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« Le Palais des Nations : rénovation d’un monument du patrimoine suisse et mondial »

Michael Møller

10 octobre 2016
« Le Palais des Nations : rénovation d’un monument du patrimoine suisse et mondial »

Allocution de M. Michael Møller,
Directeur général de l'Office des Nations Unies à Genève,
« Le Palais des Nations : rénovation d’un monument du patrimoine suisse et mondial »
Lundi 10 octobre 2016, 18 h 30
Institut de Hautes Études Internationales et du Développement
Auditorium Ivan Pictet, Maison de la Paix, Genève

Merci Monsieur Burrin,
Monsieur Longchamp,
Mesdames et messieurs:

Je vous remercie, Monsieur Burrin, de m’accorder l’opportunité ce soir de parler du Palais des Nations et de sa rénovation – un projet qui permettra aux Nations Unies et à la Genève internationale de rester un pôle important des Nations Unies et du multilatéralisme tout court. Pour commencer, j’aimerais partager avec vous un court métrage sur les tout premiers jours de ce bâtiment regorgeant d’histoire et de patrimoine.

Voilà, un bon commencement.

Comme M. Boncour, ancien ministre des affaires étrangères de la France et délégué à la Société des Nations, le souligne dans cette vidéo, il était important que le Palais des Nations soit construit de manière solide pour faire face aux défis des affaires multilatérales. Et malgré tout, il a résisté à l’épreuve du 20e siècle! Il a survécu à la Deuxième Guerre Mondiale et à la guerre froide. Maintenant, c’est à nous d’assurer que ce bâtiment servira sa noble cause au cours du 21è siècle, tout en tenant compte du progrès technologique et des nouveaux enjeux mondiaux.

Le caractère international de Genève s’est formé bien avant la construction du Palais des Nations. On se souvient des réfugiés protestants du 16ième siècle qui ont joué un rôle significatif dans l’histoire cosmopolite et le progrès impressionnant de cette ville, de ce canton, et de toute la Confédération suisse. Et comme beaucoup d’entre vous le savent, c’est avec la fondation de la Croix-Rouge en 1863 que Genève a pris sa place unique dans la gouvernance mondiale et qu’elle a su garder jusqu’à aujourd’hui.

Puis, en 1919 la Conférence de la paix de Paris a pris la décision historique d’établir le siège de la Société des Nations à Genève. Celle-ci s’est établie à l’Hôtel National, aujourd’hui appelé le Palais Wilson. Les succès que connaissait alors la nouvelle organisation dans ses premières années ont incité les États membres à la doter d’un nouveau bâtiment, spécialement conçu pour abriter des activités multilatérales.

Comme le décrit l’auteur Joëlle Kuntz, le Palais des Nations doit au premier Secrétaire général de la Société des Nations, l’anglais Sir Eric Drummond, son emplacement sur la rive droite de Genève, puisque c’est lui qui souhaitait une « vue sur le Mont-Blanc ». Le Palais doit à John D. Rockefeller sa position sur la colline de l’Ariana, puisque le magnat du pétrole américain offrait à la Société des Nations une bibliothèque qu’il serait impossible à installer sur les parcelles prévues pour le Palais sur les rives du lac. Et j’ajouterais que le Palais doit à la population genevoise des remerciements éternels pour son accueil à bras ouverts. Cet intérêt genevois pour les relations internationales s’est traduit aussi dans la décision d’établir la première institution académique au monde entièrement dédiée à l’étude des affaires internationales. L’institution où nous nous retrouvons ce soir et que nous connaissons bien sous le nom de l’Institut de Hautes Études Internationales et du Développement qui entretient une collaboration étroite avec nous aux Nations Unies.

La construction du Palais des Nations a commencé en 1929, et elle s’est achevée en 1936. Seulement trois ans plus tard, lorsque la Seconde guerre mondiale a éclaté, les activités de la Société des Nations à Genève ont été suspendues et le bâtiment a été fermé. Mais l’esprit de coopération s’est conservé entre ses murs. Comme l’a dit le Conseiller fédéral Petitpierre, Chef de la délégation Suisse à la dernière Assemblée de la Société des Nations en 1946, lorsqu’il fut décidé de transférer le Palais des Nations aux Nations Unies : « Un gage de l’avenir, nous le trouvons dans l’instrument de travail forgé à Genève, et que nous transmettons, esprit et corps, à l’organisation de demain ».

