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Dîner-débat, Rotary Club de Rueil-Malmaison

Michael Møller

9 octobre 2015
Dîner-débat, Rotary Club de Rueil-Malmaison

Allocution de M. Michael Møller
Secrétaire général adjoint des Nations Unies
Directeur général de l’Office des Nations Unies à Genève

Dîner-débat, Rotary Club de Rueil-Malmaison
Discours « La paix est-elle possible dans le monde? »

Vendredi, 9 Octobre 2015, 20.00h
Restaurant du Sénat, 15 bis, rue de Vaugirard, 75006 Paris



Excellences,
Mesdames et Messieurs:

Je suis très honoré de votre invitation à ce diner-débat dédié à la question ‹‹ La paix est-elle possible dans le monde? ››.

[Les Nations Unies et la paix]

L’Organisation des Nations Unies a été créée avec la conviction que la paix est indispensable. Comme le dit la Charte des Nations Unies de 1945, la motivation de « préserver les générations futures du fléau de la guerre qui deux fois en l'espace d'une vie humaine a infligé à l'humanité d'indicibles souffrances » est la raison d’être de cet organisme.

Aujourd’hui, 70 ans après la création des Nations Unies, de nombreuses recherches [telle que le Uppsala Conflict Data Program] concluent que le nombre de conflits armés a diminué substantiellement depuis la fin de la Guerre Froide. Ceci dit, selon ces même sources, depuis la fin de la Guerre Froide il n’y a jamais eu autant de conflits armés sur une période d’une année qu’en 2014 : 40 conflits armés en cette seule année [définition d’un conflit armé : 25 morts liés aux combats]. Il reste néanmoins clair que le nombre des victimes de guerres d’aujourd’hui est relativement bas si on le compare avec des guerres du dernier siècle.

Permettez-moi aussi de mentionner quelques chiffres intéressants d’une étude qui examine le contexte des morts violentes, selon laquelle, parmi les 18 pays touchés par cette violence [ceux qui affichent un nombre moyen de morts violentes supérieur à 30 pour 100'000 habitants sur la période étudiée], un tiers seulement a été causé par des conflits armés. Dans le classement des pays les plus violents pour 2012 par exemple, le Honduras et le Venezuela devancent tous les pays en guerre à l’exception de la Syrie. Au niveau mondial, parmi les 508,000 morts violentes annuelles entre 2007 et 2012 seulement 70,000 – ou 14% - était directement causées par des conflits armés. Les morts violentes se concentrent donc dans des pays hors des zones de conflit. Je vais m’arrêter là avec les statistiques bien qu’il serait intéressant d’étudier la corrélation entre le degré du développement politico, socio-économique d’un pays et le nombre de morts violentes.

Que peut-on déduire de ces chiffres et statistiques? Tout d’abord, on peut constater que l’ONU contribue significativement à une diminution des conflits armés et au nombre relativement bas de victimes de ce type de conflit. À l'heure actuelle, 125.000 femmes et hommes sont en service actif dans 16 missions de maintien de la paix de l’ONU sur quatre continents avec pour mission de protéger la population locale. Pour rappel à la fin de la Guerre Froide on comptait seulement 10 missions de maintien de la paix de l’ONU.

Ces opérations de maintien de la paix ne sont pas quelque chose que l'ONU fait, mais ce que l'ONU est, c’est au cœur même de l’organisation. Même avec des moyens limités, il est certain que le nombre de morts violentes augmenterait significativement sans les casques bleus. Je reviendrai plus tard sur les défis de ces opérations onusiennes.

[Nouvelles caractéristiques des conflits]
Quelles sont les raisons et les situations qui sont à la base de ces réalités?

La nature des conflits a évolué. Nous faisons face à une combinaison complexe des conflits qui dépassent les dimensions nationales et internationales. Aux conflits armés traditionnels s’ajoutent des éléments mafieux, terroristes et d'idéologie extrémiste, ignorant les frontières étatiques et qui sont souvent reliés à des activités et objectifs criminels. Des groupes violents avec des idéologies radicales affaiblissent les valeurs universelles de paix, de justice et de dignité humaine. La paix sociale est donc de plus en plus menacée.

