur. Je suis ravi de constater que le vif intérêt pour les enjeux contemporains –encouragé par l’UNIGE – demeure parmi ses anciens étudiants. Ceci illustre le succès de votre université en tant que berceau non seulement de savants, mais de citoyens engagés.

« Nous traversons une période de migration sans précédent. » « Les réfugiés sont un problème européen et un fardeau de trop pour nos services sociaux. » Voici deux petits échantillons des mythes et des malentendus qui perdurent sur le thème de la migration. Véhiculés par certains politiciens, médias et internautes sans scrupules, ces contre-vérités doivent être contestées et corrigées. Ceci est important pour deux raisons. Premièrement, ces idées fausses ont de réelles répercussions sur les domaines de la politique, de la société et de la gouvernance locale et internationale. Les propos démagogiques de certains politiciens, la montée en nombre d’incidents xénophobes et le retour des murs aux frontières en sont la preuve. Deuxièmement, et surtout, des vies humaines sont en jeu. Selon l’Organisation internationale pour les migrations, environ 7.495 migrants et réfugiés sont décédés ou ont disparu en 2016, dont 68 pour cent en Méditerranée. Nous devons aux victimes, ainsi qu’à nous même, de nous renseigner sur les faits et de combattre les malentendus.

Le premier d’entre eux est de confondre réfugié avec migrant. Si tous les réfugiés sont des migrants – du fait qu’ils traversent des frontières internationales – les migrants ne sont pas tous des réfugiés. Cette distinction repose sur une définition légale provenant de la Convention sur les Réfugiés de 1951, selon laquelle un réfugié est un individu qui, fuyant des persécutions, ne souhaite ou ne peut pas retourner dans son pays d’origine. Les 144 états signataires de la Convention sont tenus de ne pas expulser ou refouler des réfugiés. Quant aux migrants, ils traversent des frontières internationales pour des raisons économiques, sociales ou personnelles. Ces individus recherchent eux aussi une vie meilleure –ce qui est notre droit à tous- mais peuvent être renvoyés dans leur pays d’origine. Selon une étude phare du McKinsey Global Institute, environ 247 millions de personnes vivaient à l’étranger en 2015, dont seulement 10 pour cent étaient des réfugiés ou demandeurs d’asile.

Cela dit, les distinctions légales, pourtant si claires sur le papier, le sont souvent moins sur le terrain. Et c’est cette réalité qui nous mène au deuxième mythe : « Si vous n’êtes pas un réfugié, vous ne recherchez pas la sécurité. » La Convention sur les réfugiés ne concerne que ceux qui sont persécutés, et exclue les victimes des catastrophes économiques, des désastres naturels, de la traite des êtres humains et des famines. En d’autres termes, la distinction entre la migration « volontaire » et « forcée » n’est pas toujours très claire. Le problème va encore s’empirer, car des facteurs autres que la persécution – tel le changement climatique – risquent d’être encore plus prononcés dans les années à venir avec des conséquences bien plus sévères sur la migration qu’aujourd’hui. En février 2017, le Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU pour la migration, Peter Sutherland, a publié un rapport critiquant entre autre la distinction artificielle faite entre le « bon » réfugié et le « mauvais » migrant. Il suggère plutôt un « continuum de protection » pour les réfugiés et migrants.

Un autre mythe répandu est que nous traversons une période de migration sans précédent. La réalité est que la migration nous accompagne depuis la nuit des temps. Le dix-neuvième et début du vingtième siècles, par exemple, ont été marqués par des flux migratoires très importants. Ce n’était pas seulement un phénomène d’émigration européenne, car des millions de Chinois ont quitté leur terre natale pour les Amériques et l’Asie du Sud-Est, de même pour des Africains vers les Amériques et des Indiens vers les quatre coins de l’Empire britannique. Comme c’est le cas aujourd’hui, de nouvelles technologies, la croissance démographique, des crises socio-économiques et politiques et la perspective de meilleures opportunités ont encouragé ces déplacements. Aujourd’hui, il semblerait, à première vue, que la migration a connu une croissance spectaculaire lors des dernières décennies. Le nombre de migrants a presque triplé depuis 1960. Mais cette hausse peut être expliquée en grande partie par la croissance démographique. Seules 3,4 pour cent des habitants de la planète étaient des migrants en 2015, contre 3,1 pour cent en 1960. En fait, une faible augmentation.

Le même mythe existe à propos des flots contemporains de réfugiés. Selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, on comptait 63,5 millions de déplacés forcés en 2015, mais seulement 21,3 million d’entre eux avaient traversé une frontière internationale. Ce n’est certainement pas un nombre négligeable, mais ce ne sont que trois à quatre millions de plus que la moyenne annuelle entre 1996 et 2012. La communauté internationale, pour sa part, a clairement démontré dans le passé sa capacité à répondre à une telle crise. Suite à la fin de la guerre du Viet Nam en 1975, la crise des « boat-peoples » a poussé la communauté internationale à coopérer à l’échelle globale pour accueillir 2,5 million de personnes.

