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Examen de la France devant le Comité contre la torture : les conditions de détention, l’usage de la force par la police et la définition du crime de torture au cœur des préoccupations des experts

Compte rendu de séance

 

Le Comité contre la torture a examiné, hier matin et cet après-midi, le rapport présenté par la France au titre de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradant.

Au cours du dialogue noué entre les experts membres du Comité et la délégation française venue soutenir ce rapport, un expert membre du Comité a rappelé la recommandation antérieure du Comité à la France d’intégrer dans sa législation pénale une définition du crime de torture conforme à celle de la Convention. Il a estimé que le Code pénal français ne satisfaisait pas pleinement à cette exigence, et que la simple mention d’une interprétation conforme à travers la jurisprudence ne garantissait ni la clarté, ni la prévisibilité requises en droit pénal.

L’expert a par ailleurs évoqué l’usage excessif de la force par la police en France, en s’appuyant sur les cas portés à la connaissance du Comité et sur les préoccupations exprimées par d’autres organes onusiens. Rappelant que des décès ont été causés par des forces de l’ordre, souvent dans le contexte de contrôles ou d’interpellations, l’expert a cité les affaires Adama Traoré, Luigi Duquenet et Nahel Merzouk. Il a souligné que la loi de 2017 sur la sécurité intérieure avait élargi les conditions d’usage des armes et que, depuis son adoption, les homicides avaient fortement augmenté.

L’expert a en outre abordé les violences signalées en Nouvelle-Calédonie, citant des allégations de morts parmi les manifestants kanak, des arrestations massives et des transferts forcés vers la métropole.

En matière d’asile et de migration, l’expert a critiqué les effets restrictifs de la loi du 26 janvier 2024, évoquant un cadre législatif « de plus en plus arbitraire ». Il a également interrogé la France sur les conditions dans les Centres de rétention administrative et plus particulièrement sur les pratiques à Calais.

Revenant sur les événements dans les prisons françaises de ces derniers jours, un autre expert a exprimé une vive préoccupation face à la surpopulation carcérale en France, et mentionné des conditions de détention « indignes » ainsi qu’un manque de personnel.

L’expert a aussi rappelé qu’entre 2019 et 2024, le Défenseur des droits avait rendu plusieurs décisions sur l’usage excessif de la force par les forces de sécurité lors d’interpellations et avait formulé des recommandations à ce sujet, notamment l’interdiction des lanceurs de balles de défense, et que soit engagée une réflexion approfondie sur les armes de force intermédiaire susceptibles de porter de graves atteintes à l’intégrité physique des personnes.

Présentant le rapport, Mme Isabelle Rome, Ambassadrice pour les droits de l’Homme de la France, a d’abord affirmé que le respect des droits de l’homme et la prohibition de tout acte de torture ou de traitement inhumain ou dégradant étaient des priorités de la politique étrangère française.

S’agissant des actions menées sur le territoire national, Mme Rome a indiqué que la France avait renforcé ses politiques publiques depuis 2020. Elle a rappelé que le recours à la force était strictement encadré en France par la loi et le code de déontologie des forces de l’ordre, et que l’usage des armes n’était autorisé qu’en cas d’absolue nécessité.

Mme Rome a aussi mentionné la mobilisation des autorités contre la surpopulation carcérale, citant notamment des dispositifs de libération anticipée et un plan de construction de 15 000 nouvelles places de prison.

L’Ambassadrice a ensuite présenté les avancées de la loi du 26 janvier 2024 relative au contrôle de l’immigration et à l’amélioration de l’intégration, notamment la protection plus efficace des demandeurs d’asile vulnérables et la fin de la rétention des familles avec mineurs.

Concernant la prescription de certains cas de torture, Mme Rome a précisé qu’il n’incombait à la France aucune obligation d’imprescriptibilité pour la seule incrimination de torture au regard de la Convention, mais que cette infraction restait imprescriptible en tant qu’élément sous-jacent du crime contre l’humanité.

