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Entretien avec Michael Møller, Directeur général par intérim de l'ONUG

Michael Møller

 

"Tout ce qui se fait ici, à Genève, a un impact direct sur chaque personne sur cette planète, dans n'importe quelle période de 24 heures" - Michael Møller



Entretien avec Michael Møller, Directeur général par intérim de l'Office des Nations Unies à Genève (ONUG)

Michael Møller dirige l'Office des Nations Unies à Genève (ONUG) depuis novembre 2013. Dans cet entretien, il nous parle de ses priorités pour l'ONU à Genève, des principes qui guident son action, de sa relation à Genève et de la Genève internationale.

Michael Møller est à la tête de l'Office des Nations Unies à Genève (ONUG) depuis novembre 2013. Ce Danois apporte à ce poste sa grande expérience du système des Nations Unies et de la gouvernance mondiale. C'est d'ailleurs à Genève qu'il a commencé sa carrière il y a plus de 30 ans, avec le HCR. Depuis, il a occupé différents postes à responsabilités sur le terrain, à Genève et à New-York.

Sur tous les fronts - restauration du Palais des Nations, Conférence du désarmement, perception de la Genève internationale, collaboration avec les différentes institutions basées à Genève - le mot intérim ne lui fait pas peur et n'influence pas sa manière de travailler.

Il nous reçoit dans son bureau du Palais des Nations et nous parle, dans un français parfait, des principes qui guident son action, de sa relation à Genève, de ses priorités et de la Genève internationale.


Quelle est votre relation à Genève?

J'ai une relation de longue date avec Genève. C'est ici, en 1979, que j'ai commencé ma carrière onusienne, au HCR. C'était un 14 mars! C'est aujourd'hui la quatrième fois que j'habite à Genève, une ville que j'aime beaucoup. Je m'y sens très à l'aise, chez moi. J'ai donc une relation chaleureuse à Genève et j'y ai beaucoup d'amis.

Quels principes guident votre action?

Ayant fait presque toute ma carrière, toute ma vie, au sein de l'ONU, en occupant différentes positions à la fois sur le terrain, à Genève et à New York, je suis empreint des principes des Nations Unies. Le virus onusien est donc bien ancré en moi! Cela influence la manière dont je pense, dont je travaille et dont j'aborde les gens. C'est une approche multiculturelle, multinationale, d'ouverture envers toutes les cultures, toutes les couleurs. Une certaine vision de humanité, si vous voulez. C'est fondamental aussi bien pour moi que pour le travail que nous réalisons ici. C'est une manière d'être qui gère également ma façon d'interagir au niveau personnel, avec mes collègues et les personnes qui m'entourent.

Parlez-nous de votre poste de Directeur général de l'ONUG par intérim. Quel est votre rôle?

Le Secrétaire Général de l'ONU m'a demandé de prendre les rennes de l'ONUG suite au départ de mon prédécesseur, Monsieur Tokayev, qui a été appelé à reprendre des fonctions importantes dans son pays.

En premier lieu, il s'agissait donc avant tout de s'assurer qu'il y ait quelqu'un qui «gère la boutique» dans l'attente d'une nomination. Le processus politique visant à identifier une personne permanente pour le poste de Directeur général peut prendre un temps considérable. On vient d'ailleurs de me demander de rester jusqu'en novembre. Donc, au lieu des trois à six mois initialement prévus, cela fera un an.

Ceci dit, le fait que j'occupe ce poste par intérim ne change pas la manière dont je travaille. Je travaille et j'ai toujours travaillé d'une telle façon que quand on me donne un poste, je fonce ! D'ailleurs, quand je suis arrivé, j'ai dit à mes collègues et collaborateurs qu'étant donné que l'on ne connaissait pas la durée de cet intérim, et que c'est un terme qui peut être très élastique dans le contexte des Nations Unies, ils devaient travailler et penser comme si j'allais être ici durant les prochaines 20 années! Et c'est comme cela que nous travaillons pour faire marcher la « machine » onusienne à Genève.

Avez-vous défini un certain nombre de priorités?

J'ai trois priorités. La première, qui m'a été donnée, est la restauration du Palais des Nations. C'est un très gros morceau qui va durer dix ans et va coûter beaucoup d'argent. Ce bâtiment fait partie du patrimoine historique de la Suisse, de Genève et du monde, et il y a donc un lien à faire entre la Ville de Genève, le canton, la Suisse et la communauté internationale. Il est très important pour moi de faire un bon travail et de faire en sorte que ce bâtiment, qui est le symbole physique de la Genève internationale, reste un joyau historique et continue d'être un lieu où les pays membres peuvent travailler le plus efficacement possible.

Il se peut également qu'il faille construire un nouveau bâtiment et je suis déterminé à doter l'ONU et la Genève internationale d'une construction aussi parfaite, verte, symbolique et opérationnelle que possible. Il n'est pas toujours évident de réaliser cela avec les ressources que nous recevons de nos pays membres. Nous sommes dans une période difficile en matière de financement, et c'est donc souvent une approche minimaliste qui prime. Je vais voir si j'arrive à lever d'autres fonds pour pouvoir réaliser un travail aussi satisfaisant que possible.

