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ENTRETIEN - Les nouvelles technologies peuvent être un outil efficace dans la lutte contre le terrorisme
Avant la réunion spéciale du Comité des Nations Unies pour la lutte contre le terrorisme du Conseil de sécurité, qui débute vendredi en Inde, la Présidente du Comité, l'Ambassadrice indienne Ruchira Kamboj, a expliqué à ONU Info comment certaines des technologies les plus récentes et les plus utilisées sont exploitées par les terroristes.
Au cours de la réunion de deux jours en Inde, les 28 et 29 octobre, sur le thème Utilisation des technologies nouvelles et émergentes à des fins terroristes, Mme Kamboj s'attend à ce que les États membres de l'ONU et les experts du secteur privé, du monde universitaire et de la société civile, discutent des bonnes pratiques pour « partager les informations afin de détecter et de prévenir les actes de terrorisme, de traduire les auteurs en justice et de soutenir les victimes du terrorisme ».
Cet entretien a été édité et condensé.
ONU Info : Qu'est-ce qui a déterminé le thème de cette réunion spéciale ? Existe-t-il des chiffres montrant l'utilisation accrue des nouvelles technologies par certains groupes, ou des incidents spécifiques ?
Ruchira Kamboj : L'utilisation de technologies nouvelles et émergentes à des fins terroristes est une question de plus en plus préoccupante. Les États membres sont déjà confrontés à une menace importante et croissante liée à l'exploitation d'Internet et des plateformes de médias sociaux pour faciliter un large éventail d'activités terroristes. Les terroristes profitent des espaces en ligne pour créer des réseaux, se procurer des armes et obtenir un soutien logistique et financier.
D'autres sujets de préoccupation sont l'utilisation de nouvelles méthodes de paiement - comme les cartes prépayées et les paiements mobiles, ou les actifs virtuels et les méthodes de financement en ligne comme les plateformes de crowdfunding - à des fins terroristes. Il existe également un potentiel d'utilisation des technologies émergentes, notamment les drones, l'intelligence artificielle, la robotique, la biologie synthétique, les voitures à conduite autonome et l'impression 3D, à des fins terroristes.
Nous devons nous rappeler, bien sûr, que nombre des technologies que je viens de mentionner sont également des outils et des services de communication incroyablement utiles utilisés par un grand pourcentage de la population mondiale. Le Conseil de sécurité s'est intéressé aux nouvelles technologies dans un certain nombre de résolutions antiterroristes axées sur l'application de la loi et le contrôle des frontières, la sécurité aérienne et la protection des infrastructures critiques et des cibles vulnérables.
La résolution la plus récente du Conseil en matière de lutte contre le terrorisme, la résolution 2617 de décembre 2021, fait spécifiquement référence aux technologies émergentes, prenant acte de la menace croissante que représente leur utilisation à des fins terroristes. Dans cette résolution, le Conseil note avec inquiétude l'utilisation abusive croissante, à l'échelle mondiale, des drones par des terroristes pour mener des attaques et reconnaît la nécessité de trouver un équilibre entre la promotion de l'innovation et la prévention de l'utilisation abusive à mesure que ses applications se développent.
Par conséquent, le Comité pour la lutte contre le terrorisme est déterminé à soutenir les États membres dans leurs efforts pour exploiter le vaste potentiel bénéfique des technologies nouvelles et émergentes.
De nombreuses technologies innovantes, telles que l'intelligence artificielle, l'analyse avancée, la reconnaissance faciale et les systèmes aériens sans pilote sont utilisées par les États Membres, les entités des Nations Unies, les organisations internationales et régionales, les organisations de la société civile et d'autres acteurs concernés, pour recueillir, utiliser et partager les informations nécessaires pour détecter et prévenir les actes de terrorisme, traduire les auteurs en justice et soutenir les victimes du terrorisme.
ONU Info : Quels sont les principaux résultats que la réunion compte atteindre ?
Ruchira Kamboj : La réunion spéciale sera l'occasion de discuter de la manière dont les nouvelles technologies sont actuellement exploitées à des fins terroristes, ainsi que de la manière dont la menace terroriste découlant de cette exploitation est susceptible d'évoluer et de croître à mesure que les nouvelles technologies sont développées et adoptées par toutes sortes d'utilisateurs.
Les discussions porteront en outre sur les moyens par lesquels les États et les autres acteurs concernés peuvent renforcer leur engagement et leur coopération les uns avec les autres pour contrer l'utilisation des technologies nouvelles et émergentes à des fins terroristes, y compris le financement du terrorisme.
Comme toujours, lorsque l'on examine le terrorisme et les réponses antiterroristes, les droits de l'homme et la dimension de genre sont des éléments essentiels de la conversation. Un résultat essentiel est de comprendre comment les États répondent à ces menaces en constante évolution d'une manière conforme à leurs obligations en matière de droits de l'homme, et d'encourager tous nos partenaires à veiller à ce que les droits de l'homme soient respectés alors que nous cherchons à suivre le rythme des technologies en constante évolution.