Une autre croyance est que la migration contemporaine peut-être simplement exprimée en termes d’un tsunami démographique frappant les pays développés. La réalité est plus complexe. Certes, 65 pour cent des migrants ont quitté un pays en développement pour un pays développé, mais environ 79,6 million – un tiers – se sont déplacés d’un pays en développement vers un autre. Parmi les dix pays hébergeant les plus grandes populations de migrants en 2015 se trouvent les Etats Unis et l’Allemagne suivis par la Russie en troisième, l’Arabie saoudite en quatrième et les Emirats Arabes Unis en sixième place. Et si la migration est un enjeu mondial, la réaction l’est aussi. Le mois dernier, par exemple, les forces de police sont intervenues lors d’affrontements entre des manifestants et des migrants durant une manifestation contre l’immigration à Pretoria en Afrique du Sud. Cet incident a eu lieu près de deux ans après la mort d’au moins sept personnes lors d’une éruption de violence xénophobe à Johannesburg et Durban.

Dans le cas des réfugiés, ce sont les pays en développement qui portent de très loin le plus lourd fardeau. En 2015, 49 pour cent des réfugiés et demandeurs d’asile se trouvaient au Moyen Orient et en Afrique du Nord et 22 pour cent en Afrique subsaharienne. Seulement 10 pour cent se trouvaient dans l’Union européenne, la Norvège ou la Suisse. Les pays hébergeant les plus grandes populations de réfugiés étaient la Turquie, le Pakistan, le Liban, l’Iran, l’Éthiopie et la Jordanie. Le total sur l’ensemble du continent européen est inférieur à celui de la Turquie ou de la Jordanie. Les réfugiés au Liban représentent maintenant un quart de la population de ce petit état, contre moins de 0,5 pour cent pour l’ensemble de l’Union européenne, la Norvège et la Suisse. Les pays en développement luttent pour nourrir, héberger et soigner ces réfugiés avec seulement une fraction des ressources à la disposition des pays développés.

Un autre mythe véhiculé par certains dirigeants à propos de la migration est qu’un état peut s’isoler de ces tendances en construisant des murs ou des ententes avec des pays de transit. Si elles sont populaires à court terme, ces mesures sont vouées à l’échec car elles n’abordent pas les causes profondes de la migration. Face à la pauvreté, l’inégalité, la corruption, le manque d’opportunités, les changements climatiques, les violations des droits de l’homme, les états prédateurs et les conflits, il n’est pas surprenant que certains tentent leur chance ailleurs. Cette réalité risque de persister, surtout lorsqu’on tient compte de la balance démographique entre l’Afrique et l’Europe. Il est estimé que la population africaine doublera d’ici 2050 pour atteindre 2,4 milliards de personnes. L’Europe, pour sa part, est confrontée à une période de stagnation et au vieillissement progressif de sa population. Elle offre donc une chance manifeste pour ceux qui cherchent un meilleur avenir. Dans ce contexte, des mesures punitives ne font que livrer les migrants aux mains des trafiquants d’êtres humains, lesquels alimentent le crime organisé, l’esclavage moderne et la violence.

Enfin le dernier mythe est que la migration menace l’économie d’un pays ainsi que sa cohésion sociale. La réalité est que les migrants jouent un rôle essentiel dans l’économie mondiale. Les migrants ont contribué environ 6. 700 milliards de dollars à l’économie mondiale en 2015 soit environ 9,4 pour cent du produit industriel brut mondial. Selon ces calculs, la migration a contribué 2.300 milliards de dollars au PIB de l’Europe de l’Ouest. La migration est particulièrement importante pour des pays développés, car elle remplace maintenant la fertilité décroissante comme moteur de croissance démographique. Entre 2000 et 2014, les migrants ont fourni environ 48 pour cent de la croissance de la population active au Royaume-Uni, 45 pour cent en Espagne et 42 pour cent pour les États-Unis. L’Allemagne à elle seule aura besoin de 350.000 migrants par an. L’immigration est une source de dynamisme et de créativité pour les sociétés d’accueil. Selon le Bureau américain des brevets et des marques, plus de la moitié des brevets déposés aux États-Unis sont détenus par des ressortissants étrangers. Malgré les dépenses associées à l’intégration d’immigrants, de nombreuses études révèlent que l’immigration a un effet positif net sur les budgets des états. En général, les migrants sont de jeunes actifs dont les contributions aux caisses de l’état allègent le fardeau des pensions en temps de vieillissement démographique. En d’autres termes, l’immigration pourrait assurer l’avenir de l’état providence en Europe.