Mme Rome a aussi affirmé que les efforts fournis par la France concernaient aussi les Territoires d’Outre-Mer, avec une attention portée à leurs besoins particuliers. Ainsi, en Nouvelle-Calédonie, le Gouvernement s’est mobilisé pour garantir la sécurité des personnes pendant les émeutes récentes. Des mesures d’urgence ont été déployées au bénéfice du monde économique et des collectivités locales, et les autorités poursuivent le dialogue avec l'ensemble des forces politiques locales, permettant d'engager le territoire dans une nouvelle étape de son émancipation.

La délégation française était composée, entre autres, de représentants du Ministère de l’Europe et des affaires étrangères, du Ministère des Outre-mer, du Ministère de l’intérieur, du Ministère de la justice, du Ministère des armées, du Ministère de la santé et de la prévention, ainsi que de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA).

Au cours du dialogue avec les experts du Comité, la délégation a déclaré que les Inspections générales de la police et de la gendarmerie, toutes deux dirigées par un magistrat, exercent un contrôle sur les forces de sécurité intérieure. Les agents sont formés au cadre juridique et l’usage des armes reste un dernier recours strictement encadré par la loi, sur la base notamment des principes d’absolue nécessité et de proportionnalité. La délégation a reconnu une hausse des tirs en 2017 dans un contexte de menace terroriste, mais a indiqué que ces chiffres étaient en baisse continue depuis lors.

Le Comité adoptera ultérieurement, à huis clos, ses observations finales sur le rapport de la France et les rendra publiques à l’issue de sa session, le 2 mai prochain.

 

Mercredi prochain, à 10 heures, le Comité entamera l’examen du rapport du Turkménistan.

 

Examen du rapport de la France

Le Comité est saisi du huitième rapport périodique de la France (CAT/C/FRA/8), rapport établi sur la base d’une liste de points à traiter qui avait été soumise au pays par le Comité.

Présentation

Présentant le rapport, Mme Isabelle Rome, Ambassadrice pour les droits de l’Homme de la France, a d’abord affirmé que le respect des droits de l’homme et la prohibition de tout acte de torture ou de traitement inhumain ou dégradant étaient des priorités de la politique étrangère française.

Mme Rome a ainsi évoqué, en particulier, la déclaration de l’ancienne Ministre de l’Europe et des affaires étrangères qui a affirmé en 2023 que la France poursuivrait ses efforts pour faire progresser les mécanismes internationaux de défense des droits de l’homme, dénoncer les violations, aider les pays à se doter des instruments de l’État de droit, et assurer le respect des conventions internationales, notamment à travers l’universalisation et la mise en œuvre de la Convention contre la torture – à cet égard, Mme Rome a salué la ratification récente de la Convention par la Dominique et Tuvalu, portant à 175 le nombre d’États parties. Elle a assuré que la France continuerait de dénoncer le recours à la torture comme méthode de répression de la dissidence politique.

S’agissant des actions menées sur le territoire national, Mme Rome a indiqué que la France avait renforcé ses politiques publiques depuis 2020. Rappelant d’abord que le recours à la force était strictement encadré en France par la loi et le code de déontologie des forces de l’ordre, et que l’usage des armes n’était autorisé qu’en cas d’absolue nécessité, Mme Rome a évoqué la réforme de la doctrine du maintien de l’ordre, avec le Schéma national publié en 2021, qui prévoit une adaptation des stratégies d’emploi des Compagnies républicaines de sécurité et des escadrons de gendarmerie mobile lors des manifestations. Le principe, a-t-elle précisé, reste celui de la liberté de manifestation comme droit fondamental garanti par la Constitution, le rôle des forces de l’ordre étant de garantir l’exercice des libertés publiques tout en garantissant la sécurité des manifestants et la nécessité de préserver l’ordre public.

Mme Rome a d’autre part rappelé que le cadre juridique français de la garde à vue garantissait la dignité de la personne et les droits attachés à cette mesure, notamment le droit de prévenir toute personne de son choix, le droit à un médecin, le droit au silence ou encore le droit d’être assisté immédiatement par un avocat.

Mme Rome a ensuite mentionné la mobilisation des autorités contre la surpopulation carcérale, citant notamment des dispositifs de libération anticipée et un plan de construction de 15 000 nouvelles places de prison. Elle a évoqué d’autres mesures prises pour augmenter l’offre de soins – notamment psychiatriques – dans les lieux de privation de liberté, contrôler le recours à l’isolement et prévenir les suicides.