Dans l’après-guerre, si les dirigeants élisent New York comme siège principal des Nations Unies, Genève continue jusqu’à aujourd’hui d’attirer des nouvelles organisations internationales – principalement des organes qui traitent des questions économiques, sociales, humanitaires, scientifiques, de développement, du désarmement et des droits de l’homme pour en énumérer quelques-unes. D’un point de vue pragmatique suisse – et si vous me le permettez – on pourrait dire qu’après la période mitigée de la Société des Nations, il a été décidé de déménager le blocage politique ailleurs et d’aborder, à Genève, le travail opérationnel et substantif.

De nombreux accords de paix ont néanmoins été négociés au Palais des Nations comme l’Accord de Genève qui mit fin à la guerre d’Indochine en 1954 par exemple. Genève continue à attirer des négociations de paix, comme le démontrent les pourparlers pour la Syrie, la Libye, la Géorgie ou encore le Yémen. La discrétion offerte aux négociateurs à Genève et l’excellente infrastructure fournie par les autorités suisses et genevoises, font de Genève, et du Palais des Nations, un endroit où l’on peut se rencontrer même avec des préavis courts, en toute sécurité et discrétion.

Mesdames et messieurs,

Le Palais des Nations est un monument du patrimoine historique genevois, suisse et mondial, non seulement parce qu’il accueillait des évènements qui ont marqué l’histoire de la gouvernance mondiale mais aussi parce qu’il reflète les valeurs suisses comme l’ouverture, le multilinguisme, la démocratie participative et la coopération. Il l’est aussi parce qu’il a été conçu comme monument architectural qui, selon l’appel de la Société des Nations aux architectes « par la pureté de son style, l’harmonie de ses lignes, est appelé à symboliser la gloire pacifique du XXe siècle. »

Peut-être cela ne vous surprendra pas, mais les États membres avaient des difficultés à se mettre d’accord concernant leur choix de l’architecte, et finalement, c’est un groupe de cinq architectes qui concevait le bâtiment que nous connaissons aujourd’hui. Les idées de « collaboration » et de « compromis » ont donc fait partie de ce bâtiment depuis sa conception. En même temps, le résultat était une combinaison de lignes claires et de formes artistiques, tout en harmonie avec le style du Art Déco de l’époque que l’on peut encore voir dans les couloirs du bâtiment aujourd’hui.

On peut trouver des aspects similaires dans d’autres grands bâtiments. Mais ce qui fait du Palais des Nations un patrimoine mondial exceptionnel c’est le fait qu’il contienne des caractéristiques multiculturelles de tous les coins du monde. Aujourd’hui, le Palais des Nations et son parc comptent plus de deux mille œuvres d’art qui ont été offertes par nos différents États Membres. Plusieurs salles de conférence ont été rénovés par des États différents ce qui montre que nos membres ont vraiment compris que le maintien de ce bâtiment est une responsabilité partagée, et une occasion commune de montrer notre unité dans la diversité.

Alors avec toute son histoire, qu’est-ce que c’est que le Palais des Nations nous fournit aujourd’hui ? Premièrement, il continue de nous servir comme centre de conférence – avec plus de 12’000 réunions par an dans le Palais, nous accueillons un plus grand nombre de conférences que nos collègues à New York ou ailleurs. Et les décisions prises dans ces négociations ont un impact sur la vie de nous tous partout dans le monde – elles concernent le commerce, la sécurité routière, les droits de l’homme, la santé, l’humanitaire, le travail et beaucoup d’autres domaines.

Deuxièmement, le Palais des Nations est un centre de collection d’expertise et d’innovation avec près de 3 mille collaboratrices et collaborateurs professionnels. La Bibliothèque des Nations Unies à Genève est aujourd’hui riche d’une collection de plus d’un million et demi de volumes, de 4 million de documents officiels des Nations Unies, de plus de 70 bases de données et 70'000 journaux électroniques. Elle héberge aussi les archives de la Société des Nations. Cette base de données est à la disposition de tous les acteurs de la Genève internationale et au-delà dans leurs efforts pour renforcer la paix, les droits et le bien-être et pour atteindre les Objectifs du Développement Durable. Et je peux vous dire ce soir qu’on a reçu un don considérable qui va nous aider à digitaliser nos archives de la Société des Nations.

Et troisièmement c’est un lieu de rencontre et d’interaction avec le public. Le Service des visites accueille quant à lui le grand public, soit plus de 100’000 personnes chaque année. Et nous organisons de plus en plus d’évènements publics dans le bâtiment et le parc, comme les entrainements annuels pour la course traditionnelle de l’Escalade. Et lors de la journée des portes ouvertes il y a un an, nous avons accueilli presque 20 mille personnes. Le grand public ayant perdu l’espoir et la confiance en les institutions politiques au niveau national et international dans le contexte actuel, je suis convaincu qu’il est très important d’ouvrir nos institutions. Ceci dit, il faut bien sûr aussi prendre des mesures de sécurités nécessaires en considération pour garantir le bon déroulement des réunions au Palais.