Ma deuxième priorité est de changer la perception de la Genève internationale. Lorsque je parle de la Genève internationale, c'est au sens large: l'ONUG, la famille onusienne ainsi que les autres organisations internationales basées ici, les institutions académiques, les ONG, les pays membres, le pays hôte - avec ses trois niveaux: la Ville de Genève, le canton et la Confédération.

Aujourd'hui, la Genève internationale est perçue, dans le grand public ici, à Genève, mais également à travers le monde, dans les capitales et même chez mes collègues de New York, comme une ville très chère, où se tiennent beaucoup de réunions. Ça s'arrête un peu près là. Les gens oublient la substance, nos mandats, tous les gens que nous aidons de par le monde, et je crois que cela est très dangereux, surtout dans un contexte de financements restreints.

Si les décisions prises par les gouvernements mais aussi par mes collègues, visant à faire des économies et à être plus efficaces se situent dans un cadre trop étroit et se fondent uniquement sur des considérations financières, on se tire une balle dans le pied. Il faut absolument que ces décisions prennent en considération cette substance qui est extraordinaire à Genève. Il y a une richesse d'activités, ici, qui est méconnue. Nous ne parvenons pas très bien, en tant qu'organisation, à nous « vendre » et n'y sommes jamais parvenus. Donc il nous faut de l'aide professionnelle et je me suis doté de cette aide à travers une entreprise d'analyse des médias basée à Zurich, pour trouver des manières innovatrices de présenter cette substance et de faire comprendre de manière beaucoup plus simple ce que nous faisons.

Nous n'avons, par exemple, jamais pu expliquer le lien direct entre ce que nous faisons et la vie d'un individu. Or, tout ce qui se fait ici, à Genève, a un impact direct sur chaque personne sur cette planète, dans n'importe quelle période de 24 heures. La plupart des gens ne le savent pas, ou l'ont oublié, et il faut que cela change.

Ce que j'aimerais voir, dans un an ou deux, c'est que si vous arrêtez la première personne venue dans la rue et lui demandez ce que l'ONU veut dire dans sa vie, vous obtenez une réponse. Aujourd'hui, vous n'en aurez pas. L'objectif est également que dans quelques années, si vous interrogez n'importe quel officiel, dans quelque ministère que ce soit, et dans quelque pays que ce soit, il vous dira que Genève est peut-être effectivement un peu plus chère, mais que cela en vaut largement la peine.

La présence d'autant d'acteurs à Genève représente bien plus que leur somme. Il y a un renforcement par le biais de cette masse critique et de cette richesse d'activités qui se déroulent à Genève. C'est très important et c'est une des raisons pour lesquelles tout le monde est ici. C'est parce que tous les autres sont là. Vous parlez par exemple à GAVI ou au Fonds Mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme: ils pourraient très bien être ailleurs mais ils sont ici parce qu'il y a l'OMS et toutes les ONG avec lesquelles ils travaillent sur les questions de santé. Et c'est vrai pour l'humanitaire, pour la technologie et pour plein d'autres secteurs.

Ma troisième priorité est la Conférence du désarmement, qui n'a pas progressé depuis 18 ans, ce qui, pour moi, est scandaleux. On ne peut pas se permettre de ne pas bouger sur un thème qui est aussi important pour toute l'humanité. Il faut absolument que l'on pousse nos pays membres à se remettre en selle et à commencer à travailler de manière sérieuse sur ces questions.

Il y a bien entendu d'autres développements. Nous sommes dans une phase intéressante où l'ONU met en place de nouvelles manières de travailler, notamment avec l'utilisation de nouvelles technologies. Cela va avoir un impact sur le personnel, sur la manière dont nous concevons et faisons notre travail, et tout cela doit être manié de manière préventive et à long terme pour habituer tout le monde à penser et travailler différemment et à s'adapter. C'est ma quatrième priorité.

Par rapport à votre première priorité, la restauration du Palais, sera-t-il aisé, à votre avis, d'obtenir des financements extérieurs?

Les pays membres ont décidé que la rénovation est nécessaire et doit intervenir dans un futur proche. C'est-à-dire qu'ils ont accepté le fait qu'ils devront payer et cela sera inclus dans le budget régulier de l'ONU. C'est le principe de base. Dans la même résolution, par laquelle ils ont donné leur accord d'aller de l'avant avec la rénovation du Palais, ils ont aussi demandé que nous allions trouver des financements alternatifs pour alléger la note finale qui va être présentée aux pays membres.

Il y a plusieurs manières de le faire. La première, et nous avons déjà commencé à le faire, c'est de demander individuellement aux pays membres de prendre en charge des projets spécifiques. Cela rencontre un certain succès. Un pays s'engage par exemple à rénover une salle. La Salle XX qui abrite le Conseil des droits de l'homme a d'ailleurs été rénovée il y a quelques années par l'Espagne, dans le cadre d'un partenariat public-privé. Nous encourageons nos autres pays membres à faire de même et nous avons déjà un certain nombre de pays qui sont intéressés. Cela représente déjà des dizaines de millions de francs épargnés et ça va continuer. Il viendra un moment, j'espère, où nous n'aurons plus de salles à rénover, mais je veux également restaurer les différentes villas du parc qui ne figurent pas dans le budget actuel du plan stratégique patrimonial. On pourrait les utiliser pour des réunions, pour des négociations, par exemple. Les négociations sur la Syrie auraient pu ainsi s'y dérouler. Il faut donc également trouver de l'argent pour cela.