S’agissant des personnes intersexes et transgenres en détention, des actions de prévention et de répression des violences liées aux genre ont été menées à destination du personnel pénitentiaire, a aussi indiqué Mme Rome. Quant à la prise en charge des personnes dans les établissements psychiatriques, elle fait l’objet d’un effort financier et structurel accru, a-t-elle ajouté.

Mme Rome a ensuite présenté les avancées de la loi du 26 janvier 2024 relative au contrôle de l’immigration et à l’amélioration de l’intégration : création d’espaces France Asile, simplification du contentieux des étrangers, protection plus efficace des demandeurs d’asile vulnérables ou encore fin de la rétention des familles avec mineurs.

Concernant la prescription de certains cas de torture, Mme Rome a précisé qu’il n’incombait à la France aucune obligation d’imprescriptibilité pour la seule incrimination de torture au regard de la Convention, mais que cette infraction restait imprescriptible en tant qu’élément sous-jacent du crime contre l’humanité.

Mme Rome a évoqué par ailleurs le troisième plan national de lutte contre l’exploitation et la traite des êtres humains (2024-2027), coordonné par la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains, et la première stratégie contre le système prostitutionnel et l’exploitation sexuelle.

Mme Rome a affirmé que ces efforts fournis par la France concernaient aussi les Territoires d’Outre-Mer, avec une attention particulière portée à leurs besoins particuliers. Ainsi, en Nouvelle-Calédonie, le Gouvernement s’est mobilisé pour garantir la sécurité des personnes pendant les émeutes récentes. Des mesures d’urgence ont été déployées au bénéfice du monde économique et des collectivités locales, et les autorités poursuivent le dialogue avec l'ensemble des forces politiques locales, permettant d'engager le territoire dans une nouvelle étape de son émancipation.

Mme Rome a enfin mentionné la forte mobilisation de la France après le cyclone Chido à Mayotte, notamment pour rétablir l’ordre public et accélérer le traitement des demandes d’asile.

Questions et observations des membres du Comité

M. JORGE CONTESSE, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport de la France, a rappelé la recommandation du Comité à la France d’intégrer dans sa législation pénale une définition du crime de torture conforme à celle de la Convention. Il a estimé que le Code pénal français ne satisfaisait pas pleinement à cette exigence, et que la simple mention d’une interprétation conforme à travers la jurisprudence ne garantissait ni la clarté, ni la prévisibilité requises en droit pénal. Il a souligné que de nombreux États, y compris ceux de tradition de Common Law, ont adopté des définitions explicites du crime de torture.

S’agissant de la prescription, l’expert a rappelé que la France refuse de rendre imprescriptible le crime de torture en invoquant le principe fondamental de prescription de l’action publique en droit interne. Il a estimé que cette position était contraire au droit international et a interrogé la délégation sur la compatibilité d’une telle position avec les engagements internationaux de la France et avec ses principes fondamentaux en matière de lutte contre l’impunité.

Concernant les garanties juridiques fondamentales, M. Contesse a exprimé des inquiétudes concernant les retards excessifs dans la notification des droits en garde à vue, en particulier lors de manifestations. Il a évoqué des cas d’arrestations à visée dissuasive. L’expert a également cité des rapports pointant des atteintes à la dignité, un usage systématique du menottage et des délais de notification très courts. Il a estimé que ces pratiques fragilisaient l’État de droit.

En matière de formation, l’expert a souhaité savoir si les modules sur l’éthique policière étaient renouvelés en cours de carrière, et si la formation inclut le Protocole d’Istanbul (Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants). Il a regretté l’absence d’outil d’évaluation de ces formations.