Mesdames et messieurs,
Chers amis,

Avec plus de réunions, plus d’expertise à conserver, et plus de visiteurs le bâtiment historique est poussé au-delà de ces capacités. En plus, l’infrastructure des années 1930 a vieilli et les nouvelles technologies doivent être mises en place pour optimiser le travail au Palais. Dans ce contexte, Monsieur Boncour, que nous avons vu dans la vidéo, aurait des raisons importantes de se faire du souci concernant la solidité du Palais des Nations, et nous allons vous montrer quelques images de l’intérieur « caché » qui démontrent cela.

En vue de l’extérieur, le Palais est assez jolie, mais à l’intérieur il y a des problèmes sérieux comme vous voyez.

Avec de telles images, il n’est pas surprenant que nous devions intervenir de plus en plus régulièrement en urgence pour répondre aux inondations dans les archives de la Bibliothèque, par exemple, ou encore aux coupures d’électricité pendant des réunions.

De plus, le Palais des Nations n’est plus conforme aux standards de sécurité modernes par rapport aux incendies et autres catastrophes. Le bâtiment qui a été ajouté en 1973 apporte malheureusement une caractéristique problématique commune aux bâtiments des années 70 : l’amiante dont l’impact sur la santé est connu.

Quand les cinq architectes ont conçu le bâtiment, l’importance de l’accès aux personnes handicapées n’était pas encore assez priorisé. Aujourd’hui, un bâtiment dans lequel se trouve le principal organe mondial des droits de l’homme ne peut simplement pas barrer l’accès à des personnes à cause de leur condition physique et c’est donc une de nos priorités pour la rénovation.

Le Palais des Nations ne répond plus aux exigences du multilatéralisme du 21è siècle. L’année passée, nos États membres ont adopté l’agenda 2030 pour le développement durable. Genève, avec toute son expertise et l’écosystème de la coopération internationale construits depuis la création de la Croix Rouge il y a plus que 150 ans, joue et jouera un rôle clé dans le processus de la mise en œuvre de cet agenda. Pour ce faire, l’infrastructure de la Genève internationale doit répondre aux exigences modernes de notre temps.

C’est dans ce contexte, qu’à la fin de 2015, l’Assemblée générale a donné le feu vert à la première rénovation complète du Palais des Nations depuis sa construction avec un plafond des coûts de 836.5 millions Francs Suisses. La Confédération Suisse, le Canton et la ville de Genève vont nous soutenir en mettant à la disposition de l’ONU un prêt sans intérêt de 400 millions de francs suisses. Cette décision a été prise à l’unanimité que l’on voit rarement dans les parlements respectifs, ce qui démontre une fois de plus le grand soutien de notre pays hôte à tous les niveaux de gouvernance. Nous remercions très chaleureusement nos partenaires genevois et confédérés pour ce soutien unique et exemplaire. Permettez-moi de aussi dire merci à nos partenaires de la Ville, du Canton et de la Confédération pour la collaboration exceptionnelle pour les aspects pratiques et techniques de ce projet. La complexité de cette rénovation requiert une coopération très avancée entre toutes les instances concernées, y compris par exemple les permis de construction et nous sommes fiers de coopérer avec des partenaires si solides et professionnels.

Les chantiers de rénovation de l’Organisation Mondiale de la Santé, de l’Organisation Internationale du Travail et de la Fédération Internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge bénéficient également d’un soutien financier de notre Etat hôte. En plus, des projets de rénovation des bâtiments de l’Union Internationale de la Télécommunication et du Comité International de la Croix Rouge sont actuellement à l’étude. La Genève internationale est forte grâce à un réseau unique d’expertise, aussi représenté par les organisations citées et les acteurs non-gouvernementaux. Ajoutant à cela le nouveau plan de réaménagement, y compris le projet de la route des Nations, une partie importante de la Genève internationale sera dotée d’une technologie moderne et aura donc un avantage comparatif supplémentaire par rapport à d’autres villes aussi intéressées à attirer des organisations internationales.