Nous voyons aussi des guerres informatiques, ou cyber-guerres, qui font secouer des institutions importantes et dépassent les mécanismes de défense traditionnels. Les médias sociaux, qui ont démontré leur utilité pour promouvoir la gouvernance participative, peuvent aussi fomenter des conflits et répandre la haine et la division. Avec 7 milliard d’abonnements à la téléphonie mobile, de plus en plus d’individus ont accès à ces médias – pour le bien et pour le mal. Ces abonnés mais aussi la population mondiale en général ont un degré d’éducation scolaire de plus en plus important. Par le biais de la technologie – entre autres par le biais des smart phones et internet – ces citoyens auront plus facilement accès aux informations et tendance à s’impliquer dans la vie politique par d’autres biais que les moyens traditionnels. Comment ces voix seront-elles prises en compte par les preneurs de décisions? Quelles seront les conséquences si elles ne sont pas prises en considération ?

A ceci s’ajoutent des nouvelles raisons de conflits: par exemple les épidémies, la détérioration de la qualité et de la quantité de l’eau, le changement climatique, la pollution, les catastrophes naturelles ou autres créent des nouveaux conflits ou attisent ceux qui existent déjà. Une nouvelle sorte de conflits se dessine de plus en plus : des conflits dus au manque de ressources de base comme l’eau – qui seront des conflits très violent de survie.

En 2050, 75 % de la population globale vivra dans des villes. Plus de personnes seront concentrées dans moins d’espace. Ce flux de la migration vers les centres, nous obligera à reconsidérer notre mode de vie, la manière d’organiser nos sociétés et de notre économie. Des nouveaux défis liés entre autre à l’environnement, à la santé et à la mobilité seront à l’ordre du jour.

La catégorisation dichotomique traditionnelle des conflits armés, inter et intra-étatiques, ne rend plus compte de cette réalité interconnectée et très complexe. De plus, des facteurs internes et externes ne sont plus facilement séparables, s’interposent et s’ajoutent à la complexité des conflits. La question de la paix n’est plus limitée aux seules situations de conflits armés, mais aux situations de conflits tout court.

Même si nous avons une meilleure compréhension intellectuelle des liens complexes et interconnectés, nos structures institutionnelles et outils opérationnels ne répondent pas suffisamment aux défis actuels. Nos outils et structures datent de la période de la création de l’ONU – donc de 1945 – et ne sont pas suffisamment adaptés à la complexité du 21ème siècle.

[Nouvelles stratégies]

La crédibilité des autorités nationales est un élément essentiel. Les nations souveraines sont toujours la base de l’ordre international et des Nations Unies en particulier. Mais dans le contexte de la fragmentation actuelle, soutenir et coopérer uniquement avec les autorités centrales n’est pas la solution idéale. Il faut poursuivre des nouvelles approches et passer par un renforcement des autorités locales. Un nouvel équilibre de force, de relation et de partenariat entre le gouvernement central et les autorités locales est nécessaire.
Ainsi qu’entre ces autorités et la société civile.

La paix sociale – qui a souvent été négligée par la communauté internationale - sera clé à l’avenir. Le manque de cette paix sociale est la cause principale du plus grand nombre de morts violentes. Il nous faut une nouvelle approche qui prend en considération la complexité de tous les aspects de la paix sociale pour éviter qu’elle ne dégénère pas en conflit armé ou non-armé. Les éléments qui touchent les fondements économiques et sociaux d’une société, la gouvernance et la justice d’un Etat sont cruciaux.

L’aide au développement doit être mieux ciblé sur ces dimensions, y compris les dimensions du développement durable. Les effets et les causes d’une paix sociale imparfaite sont entre autre la pauvreté et l’inégalité qui renforcent le sentiment d’injustice.

Je mettrais aussi les effets du changement climatique clairement dans cette liste. Si la communauté internationale n’arrive pas à se mettre d’accord dans deux mois ici à Paris, la continuation du réchauffement de la terre va entrainer nous seulement un accroissement du nombre de catastrophes, mais va également renforcer un bon nombre d’autre effets négatifs comme, par exemple l’amplification des flux migratoires.

Ceci m’amène à l’importance de la prévention que nous avons négligé trop longtemps. Or on sait qu’avec un investissement relativement mineur dans la prévention des gains importants peuvent être réalisés à long terme. Il faut donc que l’aide au développement soit mieux ciblée pour mieux prévenir les causes de conflits et des désastres humanitaires.

Dans des situations de post-conflit nous devons être très vigilants pour prévenir les rechutes en conflit. Selon une étude de la Banque Mondiale, les sept premières années après la fin d’un conflit sont déterminantes pour l’avenir d’un pays. La triste situation au Soudan du Sud en est une preuve supplémentaire démontrant qu’on ne paie toujours pas assez d’attention à cette période déterminante pour prévenir des nouveaux conflits.