M. Contesse a ensuite évoqué l’usage excessif de la force, en s’appuyant sur les cas portés à la connaissance du Comité et sur les préoccupations exprimées par d’autres organes onusiens. Rappelant que des décès ont été causés par des forces de l’ordre, souvent dans le contexte de contrôles ou d’interpellations, l’expert a cité les affaires Adama Traoré, Luigi Duquenet et Nahel Merzouk. M. Contesse a souligné que la loi de 2017 sur la sécurité intérieure avait élargi les conditions d’usage des armes et que, depuis son adoption, les homicides avaient fortement augmenté : il a demandé si une évaluation de cette loi avait été réalisée et si des instructions claires avaient été données à la police.

M. Contesse a aussi abordé les violences signalées en Nouvelle-Calédonie, citant des allégations de morts parmi les manifestants kanak, des arrestations massives et des transferts forcés vers la métropole. Il a interrogé la délégation sur la légalité de ces mesures, sur les violences alléguées et sur la position de la France concernant les droits collectifs des peuples autochtones.

En matière d’asile et de migration, l’expert a critiqué les effets restrictifs de la loi du 26 janvier 2024, évoquant un cadre législatif « de plus en plus arbitraire ». Il a exprimé sa préoccupation concernant l’accélération des procédures et l’usage élargi du juge unique à la Cour nationale du droit d’asile. Il a demandé des précisions sur l’assistance juridique offerte, les garanties contre les expulsions collectives, et le respect des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme. Il a également interrogé la France sur les conditions dans les Centres de rétention administrative et plus particulièrement sur les pratiques à Calais. Il a mentionné des informations selon lesquelles des mineurs non accompagnés auraient été refoulés à la frontière italienne, et a demandé quelles garanties étaient en place pour protéger les droits de ces mineurs.

L’expert a ensuite salué les articles du Code de procédure pénale français qui permettent de poursuivre les auteurs de torture commise à l’étranger. Il a appelé la France à clarifier sa position quant à l’exécution des mandats de la Cour pénale internationale, en particulier face aux positions divergentes rendues manifestes en 2024 concernant le Président russe et le Premier Ministre israélien.

M. Contesse a exprimé des doutes face aux chiffres officiels très bas concernant le profilage racial, et a demandé des éclaircissements sur l’isolement prolongé de leaders kanaks et les transfèrements de personnes en Nouvelle-Calédonie.

M. ABDERRAZAK ROUWANE, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport de la France, a salué la qualité du dialogue et l’engagement de la France, y compris l’implication de la société civile et des institutions indépendantes dans le processus d’examen.

Revenant sur les événements dans les prisons françaises de ces derniers jours, M. Rouwane a exprimé une vive préoccupation face à la surpopulation carcérale en France, citant des taux d’occupation très élevés notamment à Fresnes, Nîmes et en Outre-Mer. Il a décrit des conditions « indignes », comme des matelas au sol, l’insalubrité et le manque de personnel. L’expert a recommandé la mise en place d’un mécanisme contraignant de régulation carcérale, un recours accru aux peines alternatives, une réduction de la détention provisoire et un élargissement des aménagements de peine.

M. Rouwane s’est dit préoccupé par la persistance des fouilles intégrales et des surveillances nocturnes de personnes placées en détention, souvent mises en œuvre sans justification individualisée, a-t-il relevé.

L’expert a évoqué des difficultés d’accès aux soins médicaux et psychiatriques ainsi que des atteintes au secret médical au détriment de personnes détenues. M. Rouwane a également alerté sur la hausse des suicides en détention, avec 141 cas en 2024. S’agissant de l’isolement disciplinaire, il a demandé à la France d’expliciter les critères de placement, l’encadrement juridique, et les garanties mises en œuvre.

S’agissant des personnes handicapées en détention, M. Rouwane a signalé le manque d’accessibilité et d’équipements adaptés, et a interrogé la délégation sur les mesures prises pour former le personnel et adapter les établissements. Il a également évoqué la sous-déclaration des violences entre détenus.

L’expert a ensuite abordé ce qu’il a qualifié de conditions dégradées dans certains commissariats, l’usage abusif du menottage et la surpopulation des locaux de garde à vue. Il a également critiqué les conditions dans les centres de rétention, en particulier à Mayotte, où des enfants continuent d’être enfermés.