Nous sommes conscients que les investissements que l’État hôte nous accorde pèsent lourd sur le budget quand tous nos États membres font face à des coupes budgétaires. Mais ces investissements représenteront un grand retour sur l’investissement. Économiquement, la Genève internationale, y compris par les dépenses indirectes des fonctionnaires internationaux, a contribué en 2012 à 11,3 % du PIB genevois, ce qui représente 1 % du PIB suisse. En même temps, il est bien connu que la Suisse bénéficie d’une influence bien plus grande dans les négociations multilatérales grâce à l’accès directe aux milliers de fonctionnaires internationaux de haut niveau qui viennent chaque année à Genève. Et finalement, tout le monde, y compris les Suisses, bénéficient d’un monde plus paisible, avec un respect accru pour les droits et le bien-être à cause du travail ici à Genève. C’est pas toujours évident, mais c’est un fait.

Les pays membres m’ont demandé d’essayer de réduire la facture totale de la rénovation du Palais et je suis en contact avec plusieurs Etats pour solliciter des donations bilatérales pour, par exemple, rénover de salles de conférence dans le bâtiment. Cette année, nous avons par exemple pu inaugurer la Salle des Émirats qui est maintenant équipée d’une technologie très avancée. Il y a quelques mois nous avons signé un accord avec la Chine pour une autre salle. Et plusieurs autres Etats ont fait des contributions similaires dans le passé. Nous allons aussi valoriser plusieurs espaces de propriété des Nations Unies dans les environs du Palais des Nations pour encore diminuer les coûts totaux aux pays membres, et nous continuons de chercher des solutions innovatrices de financement. Comme je disais : le Palais des Nations est un projet commun pour tout le monde, et nous le garderons comme cela.

Alors où va tout cet argent ? Ma collègue Véronique Neiss qui est avec nous va vous présenter plus en détail les plans de construction et de rénovation dans quelques instants. L’une des décisions que nous avons pris a été la construction d’un nouveau bâtiment au nord du bâtiment historique et juste à côté du bâtiment E – le bâtiment construit en 1973 a cet endroit. Ce bâtiment va remplacer une partie du bâtiment E que nous devons démanteler.

Le nouveau bâtiment va répondre aux derniers standards d’efficacité énergétique et nous permettra aussi d’utiliser l’espace de manière plus flexible. En combinaison avec la rénovation et la redistribution de l’espace des bureaux dans les bâtiments existants, cela va nous permettre d’avoir assez de place pour 700 personnes de plus sur une surface comparable à celle que nous avons maintenant. C’est-à-dire qu’on va augmenter l’effectif du Palais des Nations d’environ 25%. Dans le long-terme, cela signifie que l’ONU va dépenser moins pour la location de bureaux en ville, et moins pour l’énergie. Dans ce contexte, permettez-moi de remercie la Confédération Suisse pour la donation en 2011 de CHF 50 millions qui nous a permis de réduire notre consommation d’énergie considérablement.

Finalement, je continue aussi de travailler avec mes collègues dans toutes les sections de l’ONUG et nos partenaires de la Ville et du Canton de Genève pour trouver un meilleure équilibre entre nos besoins de sécurité dans un monde avec des menaces réelles et le désir d’ouvrir le Palais des Nations à la population locale et globale. Nous sommes en train de négocier l’ouverture d’une partie de nos jardins de manière plus permanente au grand public par exemple – au moins d’une partie du jardin. Le patrimoine du Palais des Nations appartient à tout le monde, et en le partageant, nous espérons mieux informer le public sur le travail important qui se passe à l’intérieur.

Comme tous les grands projets le montrent, cette rénovation est accompagnée par des défis logistiques, dont ma collègue vous parlera dans un moment. Tous ceux qui seront touchés d’une manière ou d’une autre par la rénovation – que ce soient nos employées ou nos voisins à Genève – se posent des questions de nature différente. Le bon voisinage avec les Genevois et Genevoises est essentiel et j’y tiens beaucoup. Nous, les onusiens nous nous sentons chez nous ici à Genève – aussi en dehors du cercle de la Genève internationale. Il faut soigner cette relation amicale unique. C’est pour cela que nous avons plusieurs campagnes d’information internes et externes sur le projet de la rénovation, et je suis ravi d’avoir la possibilité de présenter le projet ce soir dans ce forum publique à l’IHEID.

Avant de donner la parole à ma collègue, laissez-moi terminer en disant que la rénovation de ce monument du patrimoine historique suisse et mondial est un mandat très important pour moi. Je suis très conscient de la grande responsabilité de maintenir ce patrimoine pour les futures générations. Cela est dans l’intérêt genevois, suisse et mondial. Je remercie tous nos partenaires qui partagent cette responsabilité pour la bonne collaboration et je me réjouis de voir ce projet prenant forme dans les années à venir.

Merci beaucoup, et je donne la parole à ma collègue.

This speech is part of a curated selection from various official events and is posted as prepared.