Si plusieurs mythes persistent sur la migration, c’est en grande partie parce que de nombreux politiciens négligent leur responsabilité dans la lutte contre la désinformation. Certains ont même contribué à la méconnaissance de la question par le public. Ceci est une des quatre erreurs qui nous ont amenés au point où nous en sommes. La deuxième est l’incapacité des dirigeants de mener une action collective, soit pour aborder les causes profondes de la migration forcée ou pour faciliter la migration légale et ordonnée. Face à cette situation, les réfugiés et les migrants tombent aux mains des passeurs et des trafiquants, risquent leur vie en entreprenant des voyages dangereux ou tentent de survivre dans des camps surpeuplés. Car la troisième erreur est justement l’abandon de nos engagements internationaux en matière d’aide humanitaire au moment même où une série de crises risquent de pousser les organismes humanitaires au point de rupture. En décembre 2016, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires a signalé un déficit de financement de 43 pour cent pour s’occuper des 96,6 millions de personnes qui ont un besoin urgent. Sans les ressources adéquates, les personnels humanitaires et les pays d’accueil luttent même pour simplement garder les réfugiés, demandeurs d’asile et migrants forcés en vie. Des millions d’êtres humains se trouvent donc prisonniers de situations très précaires, sans la dignité d’une éducation ou d’un emploi, sans espoir pour l’avenir. Quel potentiel humain gaspillé ! La quatrième erreur est le manque d’écoute ou de réponses aux inquiétudes du public des pays d’accueil. Bien des gens ont été écartés de la mondialisation et leurs craintes et frustrations n’ont pas été entendues par les courants politiques traditionnels. Des populistes exploitent ces sentiments en prétendant représenter ce groupe, amplifiant leurs préoccupations et répandant des mensonges au sujet de communautés perçues comme étrangères.

Alors, que faire pour remédier à cette situation ? Premièrement il faut accepter que la migration est là pour durer et qu’aucune action unilatérale et défensive par un état ne peut l’isoler des réalités du vingt-et-unième siècle et au-delà. Le futur pas si lointain verra probablement des mouvements de populations bien plus importants que ceux que nous vivons aujourd’hui. La question migratoire est clairement un enjeu international et ne peut être abordée qu’à l’échelle mondiale. Conscients de cette réalité, les États Membres se sont réunis en 2007 pour créer le Forum mondial sur la migration et le développement. Ses travaux novateurs encouragent la collaboration entre états et la reconnaissance du lien entre le développement et la migration. En septembre 2016, ces efforts ont abouti à l’adoption de la Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants, une percée importante qui devrait conduire en 2018 à deux pactes mondiaux.

Entre-temps, l'ONU et ses partenaires continuent d’œuvrer tous les jours sur le terrain pour aider les réfugiés, les demandeurs d'asile et les migrants. L'ONU communique également la nécessité de prendre des mesures préventives pour limiter les facteurs favorisant la migration forcée. Au cœur de cet effort se trouve les 17 Objectifs de développement durable, notre feuille de route collective pour un avenir sûr, juste et durable. Elle s'emploie également à faciliter une plus grande collaboration entre ses différents organes et partenaires. L'entrée de l'Organisation internationale pour les migrations dans le système onusien en 2016 devrait faciliter cet effort. La Genève internationale – en tant que plaque tournante du système international – joue un rôle central dans tous ces efforts. Comme siège des organisations internationales impliquées dans la migration, les réfugiés et les droits de l’homme, Genève à l’expérience et le capital humain pour faciliter l’action collective sur ces enjeux.

Toutefois, le progrès nécessite une approche multipartite ancrée sur les contributions de la société civile, du secteur privé et des universités. C'est notamment le cas au niveau local, où se déroule le travail indispensable d'intégration. Car l’intégration est un processus bidirectionnel qui exige le soutien et l'acceptation de la communauté d’accueil ainsi que des efforts de la part des migrants pour s'adapter à leur nouvelle société. Le succès mènera à une citoyenneté renouvelée et dynamique, tandis que l'échec peut conduire à une génération perdue. Sur ce point, je souhaite saluer le projet pilote de l’Université de Genève pour faciliter l’accès des refugiés à ses cours grâce à des mentors et à des cours de français accélérés. En fin de compte, nous tous – en tant qu’activistes, consommateurs et citoyens – avons un rôle à jouer pour faciliter l’intégration, aider les réfugiés et changer le discours sur la migration. La responsabilité doit être partagée. Le problème est trop important pour le laisser seulement dans les mains de nos gouvernements.

Je vous remercie et vous souhaite à toutes et à tous une très agréable soirée.

This speech is part of a curated selection from various official events and is posted as prepared.