M. Rouwane a ensuite rappelé qu’entre 2019 et 2024, le Défenseur des droits avait rendu plusieurs décisions sur l’usage excessif de la force par les forces de sécurité lors d’interpellations et avait formulé des recommandations à ce sujet, notamment l’interdiction des lanceurs de balles de défense (LBD) dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre et que soit engagée une réflexion approfondie sur les armes de force intermédiaire susceptibles de porter de graves atteintes à l’intégrité physique des personnes. Il a demandé à la délégation de fournir des données sur les enquêtes ouvertes, les poursuites engagées et les condamnations prononcées à l’encontre des fonctionnaires mis en cause pour usage disproportionné de la force.

M. Rouwane a également évoqué l’usage d’autres armes dites à létalité réduite, tels les pistolets à impulsion électrique (Taser) et les gaz lacrymogènes. Il a interrogé la délégation sur l’encadrement juridique de ces équipements, sur la formation des agents à leur utilisation, et sur les éventuelles limitations ou interdictions, en particulier dans des environnements clos ou densément peuplés.

M. Rouwane a insisté sur la nécessité d’une surveillance rigoureuse des pratiques policières, en soulignant que l’usage de la force, même légitime, doit toujours être strictement proportionné, nécessaire et contrôlé. Il a rappelé que le droit à l’intégrité physique et à la sécurité des personnes doit être pleinement garanti, y compris dans les contextes sensibles de maintien de l’ordre public.

M. Rouwane a par ailleurs salué les efforts de la France en matière de lutte contre les actes criminels motivés par la haine ou l'intolérance. Il a relevé que, concernant les forces de l'ordre, sur les 6664 signalements enregistrés en 2023, 165 (soit 3,1 %) concernaient des pratiques ou propos discriminatoires. Le Comité, a ajouté l’expert, est informé que ces données sont partiellement limitées par le phénomène de sous-déclaration des actes racistes ou xénophobes.

M. Rouwane a demandé des informations sur les mesures antiterroristes prises en France, en particulier les perquisitions administratives introduites dans le droit commun par la loi de 2021, ce qu’il a qualifié d’usage extensif de la notion de menace terroriste ainsi que le recours aux « notes blanches ».

Un autre expert membre du Comité a demandé des précisions sur l’expulsion d’un ressortissant ouzbek malgré des mesures provisoires ordonnées par la Cour européenne des droits de l’homme, et si un suivi avait été effectué sur le sort de cette personne.

Un autre expert a interrogé la délégation sur les fouilles policières, en évoquant à cet égard des accusations de discrimination raciale systémique à l’encontre de personnes perçues comme noires ou arabes. Il a demandé si l’État acceptait ces critiques et quelles mesures étaient envisagées pour encadrer ces pratiques.

Enfin, un expert a exprimé ses inquiétudes concernant la traite, soulignant le manque de ressources pour l’assistance aux victimes, le risque de criminalisation des personnes exploitées, et la vulnérabilité particulière des enfants comoriens sans papiers à Mayotte.

D’autres questions des experts ont porté sur les violences sexuelles intrafamiliales ; les enquêtes sur le comportement des forces françaises en Centrafrique et la formation des personnels militaires et policiers au droit international humanitaire ; la vente par la France d’équipements pouvant servir à commettre des actes torture ; ou encore le traitement médical des enfants intersexes.

Réponses de la délégation

S’agissant de la définition et l’imprescriptibilité du crime de torture, la délégation a indiqué que les dispositions du Code pénal français, combinées à une jurisprudence constante et à la compétence universelle, sont jugées par la France conformes à l’objet et au but de la Convention. Elle a précisé que, bien que le Code pénal ne donne pas une définition explicite de la torture, ses éléments matériels et intentionnels sont établis avec précision par la jurisprudence. Elle a affirmé que la définition française va au-delà de celle de la Convention, en ce qu’elle ne requiert pas de dol spécial et qu’elle s’applique indépendamment de la qualité de l’auteur.

S’agissant de l’imprescriptibilité, la délégation a rappelé que le crime de torture se prescrit en droit français par vingt ans, trente ans s’il est commis sur un mineur, avec un report à la majorité. Elle a déclaré que ce régime était jugé suffisant, sauf lorsque la torture constitue un crime contre l’humanité, auquel cas elle est imprescriptible.