Parallèlement, comme je l'ai souligné, le Palais des Nations fait partie du patrimoine historique de la Suisse et de Genève. C'est le symbole physique de la Genève internationale et il y a donc, selon moi, une responsabilité chez nos amis suisses et genevois de nous aider à maintenir ce patrimoine. D'autre part, le monde des affaires bénéficie grandement de la stature internationale de Genève, et la raison pour laquelle Genève est internationale c'est parce qu'on est là. Par conséquent, ce serait une bonne décision d'affaire d'investir dans la rénovation du Palais et de s'assurer que Genève reste internationale. Nous sommes donc en train, avec l'aide de Genevois, de créer une association de soutien au Palais des Nations qui va nous aider à lever des fonds, à Genève et en Suisse, auprès de particuliers et du monde des affaires: multinationales, banques, hôtels, tous ceux qui bénéficient de la présence de l'ONU à Genève et qui s'engagent pour maintenir le caractère international de cette ville.

Les gouvernements fédéraux, cantonaux et de la Ville de Genève fournissent d'ailleurs un soutien extraordinaire et très important pour nous. Je ne crois pas qu'il y ait un autre endroit au monde où l'ONU bénéficie de ce genre d'appui, qui est très apprécié. Le gouvernement fédéral a décidé de nous fournir un prêt à intérêt préférentiel couvrant le 50% du coût de rénovation du Palais et cela nous aide beaucoup et nous permet de planifier le travail. La Confédération nous a déjà donné 50 millions pour refaire une grande partie des fenêtres du Palais.

Y a-t-il un évènement ou une rencontre qui vous a particulièrement marqué depuis votre entrée en fonction?

J'étais entré en fonction depuis seulement quelques jours lorsque nous avons eu les pourparlers sur le nucléaire iranien, avec un résultat très positif. J'étais ici, au Palais, à trois heures et demi du matin, pour l'annonce des parties. C'était un événement assez extraordinaire qui a vraiment marqué le retour en bonne et due forme de Genève comme plateforme de la diplomatie multilatérale. C'était pour moi un événement, avec les négociations sur la Syrie, qui a poussé cette volonté de travailler sur le "rebranding" de la Genève internationale dont j'a parlé. Ces deux événements étaient une très bonne façon pour moi de commencer ici.

Quelle place occupe Genève, selon vous, dans la gouvernance mondiale?

Je crois qu'elle occupe une place très importante. Je prenais par exemple le petit-déjeuner avec le Ministre des affaires étrangères iranien durant les pourparlers sur le nucléaire iranien et lui ai demandé pourquoi avoir choisi Genève. Il m'a dit qu'ils avaient pensé à plusieurs autres endroits mais que Genève s'est en quelque sorte donnée elle-même parce que c'est une ville avec une identité bien établie, une ville de paix, une ville sans autres agendas qui pourraient interférer avec les négociations. Sa sérénité et sa réputation sont telles qu'elle est considérée par beaucoup comme un endroit naturel pour y tenir ce genre de négociations.

Si vous allez par exemple en dehors de l'Europe et parlez de Genève, beaucoup de monde croit que c'est la capitale de la Suisse, ou la capitale de quelque chose. Le mot Genève a une résonnance et une importance dans la tête des gens, partout dans le monde, comme un endroit où des choses internationales se déroulent, et cela remonte à très loin. Cela a commencé avec la fondation de la Croix-Rouge il y a 150 ans et c'est un atout qu'il faut absolument protéger, car il n'y a pas vraiment d'autres villes qui ont cela. Genève est un lieu neutre, où tout le monde peut se retrouver et peut être sûr d'être écouté. Il y a tellement d'acteurs ici qui créent une substance au service de l'humanité que si on laisse cela s'effriter l'effet sera très négatif, et multiplicateur.

En dehors de vos trois priorités, y a-t-il d'autres défis que la Genève internationale devra relever au cours des 10 prochaines années?

Bien sûr! Je crois qu'il y a un grand défi, partagé par toutes les organisations basées ici. C'est ce gouffre entre notre compréhension intellectuelle de la complexité des problèmes et des défis auxquels on doit faire face, et de leurs solutions, et nos structures. Les structures internationales actuelles ne sont pas bien adaptées à cette compréhension de la complexité, aux problèmes et à la manière dont on doit trouver des solutions. Le défi c'est donc de refermer ce gouffre soit en restructurant le système soit, si c'est politiquement impossible, en trouvant des manières de travailler beaucoup mieux ensemble pour faire face à ces défis. C'est un défi pour tout le monde: l'ONU, les ONG, les pays membres, etc.

This speech is part of a curated selection from various official events and is posted as prepared.