Le Programme de développement durable à l’horizon 2030 et les objectifs du développement durable adoptés par l’Assemblée Générale de l’ONU il y a deux semaines, prennent en considération tous ces éléments. Ils proposent une approche inclusive comprenant les objectifs du combat contre la pauvreté, pour l’éducation ainsi que la paix sociale et la paix en général. Le défi pour la mise en œuvre de ces objectifs est certes gigantesque, mais réalisable. Pour cela, il est indispensable que les Etats Membres s’emparent de ces objectifs et s’engagent pour leur mise en œuvre. Des chiffres récents de la Banque mondiale encouragent mon optimisme: selon la Banque le nombre de personnes vivant dans la pauvreté extrême est passé de 12,8% en 2012 à 9,6% en 2015. Si on arrive à ajuster les structures et les fonctionnements de nos institutions aux réalités du 21ème siècle je suis convaincu que les objectifs du développement durable seront réalisables.

Quand je parle de nos instruments qu’il faut adapter aux réalités actuelles, je ne me limite pas aux Organisations Internationales. Je parle aussi du système national. Après tout, la gouvernance et les structures des Organisations Internationales reflètent les systèmes nationaux : trop souvent les systèmes nationaux sont organisés dans des ministères techniques qui se coordonnent mal entre eux. Le système international fonctionne par la même logique sous-optimale. Des exemples récents démontrent qu’au niveau national et international la coopération transversale ne fonctionne souvent pas, même si une telle collaboration est absolument nécessaire vu la complexité de l’interconnexion des problèmes. Rappelons-nous de la crise d’Ebola, initialement considérée comme une crise de santé. Assez rapidement, elle est devenue une crise de nourriture, de sécurité et de gouvernance au niveau national aussi bien qu’au niveau international. Il faudra trouver des nouvelles formules de coopération sur tous les niveaux.

Les États membres ne seront plus les seuls acteurs décisifs du futur Il y aura une multitude d’acteurs. Globalement, vue la nouvelle inter-connectivité des domaines il nous faut une nouvelle génération de partenariats multipartites qui nous permettrait de dépasser la « consultation » superficielle des partenaires non-étatiques pour les inclure directement autour de la table décisionnelle.

Pour mieux répondre aux défis et nouvelles situations de conflits, il faudrait aussi adapter les structures, la gouvernance et le fonctionnement des Nations Unies. Avant tout il faudrait réformer le Conseil de Sécurité de l’ONU.

De plus, les Etats membres doivent mettre à disposition des ressources adéquates, au niveau technologique, humaines et financières. A l’heure actuelle souvent l’ONU n’a pas les ressources nécessaires pour remplir les mandats qu’il lui sont donner.

[Conclusion]

Passer d’une situation de conflit et de violence à une situation de paix et de réconciliation est possible.

La paix et la paix sociale sont possibles, nous devons continuer à y travailler et nous donner les moyens pour le faire.

Nous avons tous les outils, mais il faudra les adaptés aux défis actuels pour mieux s’en servir. Nous devons voir la paix et la sécurité, le développement et les programmes des droits humains comme interdépendants. Pour ce faire nous devons briser les silos – dans le fonctionnement et la partition des tâches au sein des Nations Unies aussi bien qu’au sein des gouvernements nationaux. Une responsabilité importante incombe aux parlements nationaux de pousser leurs gouvernements à renforcer la coopération et les échanges au niveau national comme internationale. C’est la convergence des forces, des ressources et des différents processus nationaux et multilatéraux qui fera la différence. Avec l’adoption des objectifs du développement durable, l’accord sur le climat qui sera espérons le adopté et d’autres processus internationaux récents ou à venir, le moment de la convergence n’a jamais était si réel. Il faut la saisir!!

Puis, il faut inclure les acteurs non-étatiques d’une manière sérieuse et respectueuse dans les processus d’élaboration, de prise de décision et de mise en œuvre des décisions importantes. Le système westphalien avec l’État comme acteur unique dans la coopération internationale n’arrive plus à répondre à nos défis actuels.

Donc la réponse à la question si la paix est possible dans le monde est oui. Mais pour y arriver il faut repenser la définition même de la paix et la comprendre comme un état sécuritaire, économique et social optimal. Et surtout nous donner à tous les niveaux [sociétal] les moyens et outils politiques et financiers qui permettront d’agir en conséquence de cette compréhension plus large et intégrée de ce qu’est la paix. C’est une responsabilité qui nous incombe à tous!

Je vous remercie pour votre attention et je me réjouis de notre discussion.

This speech is part of a curated selection from various official events and is posted as prepared.