Concernant la garde à vue, la délégation a rappelé que celle-ci est exercée sous le contrôle des procureurs ou des juges, et que la loi du 22 avril 2024 a renforcé les droits des personnes concernées. Elle a indiqué que la suppression du délai de carence de deux heures garantissait la présence de l’avocat dès la première audition sur les faits. Elle a aussi mentionné l’élargissement du droit de prévenir un tiers, quelle que soit sa qualité.

La délégation a déclaré qu’en cas de retard injustifié dans la notification des droits, la garde à vue peut être annulée et la personne libérée, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation. Elle a précisé que les circonstances insurmontables, comme lors de certaines manifestations, peuvent temporairement justifier un retard, comme reconnu par une décision de février 2024. Elle a ajouté que les prolongations de garde à vue sont strictement encadrées, allant jusqu’à 96 ou 144 heures en matière de terrorisme, sous contrôle du juge.

La délégation a affirmé qu’il n’existe pas d’arrestation préventive en droit français. Elle a précisé que toute interpellation repose sur des soupçons plausibles d’infraction punie d’emprisonnement, décidée par un officier de police judiciaire et sous l’autorité du procureur.

S’agissant des conditions de détention, la délégation a déclaré que le respect de la dignité humaine est une priorité constante. Elle a précisé que la modernisation des centres de détention est en cours grâce aux crédits du plan France Relance et à l’évolution des normes internes. Elle a aussi indiqué que les cellules doivent respecter une surface minimale de sept mètres carrés et que les responsables locaux assurent le suivi des conditions matérielles.

La délégation a reconnu certains axes d’amélioration. Elle a noté que des couvertures à usage unique ont été introduites grâce à un nouveau marché public en 2018. Concernant l’eau et le papier hygiénique, elle a précisé qu’ils sont distribués à la demande, pour des raisons de sécurité.

Elle a affirmé que tout manquement est suivi par la hiérarchie et par les instances de contrôle externes, dont le Défenseur des droits et le Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Elle a ajouté que des budgets conséquents sont mobilisés : plus d’1,4 million d’euros pour les couvertures à usage unique en 2024, et 52 000 euros pour les kits d’hygiène.

S’agissant de la formation des forces de l’ordre, la délégation a déclaré que la formation est dense, mêlant théorie et pratique. La formation insiste sur l’importance du respect de la dignité humaine, du discernement, de la proportionnalité et du cadre légal. La délégation a aussi indiqué que les gendarmes doivent repasser chaque année un certificat d’aptitude à l’usage des armes, incluant des rappels juridiques. Elle a également évoqué les retours d’expérience et la collaboration avec des psychologues du travail, en lien avec l’Académie de police de Savatan (Suisse), pour améliorer la gestion des interventions.

La délégation a mentionné des partenariats avec des associations comme SOS Homophobie ou la LICRA, dont les représentants interviennent directement dans les centres de formation pour former les gendarmes à l’écoute des victimes.

La délégation a indiqué que l’École nationale de l’administration pénitentiaire assurait une formation initiale solide sur le droit des droits de l’homme, le cadre légal de l’usage de la force et la déontologie. Elle a mentionné l’expérimentation de casques de réalité virtuelle pour la prévention des violences, et le développement de la « sécurité dynamique », notion reposant sur la relation positive avec les détenus et la communication non violente.

La délégation a par ailleurs indiqué que les problématiques de torture et de traumatisme sont centrales dans l’instruction des demandes d’asile. Elle a précisé que 450 officiers de protection instructeurs sont formés au Protocole d’Istanbul et aux techniques d’entretien adaptées aux victimes.

La délégation a indiqué que le menottage n’est pas systématique mais décidé au cas par cas selon l’appréciation du danger ou du risque de fuite, conformément au Code de procédure pénale. Elle a souligné que cette décision repose sur le discernement des agents, acquis par la formation initiale et continue, et compte tenu des principes de proportionnalité et de respect de la dignité. Certaines techniques sont interdites, comme l’étranglement et l’appui sur la nuque ou la cage thoracique lors d’un menottage ventral.