L'utilisation des technologies nouvelles et émergentes pour prévenir et contrer les activités terroristes peut être un outil très efficace et puissant si elle est employée dans le plein respect du droit international des droits de l'homme. L'objectif de la réunion est d'apprendre de l'expérience des États membres comment trouver le bon équilibre.
ONU Info : Les discussions porteront-elles également sur la manière dont d'autres secteurs, tels que les marchés financiers et les entreprises privées, peuvent prendre des mesures pour atténuer le problème ?
Ruchira Kamboj : Tout à fait. La réunion spéciale sera l'occasion pour les participants de se concentrer sur les mesures qui pourraient être prises pour développer et utiliser davantage les partenariats public-privé, explorer la sécurité en concevant de bonnes pratiques, et créer des mécanismes de surveillance, de transparence et de responsabilité. Nous souhaitons tout particulièrement que nos partenaires du secteur privé, du monde universitaire et de la société civile nous fassent part des initiatives sur lesquelles ils travaillent à cet égard.
Les acteurs du secteur privé ainsi que les États membres ont également accru l'utilisation des technologies numériques pour identifier, prévenir et stopper le financement du terrorisme par des méthodes en ligne. Lorsqu'elle est utilisée de manière responsable et conforme au droit international, la technologie peut faciliter la collecte, le traitement et l'analyse des données, et aider les acteurs à identifier et à gérer les risques de financement du terrorisme plus efficacement et plus près du temps réel.
Les pratiques de mise en commun des données et d'analyse collaborative peuvent aider les institutions financières à mieux comprendre, aider et atténuer les risques de blanchiment d'argent et de financement du terrorisme. Il existe également un certain nombre d'utilisations positives des drones pour contrer le mouvement des terroristes à travers les frontières, déjouer les opérations terroristes et sécuriser les espaces publics et les grands événements. Il existe également des technologies déployées àpour empêcher l'utilisation des systèmes d’aéronefs sans pilote (UAS) à des fins terroristes.
ONU Info : Quels sont les impacts les plus néfastes sur les civils de l'utilisation de ces nouvelles technologies, notamment en ce qui concerne les médias sociaux ?
Ruchira Kamboj : La facilité d'accès, le coût abordable et la portée presque universelle des technologies nouvelles et émergentes ont, d'une part, ouvert d'immenses possibilités à l'humanité, mais ont aussi, d'autre part, rapproché les gens dans un environnement très fermé, exposant particulièrement les utilisateurs vulnérables à des acteurs aux intentions néfastes.
Par exemple, pendant la pandémie, la présence en ligne accrue des jeunes a été exploitée par des groupes terroristes pour diffuser leur propagande et des récits déformés afin de recruter et de collecter des fonds à des fins terroristes.
Nous avons assisté à une utilisation effrénée des médias sociaux à des fins terroristes pour diffuser de la propagande terroriste. Ainsi, l'accès facile, la disponibilité, le caractère abordable et l'universalité des technologies nouvelles et émergentes ont eu un impact sur chaque section de la société.
D'autre part, l'application extensive des mesures antiterroristes a également suscité de graves préoccupations. L'expérience a montré que l'utilisation indiscriminée des technologies pour lutter contre le terrorisme peut aliéner les populations et avoir un effet négatif sur l'extrémisme violent et les efforts de lutte contre le terrorisme.
Les Nations Unies ne cessent de promouvoir une approche holistique et globale de l'ensemble de la société pour relever les nombreux défis qui se posent en matière de lutte contre le terrorisme et l'extrémisme violent propice au terrorisme en ligne. Les organisations de la société civile, les universités et les entités du secteur privé ont un rôle important à jouer à cet égard.
ONU Info : Le Comité est-il optimiste quant à la possibilité pour le Conseil de sécurité de parvenir à un accord final ?
Ruchira Kamboj : Il n'y a pas nécessairement d'accord final à atteindre lorsqu'il s'agit de prévenir l'utilisation de technologies nouvelles et émergentes à des fins terroristes. Au vu de la trajectoire du développement technologique motivé par la science, la curiosité, le profit et les utilisateurs, il n'y a pas de fin évidente en vue à ce qui pourrait être créé. Et cela signifie qu'il n'y a pas de stade final prévisible pour ce que nous faisons dans le paysage terroriste en évolution, car toute technologie a le potentiel d'être utilisée à mauvais escient.
Chaque membre du Conseil de sécurité et de son Comité pour la lutte contre le terrorisme s'est engagé à adopter une approche contre le terrorisme qui respecte l'Etat de droit, conformément à leurs obligations en vertu du droit international. À cette fin, le Comité et le Conseil restent saisis de la question et continueront de s'acquitter des mandats qui leur ont été confiés en vertu des diverses résolutions du Conseil de sécurité sur la lutte contre le terrorisme.