La délégation a déclaré que l’usage du gaz lacrymogène en milieu clos ou contraint (comme les stades) était déconseillé dans la doctrine de formation de la police et de la gendarmerie, en raison des risques de mouvements de foule. Toutefois, son emploi reste possible en fonction de la situation.

Concernant les pistolets à impulsion électrique, la délégation a précisé que leur usage est interdit en maintien de l’ordre et que des règles précises encadrent aussi les autres armes de force intermédiaire (lanceurs de balles, canons à eau). Elle a ajouté que les munitions explosives à effet de souffle, comme les grenades offensives, ont été abandonnées au profit de grenades à effet sonore, qui désorientent sans impact physique.

Sur les contrôles d’identité et les fouilles, la délégation a déclaré qu’ils ne peuvent avoir lieu que sur la base d’une présomption d’infraction ou sur réquisition judiciaire, et qu’ils sont strictement encadrés par la hiérarchie et, le cas échéant, par le juge.

La délégation a déclaré que les Inspections générales de la police et de la gendarmerie, toutes deux dirigées par un magistrat, exercent un contrôle sur les forces de sécurité intérieure. Les agents sont formés au cadre juridique ; l’usage des armes reste un dernier recours strictement encadré par la loi, sur la base notamment des principes d’absolue nécessité et de proportionnalité. La délégation a reconnu une hausse des tirs en 2017 dans un contexte de menace terroriste, mais a indiqué que ces chiffres sont en baisse continue depuis.

La délégation a ensuite précisé que toute enquête liée à un tir donne lieu à la saisie de l’ensemble des images disponibles, à des appels à témoins et à des investigations qui, a-t-elle souligné, ont été reconnues comme indépendantes et exhaustives par la Cour européenne des droits de l’homme. Elle a rappelé que les forces de l’ordre sont très contrôlées en France, notamment par les inspections, la hiérarchie, les magistrats, le Défenseur des droits et la société civile.

La délégation a précisé qu’en 2022, 250 personnes ont été condamnées pour violences par personne dépositaire de l’autorité publique, dont 35 % à de la prison ferme.

La délégation a déclaré que les contrôles d’identité discriminatoires, dits « au faciès », sont interdits et sanctionnés en France. Elle a rappelé l’existence de plusieurs dispositifs : port obligatoire du numéro d’identification par les agents, déploiement de 30 000 caméras-piétons, plateformes de signalement auprès du Défenseur des droits et des Inspections générales. Elle a précisé que les signalements liés à des contrôles jugés discriminatoires était très peu nombreux et qu’aucun élément ne permettait de conclure à une pratique généralisée.

Concernant Calais et Dunkerque, la délégation a rappelé que les opérations visent à mettre fin à des conditions de vie précaires et à orienter les personnes vers des dispositifs d’hébergement et des procédures légales. Elle a affirmé que ces actions sont encadrées par les règles déontologiques et menées en lien avec les associations, dont la présence est autorisée lors des interventions.

La délégation a indiqué que des formations spécifiques sont dispensées aux éducateurs et surveillants intervenant auprès des mineurs détenus, afin de prévenir le recours excessif à la force. Elle a précisé qu’un référentiel national de labellisation des établissements pour mineurs est en cours d’élaboration pour harmoniser les pratiques et garantir la qualité de la prise en charge.

S’agissant des établissements pénitentiaires, la délégation a rappelé que, depuis juillet 2024, tous les agents prêtent serment et doivent respecter un code de déontologie qui interdit toute forme de violence ou d’intimidation à l’égard des détenus. Elle a rappelé que le recours à la force est strictement encadré, limité aux cas de légitime défense ou d’évasion, et qu’il doit rester exceptionnel. Tout manquement est signalé au procureur. En 2024, plus de 250 sanctions disciplinaires ont été prononcées.

Concernant les Centres de rétention administrative (CRA), la délégation a affirmé que les droits fondamentaux des personnes retenues y sont garantis et que la rétention est encadrée par le juge. Elle a indiqué que certains centres, notamment à Lyon et Metz, accueillent une proportion importante de personnes sortant de prison, ce qui peut expliquer une hausse des incidents. Elle a précisé que l’usage de la force y est strictement réglementé, que toutes les interventions sont filmées et que le pistolet à impulsion électrique n’a été utilisé qu’exceptionnellement, notamment pour prévenir des actes d’automutilation.

La délégation a qualifié les violences survenues en Nouvelle-Calédonie au printemps 2024 d’événements d’une gravité exceptionnelle, rappelant qu’il y avait eu 14 morts, dont deux gendarmes, et plusieurs centaines de blessés. Elle a précisé que plus de 2200 gardes à vue ont été décidées, dont 215 placements en détention et 146 condamnations à de la prison ferme. Elle a contesté l’usage des termes « exécution » ou « déportation » par le corapporteur du Comité, et affirmé que le dialogue politique se poursuivait avec les parties prenantes locales.

S’agissant de la loi « pour contrôler l’immigration et assurer l’intégration » de 2024, la délégation a indiqué que celle-ci avait été débattue et adoptée par le Parlement puis validée par le Conseil constitutionnel. Elle a précisé que le passage à un juge unique à la Cour nationale du droit d’asile ne porte pas atteinte aux droits de la défense. La délégation a rappelé que le régime spécifique à Mayotte était temporaire et fondé sur la Constitution. Elle a souligné que la loi vise à lutter contre les migrations irrégulières tout en respectant les principes du droit d’asile.

La délégation a aussi affirmé que le principe de non-refoulement était strictement respecté dans les procédures d’extradition, y compris s’agissant des personnes protégées au titre de l’asile, et ce à toutes les étapes. En cas de doute, des garanties sont exigées de l’État requérant : l’extradition est refusée si le risque de torture subsiste.

La délégation a par ailleurs décrit les six axes d’action contre la surpopulation carcérale, soit des réformes pénales, la construction de prisons, l’optimisation des places disponibles, le développement des peines alternatives, la coopération européenne et le recours judiciaire préventif mis en place en 2021 pour garantir la dignité en détention.

La délégation a présenté l’état d’avancement d’un plan visant à créer plus de 15000 places de prison d’ici 2027, avec des structures orientées vers la réinsertion. Elle a souligné les difficultés spécifiques de l’Outre-mer, avec une densité moyenne de 144,5 % et des établissements vétustes. Des rénovations ont été engagées, notamment en Polynésie, Nouvelle-Calédonie et Mayotte.

Concernant l’isolement des mineurs, elle a rappelé que ces mesures sont strictement encadrées et n’interrompent ni la scolarité ni les visites familiales ou éducatives. Sur le suicide en détention, elle a signalé une baisse du taux en 2024 (18 pour 10 000 détenus) malgré une tendance à la hausse les années précédentes.

S’agissant de la protection des enfants, la délégation a évoqué une loi de 2024 qui facilite le retrait de l’autorité parentale en cas de violences sexuelles, et des lois antérieures instaurant un âge minimal de consentement (15 ans, ou 18 en cas d’inceste).

La délégation a rappelé que la France applique la compétence universelle en matière de torture, conformément à son Code pénal, et que cette compétence peut être activée même sans lien avec le territoire national. En matière de mandats d’arrêt internationaux, la France réitère son soutien à la Cour pénale internationale tout en rappelant que les juridictions nationales sont compétentes pour statuer sur les éventuelles immunités.

La délégation a confirmé la formation systématique des militaires au droit international humanitaire, avec un manuel de 2023 et des modules sur la prévention de la torture et des violences sexuelles. Elle a précisé qu’en cas de faits dénoncés, des enquêtes de commandement et judiciaires sont systématiques.

En matière de commerce, la France applique strictement le règlement européen sur les biens pouvant servir à la torture ou à la peine capitale, ainsi que les régimes de sanctions de l’ONU et de l’Union européenne.

La délégation a précisé que le transfèrement de certains détenus de Nouvelle-Calédonie vers la métropole répond tant à des nécessités judiciaires qu’à la dégradation des infrastructures pénitentiaires.

Concernant les mesures antiterroristes, la délégation a insisté sur le rôle de contrôle du juge et la transmission régulière d’informations au Parlement.

 

 

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